Auteur/autrice : Anatole COIZARD Page 4 of 9
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CHAPITRE UN: Le suçon du Noyau.
Le maintien du sujet, pendant des décennies et des décennies, en un lieu constant, voilà typiquement ce qui finit par donner l’impression qu’une relation pourrait avoir lieu entre le lieu et l’être. Quel suçon de bébé tétant à d’imaginaires mamelles !
La grande ville thésaurise. En finançant des musées pour ceux qui, distraction de visiteurs en quête d’identités, y consommeraient des objets en complète contradiction avec l’inattention dont témoignent leurs quotidiens et leurs logis — mais dont l’accumulation en des lieux adaptés feraient… quoi…, hein, quoi de plus au fond que le prolongement, idéal ô combien mais à quel titre et en quel sens, les musées feraient prolongement des propositions alléchantes que les agences de voyage organisent?
De moi, «la certitude que le moi est effrayant par sa mort «. Faisceau d’originalités, le moi, même celui de Garcia Lorca, nous laisse bouche bée, s’il disparaît. Aussi mon moi se réfugie-t-il dans l’autre. Je suis médecin généraliste depuis si longtemps que j’ai pratiquement oublié comment était la vie, avant, quand j’avais le temps d’aller plusieurs fois par semaines me glisser dans les eaux de Baden Baden, et que je connaissais les sentiers de montagne pour les emprunter la nuit. Google aujourd’hui nous localise tous au millimètre et nous sommes huit milliards, je suis un morceau de cette humilité apocalyptique.
Première Partie.
La diversité des cultes et la multiplicité des clergés finissent par générer l’inconfort psychologique, même des incroyants.
A Sumer ou à Uruk tout à l’inverse, jamais n’eussè-je pensé quant à moi être contrarié, distrait ou désorienté par la pesante masse religieuse en murs et briques voire des rampes d’ascension vers les temples surélevés, qui sont au centre de la cité.
En 68, des troupes apparaissent là bas, vers la grille d’entrée du Lycée Kléber ( un campement scolaire dont les bâtiments de brique et de béton répartissent leurs trois étages sur une ancienne fortification de faubourg.).
Le professeur de latin -même sa démarche quand il se déplace est pédagogique – n’a pour eux qu’un coup d’œil latéral. Sa méthode de traduction est infaillible, et que ses élèves la recopient sans faute allège sa calvitie en le rapprochant d’un passé idéal, quand élève lui-même il la peaufinait. « En rouge, vous soulignez le sujet, en jaune le complément d’objet direct , point virgule. Je dis point virgule et vous noterez point virgule, si vous vous trompez dans la ponctuation je vous ferai recopier la méthode, dix fois s’il le faut. » Et la méthode faisait quatre pages écrit serré.
Introduction
(21/5/98) l’autre avertissement, corniche d’Aïn-Diab à Casablanca. Petit, les barrières blanches me dépassent, en surplomb de plage, de l’Océan, absorbé par le plaisir radieux d’entendre vrombir le vent océanique à mes oreilles.
(La « gastricité » travestit la haine du désir, tente de naufrager toute bacchante en repas, toute académie en restaurant, tout plaisir en besoin assouvi.)
Tout à l’heure ce samedi de Février 2019 qu’il a encore savouré, cérémonie à Bantry la ravissante ville pleine de gens chaleureux et tellement soudés, en face de l’océan mystique des celtes, et qui est comme le départ, sur le tronc que représenterait l’Irlande, d’une des branches du comté de Cork, la péninsule au bout de laquelle Yvonne et Tomi Ungerer, et aujourd’hui leur fils Luke, contemplent et protègent depuis leur arrivée dans cet éden il y a plus de cinquante ans un sublime fait d’un cap, de tours médiévales éboulées, d’un lac cristallin suspendu cent mètres au dessus de dangereuses falaises, et le joli visage de l’océan, d’où tout être, sauf les naufragés, est absent.
D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Amel (Amélie ? Tout le monde l’appelle Amel) a toujours aimé d’un amour d’amoureuse les marais de Saint Gond, leur allure sauvage et grise, la monotonie résignée de leurs dangereuses vasières, fondrières, tourbières, et les surprises encore, que son cerveau précocement attentif, collectionnait déjà trop tôt. Mais elle penche son torse gracieux comme un roseau pour cueillir chaque fleur nouvelle et la mettre à l’abri sous ses yeux verts, au détour de sentiers tracés tout au plus par des animaux d’autant plus sauvages qu’ils pullulent au secret des ajoncs.
Ça l’a même étonnée, à l’adolescence, que sa mère Liliane ne soit pas plus surprise que ça de la voir accepter, chaque samedi, de sauter dans la voiture pour la suivre, depuis la grosse maison confortable et joyeuse de Nancy, la ville où sont pourtant tous ses copains, jusqu’à ce trou de Coizard.