Anatole Coizard de l'océan maudit

Auteur/autrice : Anatole COIZARD Page 2 of 9

Le caméléon la camélionne est aux champs ce que René Char est à Rimbaud.

René Char disait à Rimbaud dans Fureur et Mystère , « Tes dix huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sur le couteau de leur précoce guillotine…

Pendant le début des phrases prononcées en scène par Elsa Agnès – et je la voyais « jouer » (vous verrez pourquoi les guillemets après ) pour la première fois, j’ai eu un vertige rhénan, j’ai vu – je vois encore, au surlendemain de la représentation dans la salle Topor du théâtre du rond point des Champs Elysées – je visualise à l’envers de toute chronologie la silhouette mythique de Rimbaud rencontrant celle de René Char – et du coup Paris semble ré-exister. Vibrer d’un moral qui me redonne un désir moral.

D’ailleurs avant de rentrer dans le théâtre du rond point j’ai croisé dans un petit square des Champs Elysées, une africaine, masquée, qui revendiquait son banc où je venais de me poser pour lire – elle dort aux Champs Élysée et le texte d’Elsa Agnès parle en réalité aussi d’elle enfin je veux dire du destin, des abimes, elle fait plus qu’en parler puisqu’elle l’a écrit, dans son texte mis en scène par Anne Lise Heimburger… Dormir au long des avenues comme cette dame, voire écarquiller les yeux depuis un péage de l’autoroute du monde pour se glisser en tous destins, celui d’êtres aussitôt vus, aussitôt suivis par mon âme épuisée d’aisance, comme si saisir les portraits qui s’encadrent brièvement en ces tableaux que font tous les pare-brise de tous les véhicules du monde était l’issue précipitée, en cette rigueur de caserne qui est celle des péages et de cette péagière que dépeint pour finir Elsa Agnès, comme si se saisir et se laisser happer par tous ces portraits était ce sans-issue qu’impose dorénavant l’accélération du monde. Tenir dans ses bras comme un nounours, comme un oreiller consolateur, comme un public médusé, les sept milliards ou plus que nous sommes. Devoir de romantisme. Pour aimer. Malgré la rumeur automobile de l’avenue, des péages, des impasses et des oligarques péagiers qui nous fouettent à bombes nues pour accélérer leurs gains.

Ridgewood. Dead End. En attendant qu’un amour pose dans l’encadrement du pare brise.

En général c’est comme ça : Paris est, après Marseille, la seule ville d’un romantisme digne de Schuman et de Kafka et cette fois ci parce que les cris d’Elsa y sont une prosopopée.

Ça m’énerve souvent que Paris soit presqu’aussi romantique qu’Obersteinbach.

Hans Baldung Grien 1515 (Musée de Bâle)

Obersteinbach

Mais si les écrits d’Elsa Agnès sont sous nos yeux issus et tissés de ses voix et personne physique, ce paradoxe d’être actrice sans que ce soit pour du jeu et de jouer en actant sa pensée propre, je m’aperçois, chapitre après chapitre, décor après décor, gestes et gymniques, chants et danse furibarde, que ce ne sera pas à corps perdu. Rythmique galbée partitionnée par la géniale rigueur d’Anne Lise Heimburger et de Silvia Costa l’un-peu-vénitienne, les tenues de l’actrice autrice vont me poursuivre, noli-spectateur-me-tangere, dans une penderie géante en toile, où empiler et jeter les tenues successives du Caméléon et tout d’un coup d’ailleurs, quand elle se drape toute bleue, je lui vois visage de lionne, de Léone, de Caméléone mais

Il y a quelque chose d’amusant dans le fait de faire mille kilomètres pour voir une pièce de théâtre c’est le transport j’ai pris bien entendu la malle poste depuis Strasbourg et, pour entendre des chevaux hennir, j’avais avec moi un traité piaffant de fraîcheur, un livre de socio philosophie que m’a fait découvrir Circé, celui de Hartmut Rosa (Luxemburg ?) et grâce à lui le train s’est transformé en aventure puisque ça m’interpellait, son texte, là où je travaille au quotidien, en interrogeant les soirs de mes consultations depuis… 1989 (chuuut) ce qui fait l’amondement de mes patients, à travers la construction de leurs rêves (les rêves sont un moment d’amondement) – Bon alors voilà, mon transport à travers les printemps de la rhénanie, des Vosges, de la lorraine et puis de la Meuse, s’est terminé – des fleurs des fleurs des fleurs – en face des Buttes Chaumont puis par une promenade d’une heure et demie enfilant la rue Lafayette jusqu’aux Champs – où une africaine masquée revendiquait tragiquement mon banc pour après le soleil du soir y passer une nuit élyséenne (moi sans comprendre encore qu’elle dormirait juste jouxtant les imprécations d’Elsa Agnès incarnant son propre cri son propre texte, puisque ne mesurant pas encore à quel point le banc qu’elle revendiquait était tout proche de la petite salle du théâtre du rond point. Mais je serais surpris, une heure après, de resonger à l’africaine lorsqu’une des évocations d’un des trois personnages figurés par le texte semblerait, elle aussi, couchée à même le sol du dénuement extrême).

Sylvia Costa, Anne-Lise Heimburger, Elsa Agnès .

Ainsi paradoxe des théâtres, vérité romantique, Elsa n’est en cette pièce ni acteuse ni jouant, prenant ses mots à leurs lettres, oui, elle a écrit son texte, ce texte, elle, narrant trois enfances de trois filles, narrant les trois pères d’ycelles, narrant les corps rencontrés de l’homme puis l’anamour et puis des morts, des meurtres, un assassinat horrible avec l’exactitude de comme-il-en-est-des-meurtres (exactement comme a été agressé dans sa petite maison le délicieux Nounou d’Oeting près Forbach, celui que j’ai connu et qui ne vivait que pour ses orchidées, torturé pour de vrai dans le vrai du réel pour trois francs six sous par deux désespérants – et puis il est mort, Nounou, du retentissement de ça, quelques mois de détresse plus tard – scène décrite et écrite par Elsa Agnès comme si à son âge déjà elle l’avait vécue depuis le point de vue du désespérant bourreau ) et du chant et du chant qui se danse à réveiller les Champs Elysées – et puis du voyage puisque les trois vies racontées par Elsa traversent même à un moment le bruit des clochers d’une ville de l’Italie : la salle suspendue médusée après s’être demandé peut être, pendant les premières secondes, avant les premiers mots, comment elle allait bien faire pour pas qu’on s’ennuie une heure et demie mais emporté•es tous•tes hop ! En Inde hop Toronto hop retour au pavillon propret et au canapé des parents et à l’étau des ciels qui s’encadrent à l’arrière des voitures où, pauvres puis riches, les héroïnes d’Elsa contemplent le ciel en même temps que la passivité d’être transportées – détresse passive de trois enfants qui se laissent tatouer par la mocheté virulente et active de trois mondes refusés- rejetés, honnis, mais les infusant – et en majesté dans le texte, surtout le politique du Dit, tout le temps travaillé au corps d’une ouverture au même cri que Rimbaud – Rimbaud poète ouvert ou Rimbaud fermé trafiquant, Rimbaud amoureux du politique est-ce le personnage d’Elsa Agnès qui part en Inde ou Rimbaud effondré d’une fondrière libidinale est-il la femme-péagière qui contemplera voiture après voiture des mondes qui l’embarqueraient comme d’autres moi ? Ô toi mon autre moi est-ce que cette Commune mythique que Rimbaud rejoignit peut être – et en un mot notre dernier enthousiasme à tous, nous qu’enthousiasme le rêve d’aimer l’autre O du mein Andres ich

Ci-gît mon autre moi-même
Hier liegt mein ANDRES ich
(Obersteinbach)

est ce que la révolte d’un peuple parisien qui fit pitié même à Bismarck (dans ses mémoires qui sont en ligne et traduites, il décrit un soir à son secrétaire la misère physique de ces soldats qu’il a combattus et de leurs familles quand il se promène dans leur foule, après sa victoire), est ce que la Communauté vaut le coup d’aller trafiquer comme Rimbaud l’a fait après, comme les trois filles racontées par Elsa font un peu. Avec Elsa Agnès nous nous en sommes allé trafiquer dans des Éthiopies – non plus le luxe effarant du bateau ivre mais la misère des pulsions sexuelles invendables et la vente pourtant des corps et la maladie purulente jusqu’au seuil de la mort ?

Sylvia Costa, Anne Lise Heimburger.

Et comme la réponse de Char est venue dans la nuit du théâtre par les mots infiniment complexes d’Elsa, un torrent, un Nil de Mots, un Iénisseï, une Volga, un Yang tsé Kiang qui dirait que malgré le malheur de l’inconfort d’aimer d’amour il reste la candeur de risquer sa peau quand on sent que ça pue et tout d’un coup ça puait plus sur les champs Élysées quelqu’un parlait dans le luxe du théâtre du destin par exemple de la dame qui dort sur le banc derrière les murs du théâtre – et en chantant par explosions dansées Elsa Agnès ressaisit nos âmes bleuies et tous on était dans le rythme. Congo.

Congo. Péage. Obersteinbach. S’écrier poétiquement pour rejoindre les arbres des Champs Elysées et le banc des sommeils de ruine. Fleuves.

L’actrice, pour une fois, elle agit. Puisque c’est elle qui a écrit le texte. Je veux dire, cette actrice, elle joue – mais c’est elle. C’est elle et pourtant c’est joué, à preuve : tous les vertiges de la mise en abîme de la scénographie ne sont pas de trop pour que, chute de rideau de scène après chute de rideau de fond de scène, je me demande moi même à quel jeu je joue en me racontant que c’est agir qu’aller s’asseoir au théâtre dans l’ombre du public, au moment où se dévoile le fait que l’actrice, aujourd’hui, est mise en scène pour se dire.

Et le lendemain dans la rue du retour les trois dames plonplon d’façade parisienne me redevenaient d’amples hétaïres capables même de mettre aux nues les folies d’un vrai romantisme vrai de vrai : je les regarde d’un coup comme trois Elsa Agnès prêtes à déplonplontiser la façade plonplon.
Travaillez, donnez-vous de la peine, un trésor est caché dedans (en manteau la compositrice Ève Risser)

Regrettant juste que le texte d’Elsa ne soit pas publié pour pouvoir y revenir et en retenir un peu mieux tous les bancs de poissons, pardon de mots, d’images, de phrases et d’idées que j’y ai entrevu comme autant d’éclats de lumières politiques et de couleurs qui me redonnaient le moral.

Ce soir là vraiment, Paris : plus romantique que les Niebelungen à Obersteinbach (oui oui cachés dans les rochers au dessus, le souvenir des Niebelungen )

Juste pour dire les mille kilomètres à faire pour aller et revenir d’un René Char (il a écrit sur ces paysages des Vosges du Nord) à un Rimbaud , des fleurs, des fleurs, des fleurs tout le long du train-malle-poste qui au retour tentait de se rappeler des fleuves d’Elsa mis en scène par Anne Lise et Sylvia. Une rhénanie, ma doué, un Congo !

A nul autre vraiment semblable, le Maestro della fertilita dell’uovo reste l’inommé.

Il y a les couloirs pittoresques du musée d’Autun, il y a le mystère insondable des villes françaises de la même taille qu’Autun, ces mille trésors pas encore totalement affectés d’un visage vitrifié par ce qui ne se construit plus comme dans les souvenirs tourmentés des maîtres d’œuvre.



A Autun on retrouve encore ce qui respira, quand une ville c’était d’abord des vieilles enseignes de magasin, des prodiges de charpentes et de façades, des tourelles qui paraissent encore méditer comme belles au bois dormant rêvassant à ce que ça coûterait de les réparer et si elles ne vont pas être remplacées par un moins disant de main d’œuvre en verre ou en béton – ah ! Quelle désaffection !


Ah ! Quelle cruauté toutes ces splendeurs qui meurent et que personne ne vient redresser – avec un peu de chance quelqu’un pensera à mettre de la couleur sur le verre ou le béton qui effacera la gloire surannée du dix neuvième siècle et de ses élégantissimes boutiques – mais c’est même pas sûr mon coco…

Non, même pas sûr ma cocotte – et dans les couloirs du musée d’Autun une fois qu’on a été traumatisé par la folie de l’Eve d’Autun…

Une fois qu’on a été abasourdi par Ève et qu’on s’est demandé comment était son nez, le travail du Maître de la fertilité de l’œuf, ça ressemble à l’enseigne surréaliste d’une gargote, le petit tableau aussi génial que discret, avec un duel animalier, comment est ce qu’on peut le remarquer, cependant, parmi les cent trucs fabuleux qui se précipitent là dans les couloirs richissimes d’Autun, pendant qu’on y est parfois seul parce que les touristes ont peut être préféré aller aux îles marquises dans un bel hôtel en béton ou en verre qui décolore l’océan de tout le confort de ses lits king size – et le petit tableau qu’on a sous les yeux fait son travail il reste fixé à l’envers de la rétine, quelques années passent et puis un beau jour on découvre que sur la vignette : il n’y a pas de nom. Pas de nom !!!


Des années après je reviens dessus je me dis mais c’est qui ? Et là patatras. Je découvre ses autres tableaux, répandus par le monde – c’est où, le Milwaukee, vite, un dauphin et traverser l’Atlantique.

l’auteur si modeste de ce travail tellement léché qu’on dirait une enseigne d’une vieille boutique parfaite, italienne, datant d’un monde qu’on n’a même pas connu. Un monde qui aurait toisé les imperfections du siècle passé comme les restes du dix neuvième siècle, à Autun, semblent toiser l’infortune des banlieues du monde d’aujourd’hui en cubes et rectangle construits à la va-vite.

Oui le monde du dix huitième, depuis l’injustice atroce de ses régimes totalitaires, de ses épidémies et de ses guerres, avait pour toiser le dix neuvième pas encore venu, l’élégance de ses collants colorés qui moulait les attributs de mâles aristocrates – le monde impitoyable du dix huitième toisait depuis les harnais de l’élégance qu’on ne retrouve plus qu’aux vieux tableaux – comme là, m’est revenu le souvenir trois années après l’avoir vue, l’élégance d’un tableau, et du tableau d’un anonyme. Né au dix septième…

Je n’avais même pas pensé à me renseigner sur son nom et je découvre qu’il n’en a pas et que pourtant, depuis ma visite d’Autun en 2019, il pisse par dessus deux siècles sur l’enseigne du fast-food de la galerie commerciale que je que vous que nous sommes en train d’essayer de ne pas regarder – ouf!- ne pas vomir – ( et que le siècle prochain aura d’ailleurs à son tour remplacé mais par quoi, par une vitrine virtuelle en chiffres informatiques ou en simple fumée apocalyptique d’après l’ultime spasme nucléaire de l’ultime toux d’un oligarque enfiévré ?)

Dans le Milwaukee il y a un tableau qui a donné un pseudonyme à l’anonyme parfaitement reconnaissable sur le tableau d’Autun. Ça parle d’une fertilité de l’œuf. Mais les autres tableaux parlent de tellement d’obsessions que chacun te donnerait un nom.

Je suis tombé de la chaise.

Qui es tu ?

Au musée Fesch.

Au musée Fesch d’Ajaccio je voudrais aller, je voudrais sauter sur un cheval, courir jusqu’à Saint Tropez, sauter dans un vieux voilier, parvenir à Ajaccio, courir au musée Fesch, voir cette chouette incompréhensible.


Qui es tu ? Y a t il jamais eu une exposition consacrée à toi, qui me réouvre à toutes les vieilles cites, à Brescia, ta ville dit-on, aux rues ressuscitées de Venezia, ma ville secrète me dis-je, aux silences des doges, aux fois insensées des papes les plus douillets.

Mais qui es tu, y a t il jamais eu rassemblement de ton travail en un lieu et quand ? Ou est ton visage dans ces images qui te sont tombées dans la mémoire depuis celles de l’ami Hyeronimus Bosch ?

Oublier à point nommé les autres penser qu’aux astres

Dire « hier » c’est déjà faire de l’actualité et l’actualité c’est déjà une histoire d’histoire contemporaine au sens de l’animal social et bien entendu tout ça est de l’ordre du bien mais l’opacité du ciel diurne nous empêche d’oublier la société humaine, qu’il soit bleu qu’il soit gris, et l’opacité encore plus grande d’une représentation nominative des ciels nocturnes, qui nous ferait prendre les lanternes de l’infini pour la vessie de Mercure ou d’Orion, coupe tout accès à la question de ce que serait l’hors-humain … et tellement bien que je n’oserais dire quelle question poseraient les infinis cosmiques, puisqu’aussi bien : comment prétendre à une question ce qui est déjà de l’anthropocentrisme, une question des étoiles Ahlala.. blague des blagues revenons à l’actualité des manifestations d’hier ?

Cependant l’Irlande a produit des bières ambrées et la légende de molly malone une enseigne aux brasseries, dont la brasserie d’où je contemplais hier les visages étoilés de sagesse ivre de trois buveurs qui me paraissaient Merlins – brasserie ? Ah, l’étoile des brasseurs décorait la maison de mon grand père brasseur (comme si le destin des enfants de la Shoah avait quelque chose à voir avec la source de sa fortune la bière Greff à Nancy !) mais moi j’y voyais, dans cette bonne étoile des brasseurs, le rêve qui me permettait de marcher dans un parc (celui de la maison de maître de la brasserie, joignant la rue de la Commanderie et la rue Jeanne d’Arc) entre les noisetiers et les soupiraux des caves où pendant un siècle les ouvriers avaient dû se relayer pour faire la fortune de ceux qui adoptèrent mon papli – est-ce de cette étoile que je me réclame pour payer ma bière en terrasse du Molly Malone devant les trois druides qui ressemblent certainement à ceux qui se ruinèrent la santé pour embouteiller la bière à ras du jardin où je pétais dans mes robes à smocks ? Et donc comme une étoile errante pour l’enfant que j’étais (ignorant qu’il put traiter de racaille, mon grand père, qu’il put traiter de racaille tous ceux des prolétaires ses employés qui par leur misère ressemblaient de près ou de loin à son père biologique et certainement aux trois philosophes des bancs publics (Voilà, c’est de ça qu’ils parlent les trois dieux parcheminés, ils parlent de mon arrière grand père qui avait été le bourrelier des chevaux de la brasserie d’un jadis dont le papli ne me parla jamais – ils sont d’une élégance telle, voilà, ils ont caché hors champs, peut-être dans l’élégant immeuble derrière eux, ils ont caché leurs tenues de chevaliers de cochers de cavaliers, encore une gorgée de Guiness et leurs trois chevaux vont surgir dans une nuée de goélands rieurs et natifs tous de Cork) et donc aussi ceux que le grand père t’axait de racaille ils ressemblaient à sa mère morte trop tôt(dont il ne retrouva pas la tombe, cimetière ravagé par des bombardements). Lui, lui qui avait failli être pendu à la cheminée de la brasserie alors qu’il était né tout près du village natal de Louise Michel.



plus beaux que les trois observés hier depuis la terrasse à Guiness, ai je jamais vu ?
Leur cadre, ce bâtiment de l’immédiat après bombardements de la dernière guerre qui est devenu beau va savoir comment mais hier il m’apparaissait comme une révélation.

Cependant qu’ils discouraient, les trois philosophes sur leur banc gratuit faisant face aux tables payantes de l’annexe de l’Irlande, d’un petit morceau du pays de James Joyce, d’un fragment évocateur de cris des goélands au dessus du petit port de Port Magee et de tous les recoins du pays de Molly Malone, pendant qu’ils échangeaient savamment leurs propos, des mouvements d’actualité se déroulaient en tous sens autour et sur la place d’Austerlitz : les syndicats et des jeunes gens passaient à gauche en une procession qui criait contre le président de notre monarchie anticonstitutionnelle occupée à récupérer pour ses marquis un petit pourcentage supplémentaire d’argent sur les millions de pauvres comme toujours bien mal défendus – et soudain surgissaient les agents de la force publique que les gamins, tout fiers d’un noble combat, avaient canardés avant de se replier – leur entreprise pleine de théories pour la nourrir et de certitudes qu’on devine arrosées par les trolls informatiques qui font et défont l’opinion et la rage au gré du bon vouloir des oligarques, des marquis donc, qui s’en servent – théories et certitudes des jeunes aristocrates du penser cependant certains absolutistiquement – de par la profondeur sociologique de leurs analyses – de la situation et du génie de leurs maîtres à penser -pendant qu’à quelques kilomètres de nous la guerre d’Ukraine remplit atrocement les cimetières – peut être y a t il un lien entre cette agitation, ici, d’une société qui hurle contre son roi sans arriver plus à prendre en main ses députés – et les hémorragies de vies humaines pour les prises de contrôles territoriaux par les mêmes marquis tout puissants de l’actualité qui -décidément inactuelle – cache les étoiles et l’immense organisation paisible d’un monde, celui des astres, d’où nous n’aurons pas besoin de disparaître – tant nous lui sommes démesurément incomparables, et ça même si je sais bien que les étoiles ne clignent pas des yeux.

C’était si beau pourtant hier de voir surgir la troupe joyeuse de tous ceux qui voudraient exister.

si j’étais Bismarck (lire ses mémoires pendant la Commune quand il s’apitoie sur la mauvaise santé des français ) j’inventerais la sécurité sociale dont j’ai entendu l’enterrement déjà il y a longtemps, il y a plus de dix ans, de mai deux mil sept à Mai deux mil douze.

cette communauté des humains permise par la sécurité sociale, cette communauté d’humains, reliée par la douceur du soin qu’elle a permis d’administrer depuis son copié-collé français offert après guerre par De Gaulle aux communistes, exactement comme Bismarck l’avait utilisé pour contrer ses socialistes presqu’un siècle plus tôt, en 1883, cette étrange communauté n’a jamais su à qui dire merci, faut dire : difficile de dire merci à Bismarck puisque ce qu’il voulait c’était quoi sinon des soldats en bonne santé et on connaît la suite de la mélodie ein zwei.

j’aurais bien voulu que sous les bras grand ouverts de la sécurité sociale une légende dorée s’installe.

mais quoi. Elle fut comme les étoiles. Cette communauté qui m’a permis par exemple, un jour qu’en revenant justement de l’abominable et impitoyable jungle inhumaine de New York l’égoïste, d’aider la géniale dame hantant la nuit quelques auvents abrités de la pluie, dans le campus universitaire, (et ça depuis quinze ans!) l’aider avec l’aide des meilleurs chirurgiens pour sa cheville brisée et ensuite l’aide des meilleures infirmières venues à son chevet sans domicile fixé, et ensuite l’aide de la pandémie qui lui a même donné une chambre d’hôtel !
Mais c’est évidemment le contraire qui se passe, la fin de tout ça l’enterrement d’la légende dorée de la Sécu – les soldats reprennent la main, adieu l’état providence… bienvenue à la frénésie des consommateurs-pollueurs… qui contrôlera nos fleuves d’essence à tous dans nos autos that is the There Is No Alternative Question of Margaret Thatcher et ses émules planétaires et d’ailleurs comment oserais-je élever la voix puisque, c’est Pâques et je roule vers Ambert dans la petite Irlande auvergnate en suçant quelques litres de ce pétrole pour quoi se battent les oligarques et il y a de l’essence, oui, qui coule à flots dans les stations de bord d’autoroute malgré grèves… je regarderai les menhirs de l’Auvergne avec passion parce qu’ils pointent du doigt la seule vraie actualité, ou plutôt l’astralité, celle de l’ordre insensé, celle de l’inavouée communauté qui m’unit sans question ni réponses aux étoiles les plus innommables, surtout ne pas les nommer, ne pas leur projeter la moindre participation à tout ce qui, m’étreignant dans le réseau vital des autres, risque de me faire oublier ce je-ne-sais-quoi dissimulé aux vertiges interstellaires.

les trois divins buveurs emplis d’ivresse céleste pendant que je pleurais en lisant un poème amoureux de Marguerite Yourcenar (« Feux») et puis le passage ensuite d’une centaine d’apollons et de vénus cagoulés, masqués, habillés de noir qui couraient vers le quartier suisse – le passage, à leur poursuite, des cognes, (comme dit Victor Hugo), cependant que volaient en éclats les vitrines des banques et les écrans de publicité cinétique dont les municipalités abreuvent les candidats au bus.
Mais voilà, c’est vendredi et.. .Je suis devant le château de Noiretable et c’est le lendemain. Bénissant honteusement qu’il y ait eu de l’essence dans les stations services du capitalisme pétrolier pour me rapprocher en Auvergne de la Pierre de Giniche, des étoiles, de l’ivresse des buveurs de Sublime ivres de mort, ah, mourons bien vite.

Le disque de Nebra aurait pu servir à orienter les pierres levées, arrimant le ciel à une visée. L’incroyable précision de ces repérages célestes de l’âge du bronze n’empêchait pas l’idée d’une barque (des morts?Flottant quelque part vers la Voie Lactée ? Comme dans le navire en or de Broighter, conservé au musée de Dublin et qui aspire la pensée vers un trouble délicieusement dirimant, vers une élation en regard des cercles beaucoup plus anciennement gravés, comme sur la pierre de Youghal. Et depuis le sommet du Rez de Sol où j’arrive deux jours après les manifestations je cherche dans la crête rocheuse les traces infimes de millénaires évanouis d’un regard désastré.

Le navire en or de Broighter (musée des Dublin)



Pierre décorée, Youghal, Comté de Cork, 2500-1700 avant notre ère.

Tentative de définition ou tentation d’défininive : la halle du marché de Bâle la ville sœur de Celle du Hans im Schnockeloch c’est à dire d’un type certain de Strasbourg jamais content de ce qu’il a mais ce qu’il n’a pas alors ça…

L’impossédable, le jeté, l’insatisfaisant.

Mille fois refait le geste que je voudrais définir serait intérieurement de s’attaquer au jeté, non pas le pas de danse, non.

Ni quelque plaidoirie contre le continent des plastiques qui s’amassent en plein océan, toute apocalypse trouvera bien ses déclinaisons même celle de nos villes si peu sexy depuis que le charme discret des vieilles baraques s’est effacé devant le structuralisme de nos empilements – et que nous (ce « nous » qui se définit comme une biomasse de concurrents acharnés par les luttes pétrolières ) cherchons avidement quels édens nous n’aurions pas détruits.

Il paraît que c’est l’effet des marchés. Nous, du marché. Nous, du plasticocène.

Le je s’oppose artistement au nous. Les géants du je, les héros qu’on se fait, leur signature s’appose encore, comme les vieilles baraques s’opposent encore, par la douceur de vivre qui peut encore s’y partager (cheminée, flambées, au fond du jardin les espaliers, rameaux croulants de fleurs, hivers surlignant par neiges les branches des vergers dans l’encadrement des vieux châssis de fenêtres au verre irrégulier.) De même, certain•es je parviennent encore à opposer à l’apocalypse insignifiante de la révélation industrielle d’une marée de nos déchets, leur Dire dévoilant. Une apocalypse insignifiante, lapalissade paradoxale malgré la mort qui rôde et tend ses bras si fort.

c’est énigmatique ?

Il me faut cependant contourner les apparences. En 2018 j’avais déjà été impressionné par le mécanisme de discrétion qui caractérisait le travail de François, apposant sur des images existantes un appareil de gommettes…

François qui n’avait pas commencé encore sa geste et sa geste serait, dès 2019, de descendre à la nuit tombée dans les caves collectives de son immeuble et là, au fond du garage, d’y retrouver ce qu’il appelait le bac jaune, pour y relever les emballages en cartons jetés là. Voilà contournée cette apparence d’énigme que pouvait contenir la proposition « s’attaquer au jeté »… Mais quel est ce pas de danse, ce jeté qui rira bien qui rira le dernier, le dernier des rebuts ?

François et les cartons encadrés après leur remontée depuis l’abîme du bac jaune du garage.

Comme un prêtre égyptien il remontait ces cadavres de boîtes vers la lumière du jour et, embaumement, les dépliait, allait récupérer des cadres abandonnés dans une déchèterie ou en acheter pour trois fois rien chez « Emmaüs » ( mais qu’est ce donc qu’ »Emmaüs », historiquement ?), et installait chaque cartonnage déplié dans un cadre puis, se tournant vers le propre emballage de ses propres jours, il les prenait et il les disposait ensemble sur la surface de ses murs. (Il se tourna, il les prit puis il les disposa ensemble …)

Après mon passage à New York

Après un passage au Whitney muséum je trouvais anormal que les travaux antérieurs de François n’y fussent pas déjà mentionnés (il recouvrait des images avec des gommettes, préfiguration de l’élision d’l’auteur qui m’remplissait d’élation….

Janvier deux mil dix neuf. Ils partîmes une poignée et z’arrivâmes a plus de mille…

Thérèse Willer, la conservatrice du musée Tomi Ungerer, a été plus loin, et après avoir constaté aux murs de François plusieurs centaines de cartons aux ailes déployées, elle a décidé avec Dimitri Konstantinidis, instigateur d’une galerie déposée entre institutions européennes et quartiers des sans-besoin, d’organiser, et c’était juste après le passage vers l’abîme de Tomi Ungerer, une exposition montrant conjointement les façons de détourner les objets des deux inattendables personnes. Expect the unexpected, aimait à répéter ad nauseam Tomi.

Toute la ville se recueillant une dizaine de jours après que Tomi, annotant une correspondance d’un écrivain qu’il aimait, se soit éteint en Irlande chez sa fille Aria.
Tomi s’éteignait précisément au moment où sans m’en apercevoir, le neuf fevrier au lieu de recopier un arlequin vénitien de Tiepolo, je fabriquais un Finnegans Wake bien irlandais tout verdi.

C’est donc après avoir visité le Whitney et avant le blocus sanitaire de l’épidémie du Pangolin que l’héroïque Thérèse, rendant visite aux appartements de François, décidait d’organiser une exposition dans les locaux d’Apollonia…

Dix huit Juin… 2019… l’Appel… Massuuuuuuuu! Madame Thérèse Willer bientôt à la manœuvre !


Soudain il fallait peser l’âme des cartons morts. Savoir si de leur période fonctionnelle ils avaient gardé trace de quelque faute et comment Anubis l’évaluerait.

Tomi en 2017 à Threecastlehead…Mais Tomi ne sera plus là pour assister à la résurrection du fameux Touthankarton. Oh ce jour là il me regardait si intensément que je me suis dit j’ai enfin un ami en Irlande
L’atelier a Threecastlehead
L’aquarelle du neuf février 2019 à sept heures trente quatre. C’est dans une heure que Thérèse m’avertira de notre esseulement par l’extinction de Tomi.
Le deuil et les larmes dans l’auberge du Schwartzwald a dix heures du matin…
Lanterne de déploration posée à la Villa Ungerer le soir. O vanitas vanitatis…

Ainsi Tomi n’était il plus là pour le dire ce qu’il aurait pensé de cette épidémie qui nous a tous masqués dans un gigantesque carnaval d’effrois. Mais Thérèse Willer avait déjà pris, avant que le premier pangolin couronné se soit fait bouffer, sa décision d’exposer les jetés repris au bac jaune de son immeuble par François Duconseille. Aussi la pangolépidémie allait-t-elle jeter un de ses étranges décrets sur la première sortie triomphale des édits du Néant arrachés aux rebuts par la geste Duconseillère .

Brice Bauer jouant pour la ville déserte comme il avait joué pour la ville bruyante. Juste avant de cesser pour toujours sa fabuleuse mélopée.
Oh quel silence affreux depuis que tu n’es plus là pour dire que c’était une cathédrale derrière toi.

Les affiches avertissant de l’expo seraient suspendues comme des fantômes pendant des mois et des mois et des mois, ça tandis que la ville, comme toutes les villes du monde de l’Effroi, se transformait en Pompéï. Rues mortes et permis de marcher.

Un déluge de signifiants et en même temps (je veux dire que les temps sont à la caricature) : Lacan supplanté par les antidépresseurs.

Les cartons encadrés pouvaient bien attendre. Comme les très grands crus de Bourgogne cette attente, et ensuite la tragédie en quelque sorte, qui voudrait que l’exposition à peine ouverte soit immédiatement interrompue toujours à cause du pangolin et du virus couronné … comme les grands crus les cartons sauvés des eaux par Thérèse Willer profiteraient de la brièveté infinie de l’ouverture de l’exposition pour revenir en toute puissance dans la ville qui a toujours su prêter secours à Strasbourg par un décret médiéval. Assistance serait portée à l’habitant de la république de Strasbourg. Par Bâle. Mais longtemps après l’épidémie. Car d’abord les cartons trouvaient le chemin d’Apollon, et étaient hissés comme autant de pieds de nez, sous le regard des objets (pelles, outils.., ) ressuscités par Tomi.

Tomi ressuscitait depuis la tombe.

François officiait depuis l’existence.

François officiait de son vivant. Mais tous nous étions devenus spectre, et quand après des mois de clôture hermétique de la galerie d’exposition il y eut ce brévissime vernissage, de quoi avions nous l’air et comme Tomi l’aurait dessiné !

Vernissage du 29 Novembre 2020 et puis hop fermeture !!!!!

Que purent se dire les étudiants de l’Ecole des Arts Décoratifs, suspendant méticuleusement la mise en scène des cartons promis à la réincarnation d’une ré-présentation, arrachés à leur fonction pour édicter un sens, se travestir en totems, en silhouettes, en masques, en effigies de l’irreprésentable.



Je sentais se rapprocher le Whitney museum … I had the feeling Whitney was getting closer to the satisfaction of ever unsatisfied Hans of Schnockeloch… Quelque chose du triomphe de la non signature, quelque chose de l’effacement absolu du sujet derrière le cadavre même de l’humanité consommatrice.

Exposition Mary Corse, Whitney, 20 Juillet 2018 à 14 heures.

Boîtes dépliées bras en croix transformées en Adonis suaves attendant l’âge parfait, 33 ans, pour rejoindre une révélation mais de quoi sinon de l’attente du créateur – Tomi créateur, le télépathant, va savoir s’il ne m’a pas VRAIMENT diligenté un cours de dessin de loin, à moi l’insignifiant, à moi qui suis si pataud , un cours de dessin pour que je recopie bien, le matin même où peut-être ses pensées croisaient celles de tous ceux si nombreux qu’il a chéri, moi tentant d’aquareller une copie du polichinelle de Tiepolo pendant que Tomi annotait les correspondances de Nabokov dans son lit au Comté de Cork… Qui va servir d’Anubis pour juger des fautes passées des emballages, des cartons et des jetés (comme dans le « Messie » de Haendel : He was despised he was rejected…). Évidemment l’osiriaque François et tous les pratiquants de l’art de la Représentation (oh convoquez s’il vous plaît la femme qui dessina si bien dans la Grotte Chauvet il y a trente cinq mille ans), oui.

Vallon Pont d’Arc.

François créateur des gorgones-carton et des gargouilles-carton greffées spontanément comme autant de greffes automatiques, de surjets-Rohrschach, d’hypnose, sur les décombres même de la cave du Schnockeloch, (les appartements du créateur sont au long de ce ruisseau qui en porte le nom – Schnockeloch, haut lieu de l’insatisfaction universelle puisque la comptine alsacienne le dit «  Der Hans Im’Schnockeloch , L’Hans su trou à moustiques hat alles was er will il a tout c’qui veut awer was er hat er willer nèt mais c’qu’il a il en veut pas un was er will er hater nèt et pis c’qui veut ben il l’a pas. » Le désir d’avoir la grandeur de l’abîme voilà. Mais tendrement. Par l’extrémité la plus tendre. Et la plus désirable. Strasbourg membre planétaire, Dublin Joycienne offerte aux lectures de toutes les Marylin du futur.

Ainsi de la maladie de la mort, mon avoir le plus sûr. Mon cadavre ne vous ressemblera pas mais quand il restera que la poudre décomposée, les ossements, je serai l’image de tout un chacun et je dirai l’abîme avec la grandeur qu’aucun écrit qu’aucune légitimité, qu’aucun empire, qu’aucune bataille ni aucune Thèse ne me donnera jamais.

Vingt neuf Novembre Deux mil vingt, galerie Apollonia, Strasbourg.

Incroyable abîme de l’exposition première des œuvres de François à Apollonia par temps de blocus et avant la guerre en Ukraine. Incroyable prise de note par Bruno Carpentier l’immense dessinateur de nos mondes, debout devant les cartons ressuscités.


Et puis, l’exposition clôturée précipitamment il n’était possible que d’y repasser dans une forme de désert.

Bruno Carpentier.

Oui, de clôture pour observer les momies d’emballage attendant le regard de quelque Dieu qui saurait rappeler tout l’engrenage qui jette les créateurs les plus humbles jusqu’aux coffres du marché de l’art.


Et soudain la nouvelle m’a déchiré tout reste de désespoir pour ne plus laisser (et pourtant la guerre, tout près) que le gazouillis printanier des oiseaux. Les objets du «  bac jaune » vont faire réapparition et rester visibles pendant trois mois dans la halle du marché de Bale.

Socle de la statue offerte par Strasbourg à Bâle en souvenir du secours apporté aux blessés du blocus de 1870.

O Bale la sainte qui déjà nous dépêcha ses secours pendant l’atroce siège de 1870 … o noble peuple .

Whitney le vestiaire où j’avais pris en photo mon téléphone mis à recharger près de la prise et du coup francois m’a offert l’encadrement d’un emballage de téléphone jetable.
Le projet au MarktHalle de Bâle.
Il ne me reste plus qu’à espérer le passage de Christophe Marthaler au marché de Bale dans quelques mois pour que la boucle soit bouclette…Christoph Marthaler (born 17 October 1951, in Erlenbach, Switzerland) is a Swiss director and musician, working in the style of avant-garde theater, such as Expressionism and Dada, a theater of the absurdelements.

Quand y a pu l’ébruitement d’radio Paris et que c’est grève.

Y reste les photos de mon frère

Y rest, pour l’actu, les photos que mon frère m’a expédié cette nuit d’Paname. Mais il sortait de la librairie Tschann et moi, moi en grève de tout éditeur et de tout libraire mes seuls écrits, dont comme tout papy perdu Robinson sur son propre blog je serai jusqu’à mon dernier souffle le seul lecteur, ils sont dans la précarité virtuelle de cet hébergement fosse commune remblai d’une impossible barricade je suis le seul émeutier de mon propre silence la librairie Tschann m’apparaît comme le rempart immarscessible de vrais vrais de vrais, et comme il y a grève à la radio, je lis Victor Hugo les misérables, vieux papy blogueur qui dans cinq minutes puisque c’est l’aube, repart voir ses gentils patients qui lui pardonnent en plus (pas tous, rétrospectivement y en a un qui voulait me défoncer ) en ce moment d’être plus préoccupé par les barbelés que représente pour sa journée de petit médecin généraliste du coin de la rue, un nouveau logiciel médical, hébergé comme mon blog par la fausse Commune du blog – et rempli de complexités effarantes lorsqu’on doit s’occuper du monsieur qui fait un infarctus devant soi alors que le logiciel ne permet pas de bien faire la lettre pour les urgentistes voilà

Hier soir un des écrivains qui peuplent ma bibliothèque, Georges, Georges Didi Huberman, savait il qu’il prenait la parole sous les enluminures du Londinio-Cherbourguo-Lorrain (infiniment mittel europien) Philippe Haag ?

je vois sur la photo envoyée aussi par mon frère, ces dessins merveilleux de Philippe Haag, suspendus derrière un des plus actifs remueurs de ma pensée et les radios sont en panne – les radios sont en panne ce 23/3/23, je ne peux pas même savoir si et comment la guerre et les guerres continuent de tendre leurs lacets pétroliers autour de mon destin dans le quartier classé par l’Unesco des grandes avenues teutoniques de Strassburg où dans quelques secondes je dois sauter sur mon vélo pour arriver avant les malades pour essayer de pallier avant leur cohorte les complexités aristotéliciennes de mon nouveau logiciel – sans savoir si des missiles balistiques sophistiqués ne vont pas venir se planter dans mon thorax pendant que je pédalerai au milieu d’un printemps charmant — pourtant trotz Allerdem tout refleurit et Didi Hubermann parlait hier soir, devant les dessins du Lorrain des lorrains, un savant éperdu de perspectives d’océans et d’arbres et connaisseur, lui, d’une anthologie des images (chaque fois qu’ensemble nous traversons les musées et les œuvres contemporaines il édicte nom après nom les auteurs de ce qui l’effare de jouissances picturiesques.

chez moi je remarquais ce matin trois tableaux chacun d’un•e ami•e

A gauche le compte rendu d’un retour historique chez elle après soirée, d’une amie qui aurait dû vraiment être exposée ailleurs que sur mon blog et à droite la Géorgie par un autre Georges, Georges Pasquier d’la télé et la radio toujours muette ce 23/3/23

Mais si les murs sont offert au regard solitaire de celui qui file soigner (qui est au menu ce matin des gens qui me regardent avec compassion me noyer dans mon logiciel ? Ah si seulement je mourais sous leurs yeux quel mort triomphale ce serait enfin du Poquelin !)

Et donc celui qui m’a parlé dans ses écrits des fluidités de la toge des nymphes (Nympha Fluida) celui qui m’a offert de lire en outre et avec précision le peu d’images échappées des camps (Mémoire des Camps) et faire son anthologie serait infinie, il était hier soir sans le savoir peut-être, en face de Philippe dont les dessins décoraient la librairie.

On voit bien à son sourire qu’il est suspendu par son œuvre

… et c’est le silence des radios et moi je lis Les Misérables pendant que se tait la radio je lis les raisonnements de Victor Hugo tentant de discerner l’émeute de l’insurrection, et je me demande si le Bien est un drapeau ou si je vais le croiser en descendant dans deux secondes, prendre mon biclou, traverser le campus universitaire plein d’architectures (un coup d’œil-de-coté aux vieux platanes rangés comme les soldats casqués des casernes de la vieille Prusse qui étaient là avant les universités) et embrasser le monde en songeant à tous les amis qui parviennent à dresser une re-présentation du monde, depuis celles de la grotte Chauvet jusqu’aux douceurs colorées de mon frère – songeant à Michel Foucault et à Coluche qui ne sont plus là pour nous dire pourquoi les radios se taisent ce matin. Ah! S’adosser au Bien d’une représentation tangible et pas trancheuse, cela ferait il de moi un despote ?

Représenter l’ennemi (le nouveau logiciel médical qui me dit mon égarement et ma maladresse) dans ma grotte ce serait rendre au paysage la force qu’il y avait il y a trente cinq mille ans lors des aurochs et de la Femme de la Grotte Chauvet ? Femme lionne qui était dans mon lit cette nuit – hier, me semble-t-il, oui, hier, la grotte Chauvet chantait de toutes ses parois conservées pieusement par ceux qui y dessinaient. Trente cinq mille ans et les parois conservées pendant que le monde notre monde nos paysages détruits disparus les mammouths et moi et moi et moi. Vingt aïeux tout au plus me sépare des mille ans écoulés, deux cent tout au plus des dix mille, une toute petite troupe de six cent aïeux me séparent de la dessinatrice des mains de la grotte Chauvet mais où sont parties les neiges d’antan ?

Représenter l’objet qui m’empêche de savourer le regard de mes interlocuteurs et me contraint de prêter attention aux statistiques glacées de l’interconnexion des robots…

voyaient ils, ceux de la Grotte Chauvet, voyaient ils comme l’aïeul de mon frère, Haendel, une Providence dans chaque forme du monde ? voyaient ils une providence dans la forme des parois de cette grotte dont ils ont respecté chaque relief comme un donné prodigieux, comme cette arche naturelle de rochers, le Pont d’Arc, qui en marque l’être ? Respectait il le monde en le représentant sans intention de le troubler, comme mon frère représentant le GLASWALDSEE (lac de verre et des forêts , tout près d’ici dans le silence du Schwartzwald et la fuite des animaux d’ensauvagerie).

Ghislain, Glaswaldsee.

Pavane pour une défunte expressionniste.

Dirait-on pas le fabuleux collectif Oh! En train d’conjurer la disparition d’la façade arrière d’la rue Gerhardt (qu’historiquement il connut) sur les notes richissimes de son immense jazzman ? – au piano j’ai nommé Christophe Imbs ! (Bon d’accord c’est la danse du Veau d’Or d’Emil Nolde au Musée de München)

Heureusement qu’elle ne vivait que par mes yeux : elle n’a rien senti

à droite c’était la belle façade arrière en briques ocres qui chantait son air ancien avec ses volets blancs.

Elle était en briques. Que voulaient évoquer les architectes en 1900, en déposant ces architectures aux façades de brique autour de la petite ville de Strasbourg redevenue allemande  depuis 1870 ? L’Allemagne du nord ?

Von Seebach.

La cour ainsi n’avait guère bougé depuis plus d’un siècle et j’y entendais comme les échos du cinéma berlinois. Des plaisirs qui doivent paraître immoraux en temps de guerre, mais justement le plaisir de savourer que quelques une des fenêtres de ces cours puissent encore, malgré les guerres, être intactes ce soir. Retenant mon souffle. Peut être pour quelques jours encore. Comme ce serait improbable que tout cela dure vraiment, la saveur en est d’autant plus ahurissante.

Soudain les échafauds.

Un matin soudain quelques échafaudages annoncent que l’immeuble va se rhabiller par sa cour arrière, de laine de verre.

Noirceur.

Une forme de noirceur envahit d’abord la cour. Pas sans rapport avec toutes les horreurs qui ont pu se dérouler en rhénanie comme ailleurs, pendant ce siècle de guerres ininterrompues…

Mais pas franchement encourageant.

Blêmir.

Et puis là dessus hop un coup d’blanc. Au passage les vieux volets sont passés à la poubelle… 

Un jour dans cette cour, quelques longues années avant la deuxième guerre mondiale…

S’ils regardaient subitement tous en haut et à leur droite ils pourraient s’étrangler d’horreur comme moi ils verraient l’absurdité consistant à recouvrir un mur de briques d’une isolation en laine de roche… L’homme à chapeau melon, qui porte mon nom et se prénommait Charles, le jetterait à terre et le piétinerait. Le petit jeune homme son voisin qui n’est pas encore inscrit à l’école centrale de Paris et n’a pas encore fait un enfant à Janine Solane danseuse étoile à Chaillot, pousserait des cris d’orfraie et inventerait un surnom pour chacun des ouvriers. La grosse veuve Moll découvrirait scandalisée que sa baignoire n’est plus dans sa salle de bains au deuxième étage en face d’elle mais déposée sur le balcon depuis quelques décennies. Son gendre le Charles a transplanté la Pharmacie à l’Ange de son papa à Tucuman en Argentine – comment ne pas retourner prendre un bain chaud ?

Sur le flanc.  Chaque fois que je me brosse les dents j’imagine la mollesse de la belle mère de Charles.

Et puis je peux aussi rêver que derrière l’Observatoire resurgisse en lieu et place de cette cour, la  douceur des prairies qu’observa Goethe…

LA COUR SERA LÀ.

…de toutes façons la nuit…voit-on seulement les briques ?

Heureusement les dessins de Lothar Von Seebach permettent de se remémorer quelques  sensations d’époque.

Mais il y eut une revue illustrée qui a capté cent anecdotes . Cent anecdotes du temps où ces immeubles qui me paraissent receler l’immémorialité des styles cinématographiques expressionnistes de ceux qui, comme Murnau ou Fritz Lang, ou Ernst Lubitsch, fuyant le nazisme se sont  retrouvé à New York… mais dont j’entendais toujours les répliques se répercuter aux briques de la façade arrière.

M le maudit.
Faust.
Die Austernprinzessin


„Papa, ch’t’en brie ! Tiens toi un peu autrement, y a mes potes qui arrivent !

Oui il y a eu cette revue avec par exemple ce dessin où un gamin est gêné de la tenue débraillée de son père comme je suis gêné de l’air sinistre et blafard du revêtement posé en moins d’une semaine sur une façade qu’il va probablement faire pourrir sous son hermétisme et qu’en tous cas il me dérobe.

Hermès ! La baignoire de la veuve Moll que je contemplais depuis 1994 sans savoir que son gendre portait mon nom, Charles.

La baignoire pour Molle.
Et après une semaine un petit coup d’ocre pour calmer d’un poil mon effroi. Mmmouais mmmouaiss… pffff.

Ô divin Hermès, ô divine Hestia ! Protégez nous encore des bombes !

Le Retour de Colette Weil

Quinze Février 2023, le papier est papier.
la radio diffuse un quatuor : elle non plus, pas plus que le papier où j’écris, elle ne m’entend pas – comme Narcisse qui met du monde au miroir et s’y croit regardé par un public ombreux, comme un idolâtre qui mettrait une présence au plâtre de ses statues

Papier sourd.

Depuis Octobre ou Novembre 2008, au rez-de-chaussée d’un immeuble où j’écoute avec un stéthoscope le murmure des poumons et des valves cardiaques, le recueil scolaire d’une agrégée de lettres, ramassé sur le marbre de l’entrée. Les livres scolaires de Colette, déposés dans le hall d’entrée pour la mémoire des voisins si nombreux, par ceux de ses amis qui vidèrent après sa mort l’appartement je ne sais plus auquel des dix sept étages

ces dix sept étages où

encore aujourd’hui

tant d’années après que les nouveaux étudiants ignorent peut être qu’il y eut une Salle de la Table Ronde

C’est une page de la culture à l’université qui se tourne. Dans le cadre du plan Campus, le projet de réhabilitation du bâtiment principal de l’université de Strasbourg (USDS) prévoit la destruction de la salle de la Table Ronde à l’été 2018. Fermée au public depuis 2009 pour des questions de sécurité, ouverte uniquement pour des cours de la faculté des arts et des répétitions de l’orchestre universitaire, cette salle est surtout connue pour avoir accueilli les pièces de l’Artus, le plus ancien 

ces dix sept étages où

encore aujourd’hui

d’autres lectrices

mais le livre de latin de Colette Weil (palmes académiques) née le vingt six Novembre mil neuf cent vingt six elle a ainsi quatorze ans lorsqu’avec ses parents chassée de Bouxwiller…

Sur le marbre de l’entrée de l’immeuble, 2008 : aujourd’hui comment réveiller sa mémoire, justement quatorze années après ? Heureusement qu’elle a une rubrique Wikipedia

Colette Weil.

on peut la voir exactement comme lors de ses derniers passages en Avignon où elle ne loupait rien.

Ses bouquins, en tas, sur le marbre de l’entrée : j’ai reconnu son nom – elle avait dit à son docteur qui était moi qu’elle ne survivrait pas elle avait eu raison le lacrimosa devrait être chanté sans cesse mais je ne m’en sortirais pas il remplacerait par sa splendeur musicale la détresse médicale de tant d’impuissances

elle avait eu raison, depuis son appartement dans les étages de cette tour qui dit bien le silence taiseux de l’inesthétique bunkérienne des années d’après guerre moi au pied de la tour

Wir leben ewig wir leben trotzdem (songeant à Esther Bejarano)
Esther Bejarano qui chantait.

comme aux pieds d’un concours de mutisme architectural qui dit sa passion pour le rangement des gens – business business – vous savez quand on est en haut de ces tours on voit la cathédrale gothique (passionnant!) maaaiiiis… quand on est …. en haut de la cathédrale on voit quoi… on voit le parallélépipède (silo je crie ton nom ! Silence de l’architecture je sais qu’on peut t’aimer aussi, Tours des années soixante dix vous êtes aimables aussi quoique quoique…), on voit depuis la cathédrale les trois tours de la rue ça doit pas être folichon de voir ces trois tours à la place des perspectives enchanteresses que signala Goethe depuis la cathédrale … et donc voilà : en bas de ma tour, ce jour de 2008, il y eut une petite offrande de bouquins de classe et de fac des années de l’Après-Guerre de Colette, oui les tragédies grecques, Sophocle oui il est actuel et Plaute, ( ah mes amis la dérision alexandrine n’est pas de trop en 2023 pendant que la machine à massacres se perfectionne en Ukraine ) dirait-on pas de tout le progrès technique qu’il nous tire de guerre en guerre comme un machiavélique danseur, dans un pas de deux, un danseur machiavélique qui valse avec chacun de nos gestes intelligents vers le futur pour en faire à chaque fois le pire. (Ça y est j’ai compris : l’esthétique de ma tour est mariée avec l’esthétique des bunkers comme celle de la cathédrale l’était avec le bâti des châteaux forts)

Le livre de latin.(avec dedans une affichette de pub pour un film colonial projeté en 1945 à Lyon)

je remarque tout de suite les grecs, et puis c’est écrit sur chaque livre Colette Weil la reine de tous les ami•es théâtraux – celle qui a donné au théâtre universitaire ses lettres arthuriennes en mai 1968 quand le TUS est devenu l’ARTUS – le petit tas de livres je les prends avec effroi je les empile derrière moi entre les manuels d’anatomie et les guides thérapeutiques

et, j’avoue, les écrits de Lacan et je ne dirai pas tout il va y avoir suffisamment d’énumérations ensuite dans ce texte je vais pas dire tout ce qui s’est amalgamé derrière moi comme un bouclier de superstitions littéraires. Et les livres scolaires de Colette Weil – je pense à ce qu’elle m’avait raconté de la dispersion du mobilier familial chez les voisins qui s’étaient servi et d’un portrait d’Adolf retrouvé dans un cadre qui avait servi aux portraits de la famille je crois me souvenir.

Avant hier c’était un jour gris de Février et j’ai emporté un des livres, son manuel de latin, jusque chez moi, sur mon vélo, dans la brume la nuit après le dernier patient c’était une belle brume de Février

presque comme si on était encore avant, dans les temps d’avant le réchaud et j’ai traversé le campus où régna Colette j’ai longé le spectre de la salle de théâtre de la Table Ronde, qu’elle chérissait tant au point d’en rêver la reconstruction,

De Colette on sait tous qu’elle avait vécu, enfant, dans une cité au nord de Strasbourg et au delà des bois et des collines, et l’actuel conservateur du musée juif de Bouxwiller me rappelle que les Juifs de Bouxwiller ont été expulsés par les nazis après la débâcle de juin 40, conduits en camion jusqu’à la Ligne de Démarcation en son point le plus proche, c’est à dire le Jura, côté Lons-le- Saunier. Aussi, elle était restée en plein péril, en dessous de la ligne de démarcation pendant la guerre, puis il n’y a plus eu de ligne de démarcation et elle a vu les soldats allemands de tout près – sauf que dès la libération de Lyon, elle a intégré – je le vois dans le livre de latin : « KHÂGNE LYON » et la date

           1945.

Les titres des chapitres elle les a rédigés en lettres gothiques.


Dès le premier instant de liberté (je dis ton nom) elle a été rejoindre la source tonitruante du savoir et l’a embrassée à bras son corps d’élève acharnée – on voit la somme de travail dans les pages de ce petit manuel scolaire qui au fil des pages devient universitaires et où surgissent des noms parmi les plus grands de l’enseignement littéraire d’alors.

Colette Weil en gothique.

Après la guerre ils ont voulu rentrer chez eux les potes leur ont fermé les portes aux nez –ah vous êtes pas morts ?- comme si assassins rentrant du bagne les assassins c’était qui on allait mettre du temps à se le mettre dans la tête avant de savoir qui était qui et puis pire évidemment il y a toujours pire : quand la synagogue a failli être vendue pour en faire un parking (c’était bien après la guerre et toujours une super ambiance) heureusement que le frère de Colette enseignait l’urbanisme à Aix Marseille il a su trouver les mots et alors la synagogue un musée.(je me rappelle y être allé avec Tomi un beau très beau jour le six octobre en deux mil treize il avait dessiné une statue pour le parvis on dit le parvis ?

Pas foule à Bouxwiller pour l’inauguration du monument imaginé par Tomi pour marquer l’entrée du musée juif.

Moi en 1789 mon arrière arrière arrière grand père il est là dans cette ville il est orphelin il rejoint les révolutionnaires il écrit des poésies dans ses papiers j’ai des tonnes de papiers qu’il a gardé avec son portefeuille militaire pour passer les douanes révolutionnaires puis réactionnaires puis les époques et les paradoxes pas la tête dans la guillotine surtout pas au secours il a failli c’est tout juste heureusement Robespierre en prison et alors lui sort de la prison des Madelonettes à Paris où il avait essayé d’écrire une poésie -mais en allemand, le nigaud !- sur une bataille révolutionnaire dont il aurait été un des héros près du Bastberg, le Bastberg c’est une colline pour sabbats de sorcières à côté de Bouxwiller, l’aïeul il vient de cette ville nous on croyait que cette ville était remplie de révolutionnaires mais pas tant pas tant. Comme Luther leur disait et comme la jalousie leur dictait le retour des Weil après la guerre ça a dû plutôt les emmerder ils l’ont dit en tous cas et j’imagine trop bien je sais trop bien.

Tous ses devoirs elle les a gardés, depuis la khâgne jusqu’à l’agrégation.

En tournant les pages tout d’un coup un choc.

En 1961 Mandouze demande aux agrégatifs un thème depuis un fragment de «  La Peste » de Camus vers le latin alors il demande ça est ce qu’il sait – bien sûr qu’il sait ! Eh, c’est Mandouze, un révolutionnaire aussi, le contraire d’un monstre, il sait quoi il sait qu’est-ce il sait ce que c’est que la peste de Camus, premières notes en 1940 pendant une peste à Alger – le texte est embroché par ce à quoi peut être Camus voulait tourner le dos, la Shoah. Et le fragment choisi par Mandouze, Colette le recopie de son écriture.

Colette la décharnée.

La peste de Camus.
Qu’est ce qu’elle a bien pu penser Colette en recopiant ce texte… qu’est ce qu’il a bien pu penser Mandouze, en donnant ce texte à traduire en 1960…
Sur la colline d’Ettendorf en m’y promenant j’ai trouvé le nom de Colette Weil sur une stèle.

Son livre, avec une étiquette sur la couverture de

papier

bleu pâle

C.W.

LATIN

HIs

En l’ouvrant, des feuilles calligraphiques s’échappent, scolaires ( de papier, sourd comme celui où j’écris, déposées avec d’autres livres à l’entrée encore plus sourde de l’immeuble en 2008 le passé est il aussi sourd que la mort)

la première de ces feuilles est double, y est agrafée une notule où :

 «servam itam ad locum…»

au verso, à l’envers :

 » Écrire à Paris. Blind (poème) »

puis : « Je pense être là vers 11h 1/4» signé V.J.

c’est agrafé à un thème latin du vingt avril 1961 noté «  15. Très bien!» ( et c’est le même texte dont le début est repris sur la notule agrafée :

ubi adproquinquabat vesper, e summa insula descendam liberterque, ilam et apud locum, ad ripam…»

puis, sur un fragment comme rongé : Rev. des Études Latines

Abbé Cantin,

potentiel-irréel 1947/ le 17 mars 1948

… les papiers avancent-ils à reculons vers les années de clandestinité passées pendant la guerre ?

Tout seul, sur une feuille libre, calligraphique : «  Version latine, concours général »

Sur une autre notule pliée en deux, du Cicéron, un thème : «  As-tu déjà cru que tu voyais quelqu’un, alors que tu ne voyais rien du tout ? »

Dès les premières pages du cahier lui même, une fois passée la page de garde ou C.Weil est soigneusement écrit en gothique, des dates d’exercices qui commencent en septembre 1944.

Après une centaine de pages constituées des cours et des exercices de 1944/45, une dizaine de pages vierges puis quelques copies doubles incluses dont la première est le texte proposé par André Mandouze à l’agrégation de 1960 et le travail de Colette est noté -1/20 – Colette a pris la précaution pour la postérité, au cas improbable où quelqu’un retrouverait cet exercice mais à qui donc pouvait elle songer !- d’écrire en haut et à gauche de ce cuisant échec, au crayon : «thème fait en 4h. mais je n’ai pas remis de thème écrit depuis 1949» Thème : Effet de la séparation extrait d’A. Camus, La Peste

(Question que se pose le non agrégé que je suis misérablement en 2023 combien de séparations au sein de la communauté juive alsacienne pendant… que Camus esquissait « La Peste »?)

La dernière pièce que je lui aie vu monter aura été Le retour de la vieille dame.

en effet : Nos concitoyens, ceux du moins qui avaient,le plus souffert de cette séparation, s’habituaient ils à la situation ? Il ne serait pas tout à fait juste de l’affirmer (pendant que je recopie ce texte en février 2023 les ouvriers dans la cour derrière moi sont en train d’en détruire la splendeur en recouvrant une façade de brique de 1890 avec de la laine de verre, du plastique et un crépi. Je les entends, plus innocents que moi, commettre le pire en s’en contrefoutant) Colette, elle, recopia ce texte en 1960 avant de le traduire.

Il serait plus exact de dire qu’au moral et au physique, ils souffraient de décharnement. Au début de la peste, ils se souvenaient très bien de l’être qu’ils avaient perdu et ils le regrettaient. Mais s’ils se souvenaient nettement du visage aimé, de son rire, de tel jour dont ils reconnaissaient après coup qu’il avait été heureux, ils imaginaient difficilement ce que l’autre pouvait faire à l’heure où ils l’évoquaient dans des lieux désormais si lointains.

En somme, à ce moment-là, ils avaient de la mémoire, mais une imagination insuffisante. Au deuxième stade de la peste, ils perdirent aussi la mémoire. Non qu’ils eussent oublié le visage, mais, ce qui revient au même, il avait perdu sa chair, ils ne l’apercevaient plus à l’intérieur d’eux-mêmes. Et alors qu’ils avaient tendance à se plaindre, les premières semaines, de n’avoir plus affaire qu’à des ombres dans les choses de leur amour, ils s’aperçurent par la suite que ces ombres pouvaient devenir encore plus décharnées

plus décharnées

Unica Zürn, exposition temporaire sur les rapports entre le surréalisme et Lewis Carroll, au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

décharnées, en perdant jusqu’aux infimes couleurs que leur donnait le souvenir. Tout au bout de ce long temps de séparation, ils n’imaginaient plus cette intimité qui avait été la leur, ni comment avait pu vivre près d’eux un être sur lequel à tout moment, ils pouvaient poser la main.

de ce point de vue, ils étaient rentrés dans l’ordre même de la peste (ou de la perte ?) d’autant plus efficace qu’il était plus médiocre. Personne, chez nous, n’avait plus de grands sentiments.

Tout le monde éprouvait des sentiments monotones.

 “Il est temps que cela finisse”, disaient nos concitoyens, parce qu’en période de fléau, il est normal de souhaiter la fin des souffrances collectives et parce que en fait, ils souhaitaient que cela finisse.

La ziqurat pliable, cadeau d’un génie, au dessous des rayonnages où les quelques livres scolaires de Colette Weil…
Baldun Grien

Sauveuses de livre

J’avais tenté d’écrire un livre, pas trop illisible. Ça parlait un peu des vieux de la vieille, des bords du Rhin. Et un éditeur providentiel s’était même dit intéressé, Desmaret.

Sans une voisine bienveillante, « Vos amis vous attendent » serait resté sans son lecteur essentiel. Elle avait la haute main sur une vitrine assez visible.

Hopper, Met.

Est-ce que je ne dois pas lui rendre grâces, la chanter ? Tenter de comprendre la structure du Bien qui se cache dans les replis de la robe céleste des bien-veillances ? Me demander, aussi, en quoi ce lecteur imprévu m’a été essentiel ?

Metropolitan Museum, Isis allaitante.
Apparition de deux hiéroglyphes « Ankh » (vie) dans la main d’un copte, Musée de Munich.

Cette voisine proche du lieu de mes consultations, je peux le dire, se sentait une dette à mon endroit, par la banalité d’un geste que j’avais eu à l’endroit de sa réelle misère (pas lui demander de payer ses consultations médicales) mais l’extraordinaire avec lequel elle m’a remboursé est autrement gigantesque que mon opiniâtre gratuité à son égard.

Quand mon premier livre est sorti, elle venait d’avoir un boulot. C’était après des années et des années d’une douloureuse galère(Et si l’allez voir le verrez encor bien pyre) – et où ?
Dans le tabac de la gare, au vu et au su de tous les voyageurs. Un d’entre eux, libraire, allait ce jour-là vers le Salon du Livre à Paris. Comme ma Sauveuse avait mis plusieurs exemplaires en vitrine, ça lui a tiré l’œil.

Il m’a demandé de présenter chez lui mon premier livre, qui serait autrement resté totalement confidentiel.
Du coup, grâce à elle, un peu plus tard, Thérèse la conservatrice du Musée Ungerer saurait que j’avais commis un faux polar.

C’est ainsi qu’éclaterait dans mon téléphone  la voix du dessinateur strasbourgeois le plus fameux, qui m’offrirait ensuite d’interminables joies – ALLO C’EST TOMI – la voix du moraliste qui a croqué New York dans les sixties – donc le bien, c’est quoi ? La question se posait immédiatement et me renvoyait à la chaîne des causalités ayant débouché sur cette rencontre d’un philosophe rigolard.

Tomi Ungerer, expo à Schwabish Hall


Son livre pour enfants, les trois brigands ? Un argument pour se dire qu’on a raison et être de bons soldats du Juste et du Vrai ? Son rire ? Sa résistance à dire la beauté du monde malgré les crimes et les catastrophes ? J’allais découvrir la préoccupation constante de Tomi Ungerer pour le Bien.

Octobre 2017, Tomi tout content de l’édition des chapeaux de ses Trois Brigands.

Le Bien : Les quelques sous que je n’avais réclamé pas à la voisine ? La critique spinozienne ? Avoir des biens ? Pouvoir bavarder avec un homme glorieux ?

Que flûtais-je dans ce cabinet médical ? Du pipeau comme Kafka dans sa compagnie d’assurances et son ami Brod, l’écrivain célèbre ?

Toubib … À quel bien adosser, pour qu’il soit bien assis, le Héros ? (A la sécurité sociale, mais j’en ignorais encore la magie.)

Tomi Ungerer.

Mon pare-brise (ma gueule) avait été soudain vers l’adolescence, embrassé d’un palot fabuleux – et je me rappelle le caractère complètement inexact et inapproprié de ma gratitude pour la générosité du premier patin. Rencontre d’un bien inespéré. Mais presqu’aussitôt le sentiment d’héroïsme s’est effacé derrière celui du mal.
Ma dame, victime comme moi pensè-je d’une soumission au serpent biblique, perdait cependant toute mon estime en me donnant au fil de notre sensuelle promenade, le contact avec quelques morceaux de son corps. Ça n’était pas bien, ne me disais-je même pas consciemment. Ou plutôt, il manquait à cette première femme approchée quelque chose dont évidemment j’ignorais que c’était, au plus profond de moi, l’assentiment névrotique, tissé par une dette familiale que je n’avais pas encore su écluser.

Il faudrait des années de psychanalyse avant de comprendre que, si elle perdait mon admiration, c’était dû au fait totalement inconscient de trahir le souvenir de la douceur maternelle, lors des années premières. La douceur gigantesque de son baiser m’était trahison du souvenir de la douceur qui était venue un jour apaiser mes ouin-ouins de bébé.
Et c’est en mendiant que lorsqu’elle se lassait du Palot j’y revenais (encore un coup de ce langue-à-langue ! encore !) pour me convaincre que ce toucher avait été une appropriation. Alors je me haïssais déjà – puisqu’elle se dérobait – je m’en voulais de mon propre désir, le prenant pour un besoin.- et sa lassitude je prenais ça  pour une mise aux enchères opposée à ce que je prenais pour un appétit : l’habitude, certainement, de confondre autonomie désirante et gestion des besoins alimentaires, digestifs.

Tomi Ungerer.

Sois propre, chéri, m’avait on dit quelques années plus tôt… Certainement s’agissait il d’être un propre à rien. Dans libido j’entendrais encore longtemps hideux bidon livide et en aucun cas ce cadeau glissé dans le maison des villes les plus grises, qui permet -Tomi dessinerait ça si bien, (j’imagine par exemple chaque petite maison de la cité Ungemach dont il était parfois voisin, retour d’Irlande)-  qu’on y perçoive autre chose que les comptes de fins de mois, les odeurs de cuisine et d’évacuation, la liste des travaux à faire, l’appropriation, la location ou le squatt mais aussi les cris de jouissance orgastique.

Se dire que dieu a déposé dans chaque demeure, dans chaque jupon dans chaque pantalon la possibilité d’un jouir c’est peu représenté aux cathédrales mais au contraire des panneaux avertisseurs genre freiner, stop.


Portail cathédrale Strasbourg, Bloßarsch.
Freiner STOP !

Voilà c’est là le souci là le bât qui blesse l’âne bâté par l’exploitation romaine de ses transports amoureux, bâté pour un monde organisé mille, deux mille, cinq cent mille ans avant sa naissance et qui va bien drainer et assécher toute fantaisie dans le désir.
Pour ne plus en faire si possible et malgré l’extrême difficulté, que des besoins, les besoins d’une famille, société, tribu, nation, humanité. La bien-séance va interdire aux sujets soumis comme moi, entre deux révolutions, de faire la part des choses entre un monde de leurs besoins et un monde de leurs désirs – entre un monde des fonctions et un monde extatique du sublime rêvable. 
L’homme de Bien est bien emmerdé pour faire ses besoins…

Rome, Met.

C’est du boulot, il faut dire, d’arriver à arracher le sujet à tout ce dont l’orgasme partagé pourrait l’avertir d’une possibilité d’ex-sistence ( pour ceux à qui on aurait pas encore fait le coup : ex dans existence peut être lu et a été lu mille fois comme le ex de extérieur l’existence serait une façon de se tourner vers l’extérieur, alors que vivre serait juste satisfaire les besoins du dedans, du bidon ) donc c’est vrai qu’il n’est pas facile d’arracher les gens à ce qu’ils découvrent subitement quand ils parviennent à lier la découverte de leur jouissance la plus formidable, la sexuelle, à la présence de quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes.

C’est pas facile, à partir de ce moment, de les enfermer quand même dans la dette familiale, même si leur libido en est on ne peut plus tatouée. Mais avec cinq cent mille ans de domination du sujet par son groupe, il y a ce qu’il faut de méthodes au point pour détourner la fille ou le garçon de tout ce qui ne satisferait pas simplement aux besoins du groupe. On pourrait mettre ça en mélodie. Le titre de la chanson ?  On sera tous des peine-à-jouir.

Ça doit être une des raisons qui faisaient que ma pauvre voisine Sauveuse de livre se faisait cogner par son mec et qui faisaient que son mec se bourrait la gueule jusqu’aux pires abymes de l’horreur, ceux que Dante est même pas capable de décrire dans son infierno. Dettes familiales, frustrations. Mais combien de femmes ai-je moi-même fait pleurer dans un enfer tout semblable et pareillement tissé d’ego ?

Larmes d’un automne 1976
Larmes d’un automne 1976, grange gravée d’amours tristes au long du Goul.

Mais pourquoi, ma doué, qu’on est si massivement chiants ? Au point de voter pour des abrutis dignes du Père Ubu qui sont le miroir de notre frustration collective ? Comment vous ne connaissez pas le goût du deuil ? C’est ça qui nous rend pénibles. L’angoisse de mort ?

Comment le mari de la Sauveuse pouvait il se vautrer sur elle à ce point sinon parce que taraudé par des angoisses de mort qu’il diluait dans ses cuites ? Comment puis-je me vautrer dans l’écriture sinon pour y projeter une existence qui survivrait à l’insignifiance de l’absurde? Pourquoi Tomi Ungerer était il métamorphosé à mes yeux et aux siens par le succès qui est une sorte d’ombre, d’autre fantasmatique ? Ma Sauveuse ne devait pas beaucoup parler mais de temps en temps elle devait hurler, ses fenêtres étaient un peu trop loin des miennes pour que j’entende les échos des scènes de ménage et du langage qu’elles contiennent.
S’aveugler, se débarrasser à tout prix du sentiment de l’insignifiance du moi et de l’absurdité du monde, en exploitant le saisissement d’un regard tiers, c’est ça. Quitte, dans le cas de la brute qui cognait ma voisine, à tout lui reprocher quand son regard apeuré ne le satisfaisait plus par manque d’alcool ou surgissement d’une nouvelle recrudescence de ses angoisses. Quitte, pour les plus délicats d’entre nous, à se fabriquer n’importe quelle substance d’autre, juste pour se sentir moins éteint. C’est fou ce que peut nous grandir ce que nous projetons dans le regard d’un chat de compagnie, d’un enfant qu’on empêche de grandir, d’un mari qu’on hait, d’une foule qui lit nos interviews, d’une œuvre qu’on pomponne.

Création de la femme et de l’homme comme ça s’est présenté un jour dans le cerveau et sous les pinceaux de Hans Baldung Grien.

Comme si le regard d’un autre, des autres, de tout un public, ne pouvait pas franchement périmer le sourire dentu de la faucheuse, la mort, l’extinction.

Comment s’étonner qu’un machin aussi absurde que les deuils fabrique tout un archipel de douleurs ou de manifestations, depuis la colère du mari frappeur jusqu’à la déception des fans d’une star découvrant soudain qu’elle a perdu son aura et son succès, et y ressentant comme le deuil de ce qui, dans l’être-à-l’autre glorieux, ressemblait bien pour ses admirateurs à une promesse d’éternité.

Marthaler. Saignement de Nez à la noce, Dass Weiß vom Ei L’île flottante.

La mort toque à la porte depuis bien plus que cinq cent mille ans justement : bonjour vous allez tous crever, organisez vous un peu. Pourquoi ma voisine s’est-elle elle étonnée, dans un tel cauchemar, que j’aie pu tenter d’être gentil un peu ?
Pourquoi Nina Simone s’est-elle émerveillée, dans un monde aussi cruel, de la générosité de Jacques Brel, au point d’apprendre à chanter son Ne me quitte pas ? Nina Simone, qui se demandait comment survivre, dans un monde privé de Jacques Brel ?

 
Ainsi auraient, éthico-spasmodiquement, accepté de travailler gratuitement tous ceux des toubibs qui ont fait médecine mûs par la même crampe éthique, ceux qui auraient par exemple compris que curé c’était un job où on peut pas savourer l’amour comme il pousse dans la culotte des humains !
Un montant, une somme. La nature du don, la réalité de ce bien chétif offert à la voisine par une quasi-obligation, se chiffrait – un rendu pour un prêté – et ainsi se chiffreraient aussi les biens accumulés par Tomi – fourmi prêteuse et morale. N’entraient dans les présupposés de mon geste aucun qui soit de l’ordre d’une reconnaissance de la voisine : son identité se limitait au mot de misère, aussi faux et niais qu’éloigné d’une connaissance réelle du sujet. Si j’ai avais vraiment chié gamin, j’aurais été le plus rapace et le plus pécunier des rançonneurs et j’aurais crié comme Jacques Lacan jusque dans les escaliers de sa consultation : mon argent ! Mon argent !

Mais tout ne se calculerait-t-il pas à l’aune de ce cadeau immense ensuite : la reconnaissance merveilleuse par ma voisine, battue et piétinée ? Grâce à cette reconnaissance me serait autorisée l’identification de Tomi, à travers une bonne centaine de bavardages partagés. Et à travers lui, un écho du regard porté par la foule de ceux qui le connaissent. Lui le héros.

Tomi le regard plein de reproches, été 2015.

J’ai pu observer comme tous ceux qui l’approchaient, la radicalité de son rapport au bien littéraire, la mémoire millimétrique des apparences qui nourrissait cette radicalité, l’invraisemblable précision de son trait quand la plume se posait au papier pour dire ce qu’il ressentait de ce Réel observé et enregistré.
J’étais stupéfait de le voir agir avec la sûreté d’un grand marin devant la tempête du blanc du papier et devant le flou obscène de l’ignominie humaine – un jour tu fleuriras qu’il me dit, le gars pour me consoler de mon insuccès littéraire permanent.

Claude Gelée, dit « Le Lorrain», Met. Fleurissement des odyssées incertaines. Aventure des traversées, héroïsme des pilotes et des capitaines.

Fleurir ? Être aussi glorieux que lui ?

Était-ce ça, le cadeau de la voisine : me permettre de me croire proche moi-même de la gloire qui auréolait Tomi ? Si je n’ai jamais réclamé les quelques sommes qu’elle me devait à la voisine, c’est bien qu’il fallait s’identifier aux héros : sous peine d’être un déchet.

Il y avait le blanc de leur héroïsme, il y avait la noirceur des traîtres..
Le héros c’est l’enfançon de lamaman, fait roi, au fil du temps, c’est l’adulte qu’une partie de lui se pense devenue. Et qui va régulièrement, guidé comme un drone par l’enfançon qu’il fut et qui persiste, se convaincre qu’il est resté petit dans l’immensité des temples.

Saint Antoine l’Abbaye.

Et il est d’une force ce petit David, d’une puissance surhumaine.

Alors la Sauveuse voisine de mes consultations médicales, me fut reine du ciel en pavant sa vitrine de mes petits bouquins, sous les yeux de passants qui se diraient que j’avais un contrat avec la chaîne de tous les tabacs de toutes les gares de France et de Navarre…

Annonciation. 13° siècle, Met.

     L’héroïsme cependant j’avoue le ressentir quand je m’approche des menhirs et des dolmens, cet état de choses a commencé lors de mes premiers passages en Irlande, où les dispositifs des pierres dressées permettent non seulement une forme de visée céleste et astrale et donc de la mathématique du temps – mais parfois aussi de se trouver au devant de ce mareyement océanique que petit je regardais avec joie depuis la corniche d’Aïn Diab à Casablanca, en  prenant le souffle du vent à mes deux oreilles pour la sollicitude d’une puissance dont je n’avais pas non plus idée d’à quelles lois elle répondait et qui faisait une belle musique, une liturgie formidable.

Aïe Diab, Casablanca, 1956.

La puissance immense du vent océanique chuchotant à mes oreilles m’ébahissais. Je m’inclinais devant la joie de ce bleu. J’aurais certainement été ravi, plus tard, d’être un héros capable de porter des menhirs pour dire cette joie, au fond comme les espagnols portent leurs statues sur des palanquins lourdissimes pendant la semana sancta à Pâques.
Porter quoi ? Des pierres éternelles qui crevaient les yeux dans le paysage irlandais ou dans la vieille Gaule. La force de l’éternité de pierres, tellement opposée à nos crevardises de doryphores. Ces pierres à chérir dans le paysage, pierres dont se saisir un beau jour, ah, trouver comment fabriquer du paysage autour des cadavres, du dolmen autour du pourrissement du corps des héros et du menhir pour pointer l’éternité des cycles.

Deux seins au revers du dolmen de Commana.
Commana, un jour de Juillet 2022.
Commana.
Au chapiteau de Veyrines, au XII° siècle, les mêmes seins.

Oh ! et porter quoi, sinon des morceaux d’éternité, se réunir à cent, à mille pour porter les pierres des dolmens jusqu’au lieu qui un jour…

comme à la cathédrale du Mans où un menhir était collé aux escaliers du portail

Ça manifesterait la fraternité de l’homme et de ce désir d’éternité, la confiance en l’éternité des pierres.

?


On peut se moquer d’une adoration vouée à la durée des pierres, ou se réjouir du souci d’éviter la disparition complète d’un présent une fois qu’il serait passé. S’adosser aux pierres éternelles, faute de théorie, ça repose.

County Cork.

Prêt au martyre de transporter, avec mes contemporains, ce que sont devenus les menhirs au fil du temps puis des siècles des siècles : un fonctionnement social absurde rendu obligatoire par notre explosion démographique, parmi les tours des conurbations… Et puis, outre les modèles de martyre et de héros, il y a aussi le supersage, le scribe, le mage.

Le scribe du Met.

Plutôt qu’un chaos, (alors que les pierres et les dolmens érigés il y a si longtemps, près d’un bois, d’une plage ou au sommet d’une colline, organisaient autour d’eux une magnifique orientation)  l’organisation d’un pouvoir omniscient de régulation et de distribution, dit la loi, même dans la confusion d’un Manhattan ou d’un Shangaï. Le supersage restauré l’image urbaine, planétaire, comme un menhir pointant la stricte loi de l’orientation. Non pas la simple loi céleste d’un retour régulier des solstices : la loi qui rétrécit le monde parce qu’informatique, mais une prise en compte de tout. Ainsi l’idée de l’intelligence artificielle nous tient-elle au pied de nos menhirs urbains aussi fermement que si nous n’étions qu’une petite tribu.

William H. Schenck. The third Avenue Depot, 1859, Met.

La calculette internet est devenue championne dans l’art de rétrécir le monde à la dimension d’un village. Si les temples n’arrivent plus à dominer la skyline des cités, si les cathédrales n’avaient poussé que pour ressembler à des menhirs, afin d’être aussi rassurantes que ces aimables pierres, tout ça héberge des populations suffisamment pullulantes pour écrire une bible chaque jour, que dis-je, chaque heure, rien que pour raconter comment ils ont passé leur journée, que dis-je, l’heure écoulée, et combien de fois combien de docteurs n’ont pas fait payer ses honoraires à la voisine, Sauveuse plus tard de leurs rapports au Bien.

Dorénavant, comme  le net peut déceler chaque comportement de chaque humain ou presque, c’est sous son infaillible regard fait d’équations que se discute le poids du Bien.

Est-ce qu’il ne nous faut pas déjà être beaucoup plus polis que cardinaux au Vatican ou courtisans à Versailles ? Est ce que le  simple fait d’apprendre à  se servir du clavier d’un téléphone ne nous comprime pas dans une gesticulation déférente ?

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Pendant que le regard banquier vérifie grâce au Net que l’erre de chaque gesticulation de la foule humaine soit unie vers les banques, l’Art de la Banque, lui, précisément, étonnamment, énigmatiquement, garde conscience et manifeste quelle est la puissance de l’Art sur le cours des choses et des valeurs, quelques soient leurs algorithmes.
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  Ainsi convaincu d’être martyres, fidèles parmi les fidèles, les pauvres naïfs visitent-ils aux musées ce qui fait et défait la cote boursière de l’instrument de saisissement du jouir de mille maîtres.

Gargouille, Aurélie de Heinzelin, Strasbourg.

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Car prisonniers du drame commun, les pharaons sont incapables eux aussi, le plus souvent, d’avoir fait de leur propre désir la terrible étude.
Etude effroyable, précisément celle dont l’angoisse de mort tente d’écarter le sujet depuis cinq cent mille ans.
Croire aux besoins.

Depuis la géhenne et la tour anonymissime au pied de laquelle chaque jour depuis 1989 je roule mes miettes comme un scarabée j’ai pour seul privilège la joie partageuse qui fait le fond de toute beauté.

Wir sind lebend

Gamer’s paradise adieu l’Ennui

La onzième plaie de l’Egypte c’est cette console hors de prix (et pour l’instant pas encore disponible à part dans deux points de vente… Cellui qui ne l’a point s’en tord les mains – j’ai honte d’avouer qu’ayant plus l’oreille musicale que Fidel Castro (on devait le prévenir quand l’hymne national cubain commençait, il disposait de l’oreille musicale zéro) les sons du monde me réjouissent plus que n’importe quel jeu vidéo même en réseau et je ne vous parle pas du piano, au point qu’avant hier je trépignais de bonheur lorsque l’immense soliste Marino Formenti terrorisait les trois quarts de son public par les coups dits de marteau de l’immense compositrice Galina Ustvolskaia (née en 1919 huit ans après mon père mais tellement plus moderne !), et, cependant que la poésie théâtrale m’enchantait, qui se jouait autour du piano dans plusieurs lits successivement amenés là comme le vrai écran du seul jeu qui puisse élever un enfant jusqu’à la grandeur romanesque – je ne pouvais que me précipiter, après la représentation, aussi excité que mes voisins de métro s’il se fut agi de jouer à Honeycrush ou Candypop – pour savoir qui était la non moins immense metteuse en scène Silvia Costa – découvrir alors quoi ? Que Silvia Costa mon enchanteresse d’un soir, elle a travaillé dans cette seule ville du monde où, dès le lendemain de leur première arrivée, même les touristes chinoises (surtout les touristes chinoises) comprennent qu’il faut s’habiller autrement ( ah si elles avaient connu la kitschissime Roberta Di Camerino et son palais !) : Venise !… mais diriez-vous que ce labyrinthe qu’est Venise ne serait que la play station d’un gamer perpétuel, et que ce joueur invétéré et inconscient ne serait autre que moi ? Aussi insensé que n’importe quel joueur mais ne me distrayant que de textes peut-être impénétrables et ne riant aux éclats que si de savantes musiques viennent à résonner avec mon casino intérieur déjà rempli de fanfares ?

Anne Lise Heimburger

Je suis né au dernier millénaire ; regarder quelqu’un c’est pour moi, quoique je fasse, une injonction de décryptage.
Vous êtes né du temps que les gens se faisaient chier. Naître aujourd’hui, c’est s’exposer à devoir rapidement décrypter qu’un des partenaires essentiels des géants ( les adultes -nos parents – qu’on va s’appuyer quasi- comme des dieux pendant ces six premières années qui vont nous paraitre une Eternité) c’est l’écran, celui de leurs communications téléphoniques (bonjour papayou ! Coucou mamichette !), celui de leur série préférée, celui enfin de ce jeu qui les absorbe au point qu’ils vont nous envoyer paître quand on tentera de les en distraire par notre babélien babil. Les bébés qui ont six mois aujourd’hui pendant que j’écris, ils savent que l’écran est quelqu’un de la famille, et comme tous les futurs adultes, ce savoir leur fera Réel…

A l’intérieur du Palais de la grande couturière Roberta Di Camerino.

On avait ce jeu formidable, jadis et naguère, mais c’est vrai que tout le monde n’avait pas envie d’y jouer : on disait autrui quand on croyait que l’autre hébergeait une solution. Dans la colonne immense des lieux infernaux du transport en commun, serait-ce une des plaies d’Egypte, personne ne s’ennuie, un livre magique s’est jeté aux visages des gens du sous-sol des métros et de toutes les personnes de la tribu qui a du temps à tuer, le petit écran et, le plus terrible, le jeu. Terrible ? Parce que ce serait l’abyme de toute raison : vouloir décrypter par distraction, ce qui ne serait qu’une forme d’agacerie.

Qui connait encore l’histoire des plaies d’Egypte ? Parce que, bon, merde, là, y doit y avoir de quoi déchiffrer des kilotonnes d’Histoire, de mythe, d’un rapport à la Cause en Soi voire même à l’amour d’un dieu qui serait tout de bonté ou tout de colère enfin merde du boulot… Combien de gamers propriétaires du dernier modèle de Play Station, savent quelles sont et ce que furent les plaies d’Egypte.

Est-ce que c’est un jeu vidéo ?

Quelles furent les dix plaies ? (Vite regarder sur mon qui-sait-tout)
Est-ce que ce jeu serait susceptible de distraire tous les gamers du monde qui au moment où je rédige sont dans un ouragan neuromédiatique faisant d’eux la huitième plaie pour celleux de leurs contemporain•es qui seraient en train de vouloir vraiment vivre et donc être hors du jeu, dans le vrai réel ? On serait hébétés. On entendrait un truc aussi fou que « les dix plaies d’Égypte», et on se demanderait si toute l’Histoire qui nous structure serait pas par hasard un jeu en réseau concocté dans la Silicon Valley ou à Beijin. Exilés de toute possibilité d’exister puisqu’absorbés par un jeu, fut-il en réseau, qui nous interdit tout accès à ces moments du vrai où la présence physique des autres est condition sine qua non de la joie ? Ceux qui me verraient, si j’étais le geek de base, enterré loin de tout plaisir amoureux et pour des années entières avec mon jeu, me regarderaient comme une des sauterelles enthousiastes de la huitième plaie d’Egypte, occupées à dévorer les champs de l’amour avant surtout que rien n’y prospère.

Sauf que les plaies d’Egypte ont permis la sortie d’Egypte, la libération d’un peuple qui était esclave de pharaon comme nous sommes les jouets de nos richissimes et délirants tout-puissants. Voui parfaitement observez bien à quel point nous sommes tous prisonniers de l’arbitraire de gens parfaitement malfaisants et beaucoup plus actifs que moi, mûs par une sorte de jubilation intérieure tout à fait infâme et qui en fait les maîtres assourdissants de pire qu’une play station, l’organisation funeste, guerrière et prédatrice de leurs revenus abyssaux et dont en plus ils savent parfois ce qu’ils veulent faire : jouir.
Notre asservissement nous prive en plus de tout temple (bon j’exagère j’habite la ville possédant sans conteste la plus fabuleuse cathédrale du cosmos) qui nous permettrait de nous reconnecter à une dimension de la toute-puissance du monde en soi, celle qui resplendit au delà de l’horizon encombré et cruel du jeu humain. Quelles plaies d’Egypte pourraient contraindre les pharaons actuels à nous laisser fuir vers l’espoir de renouailles avec la Nature plutôt que de nous distraire en nous jetant en pâture aux jeux en série pendant qu’on circule, ballottés dans le boucan colossal des métros, d’une misère à un asservissement ? Les yeux rivés à l’écran qu’on pianote, loin, horriblement loin et de plus en plus, du Deus sive Natura.

Parce que les temples, les rituels mystiques, ça a quand même occupé du monde. C’est Descartes, qui parlait de distraction, ou Pascal ? J’en suis étourdi. Le gamer est en prières : rendu à l’enfance, il torée l’étrange taureau du Réel – il désespère celleux qui voudraient l’aimer, se replie en riant loin de toute la pesante gravité. Il est en exil de l’Amour avec un grand a comme Alpha ? L’amour, pesante gravité à fuir, l’adoration du Réel, pesante gravité à fuir, ah! Jouer quel soulagement.

Maintenant je suis cerné par des nonnes et des moines qui ne construisent plus aucun temple vraiment crédible en tant que bâtiment d’appréhension du sublime, qui rient tout seuls en tapant sur le clavier de leur petit écran. Pire qu’un nuage de sauterelles qui s’abattrait sur les champs pas encore récoltés. Et comme des nonnes et des moines, ielles vivent dans des gigantesques conglomérations dont les sinistres ouvertures ressemblent à des écrans aveugles : confondre la banlieue de Shangaï ou l’architecture de Manhattan depuis sa surconstruction serait plus facile à un extraterrestre en week-end, que de confondre l’immortel Li Pei et l’immortel Casavetes.

Alors pourquoi leur demander d’être capables d’écouter un samedi soir les six invraisemblables sonates pour piano de l’immense Galina Ustvolskaia ? Que c’est dur de s’enthousiasmer, loin des paysages intacts de la Nature de l’Asie qui enchantaient Li Pei, ou des architectes résurrectiophiles de l’Egypte ancienne voire du gothique récent voire de n’importe quel bistro new yorkais où Casavetes n’aurait pas manqué de transcender, caméra sur l’épaule, quelque Gloria en train de chercher fébrilement où elle aurait encore oublié une providentielle ultime cigarette ?

Peut-être précisément est-ce ce dont la monumentale et contemporaine Galina Ustvolskaïa voulait nous avertir, après le Désespoir (avec un d comme Delta du Nil) des Camps et des bombes de la dernière guerre, peut-on ne pas frapper sur le clavier des comptines assez puissamment pour donner à toute notre enfance une cuirasse sanctuarisée ? André Breton lui-même il en pleurait, qu’aucune provocation du tonneau de celles, surréalistes, qu’il avait tentées avant guerre, ne soit plus sensée, après la démonstration d’Auschwitz quant à l’abjection absolue et illimitée d’un pouvoir devenu industriel du sadisme ?

Comment ne pas se précipiter dans la consolation du game, maintenant que règne l’obscurcissement, pareillement industriel, de cités trop énormes et trop monotones, puisque leur illisible architecture en réplication à l’infini coupe leurs habitants de la moindre chance de pouvoir jamais percevoir, du fond de leurs avenues, les naturelles sublimités d’un monde. cette Nature qui, n’apparaissant plus à ses habitants devenus infra-terrestres taupes, ne peut en eux fermenter l’enthousiasme ?

Tomi Ungerer , exposition au musée en Avril 2015.

Le paradoxe serait d’écrire ça – ce que je fais, écrire, je suis quand même gonflé – alors que l’écriture suppose justement un retrait, le même voire pire, moins inventif et fantaisiste que celui des gamers, galère mue uniquement par deux injonctions intérieures :

  1. Comment faire pour n’être pas, par mon écriture, une ennuyeuse punition pour qui se trouverait, par extraordinaire, amené à lire ce brouillon abandonné aux méandres virtuels du net ?
  2. comment faire mieux, à ce titre, que les concepteurs de jeux qui permettent à n’importe quel habitant du métro, de Brooklyn jusqu’à Beijin, de se réjouir intimement de n’être pas né il y a trente six mille ans, dans le monde qu’on peut voir, peint aux murs sacrés de la Grotte Chauvet, un monde glaciaire pourtant apparemment moins glauque que les tunnels où le gamer fréquente l’écran de son portable ?
  3. (Oui bon, trois)… D’autant que les ruminations qui peuplent mes arrière-pensées ne sont que l’écho d’une vie tellement banale : vu mon âge j’ai le temps de m’émerveiller de la façon dont James Joyce témoigne du Réel, de m’émerveiller que notre société, au moins depuis l’empire romain, soit devenu un peu celle d’un aveu – et qu’écrire soit une activité d’aveu quand ça ne sombre pas dans l’autopromotion – que pendant que nous nous avouons à nous même ce que nous pourrions bien être c’est en ayant sous les yeux des milliers d’années de travaux d’artistes qui nous proposent trente six façons de se sentir bien en se racontant qu’on pourrait s’échapper de la prison du moi en s’identifiant à l’héroïsme protéïforme de statues baroques ou bien classiques ou bien maniéristes ou bien surréalistes, bref, mille vertus contradictoires en rayons de l’héritage des temps. James Joyce étant lentement devenu pour moi le roi de cet été 2022, (ici on pourrait placer une première intervention d’un “modérateur” : Monsieur : nous avons conscience que vous pensez être tout seul avec votre texte. nous vous avertissons qu’il présente un grave danger social. Nous vous prions instamment d’arrêter immédiatement de parler de vos lectures littéraires comme si elles vous permettaient de prétendre à un niveau quelqu’onques dans les games édités par la société dont je suis le mandataire”)… je me rends compte qu’il y a toujours comme une régence qui s’exerce sur mon style d’aveu et donc de vie et que, du coup, les effigies enviables en quoi je m’identifie fatalement quand je pense – que ce soient des effigies de mon enfance, de la littérature ou de l’art – sont des Ogres qui me retirent l’authenticité du Sens comme il me vient a l’esprit, (ici deuxieme intervention du modérateur : ” Monsieur, cessez de nous emmerder avec la soi-disant authenticité possible d’un quelconques sens et ayez l’obligeance de retourner jouer immédiatement. Nous vous créditons gratuitement de 1000 points sur Candypop “) et ces titans que je fantasme tout seul, ça me rejette, depuis leur centralité, vers une périphérie où, coupé de mes conforts d’enfance par leur stature, je me retrouve comme un marmot en sevrage, contraint de re-fabriquer le lait d’un silence intime, loin de tout blabla et de toute communication : une crypte maternelle, inaccessible au lecteur, sans intérêt … Car si je devais réellement me rhabiller aux mensurations des héros qui me fascinent alternativement c’en sera fini de toute possibilité que le moment exquis m’isolant jadis, chérubin au Sein, puisse retrouver la moindre innocence propre à ce qui se constitua au préalable, silencieusement, extatiquement, entre la Mère et un moi enfantin dont toute culture me libère en me détachant par là-même de cette essence profonde de mon identité.

Chapelle sainte barbe
J’aurais bien mis une des décorations intérieures de la Grotte Chauvet mais j’ai pas eu le Temps. Alors hop un vitrail de la chapelle Sainte Barbe au Faouët.

Flambeau du Sens.

Est-ce qu’elle (Christiane Beck, la lettrée) se disait  «ça n’a aucun sens », quand elle nous disait vouloir disparaître ?

Christiane Beck

Elle ? Mon flambeau porteuse de Sens ?

Captiver, charmer : les plus beaux colliers géométriques que je connaisse – venant avec elle : les plus délicieux bouquets de fleur parce que :

Voilà des fleurs volées.

Et sa voix rauque aspirait au whisky. Dans le livre qui me reste d’elle, un énorme numéro des Cahiers de l’Herne consacré au Maître secret de la transformation du Mot en Toboggan, James Joyce, après la page 480, un de ses amateurs éclairés écrit cette phrase, qui me laisse les bras ballants de jalousie:

Un jour, il y a plus de vingt ans , je me mis en quête et en mesure de lire en anglais des pages de Finnegans Wake».

Oh comme j’aimerais avoir été cultivé suffisamment pour dire la même chose, sentir ne serait-ce que le centième de ce qu’évoque Joyce ? Christiane, elle, avait fait du savoir la radicale épreuve. Elle savait qu’elle était entourée d’obscurs incultes dans mon genre, alors elle tentait de faire quelque chose, Christiane enluminait le monde de ses interlocuteurs par la signification secrète de ses colliers : une jouissance jetée aux yeux pour dire le sublime du raisonnement géométrique.

Christiane Beck au Collier

Elle voulait disparaître et elle s’est éclipsée avant cette épidémie qui, faisant de la ville un désert pendant presque un an, a rendu le parvis de la cathédrale à un autre géomètre, musical, Brice Bauer et son incessante mélopée.

Brice Bauer, pendant la mise en quarantaine de toute la ville, en train d’enluminer le parvis de la cathédrale à nous en faire crever de joies.

Evidemment les afflictions des deuils s’allégeraient si le projet de résurrections inclus dans les textes d’un certain nombre de textes sacrés se trouvait par le futur réalisé : l’affliction ressentie par ceux qu’il réjouissait à la disparition de Brice Bauer – quand sa mort, après la fin de la quarantaine du covid, sa mort (à lui qui ne l’avait pas encore, la quarantaine), a privé le parvis de la cathédrale de Strasbourg de la mathématique Bauerienne qu’il y entretenait comme un bon feu, ou bien, – et si la résurrection avait lieu, pareil : l’affliction ressentie par Nicole Bonaventure quand son amie d’enfance Christiane Beck est morte en lui laissant un mot (si court mais si puissant : “pardon”) et puis, pareil encore, tous les milliards de stèles, de tombes, de regrets, de sentiments d’absences – se trouveraient soudain résolus en tous cas pour ceux qui regrettent leur disparu (mais la ou le disparu•e regrettait il vraiment cellui qui se plantait devant la tombe la stèle le dolmen l’absence ?) – si ça ressuscitait, faudrait une planète bis tant y aurait de monde, ça allègerait ça alourdirait, quel sens ça a-t-il pu avoir dans la tête des prêtres d’Osiris quand ils se sont dit, comme ça : allez, on va vendre a Pharaon l’hypothèse qu’y pourrait bien garder éternellement son ego et ressusciter allez on lui dit ça. Et puis ça a si bien marché qu’un millénaire (à peine) plus tard : ben tiens, même les chats ressuscitent. Pourquoi on s’priverait.

Trouver en tout du sens, même dans la mort, n’est ce pas comme se jouer de l’opacité essentielle du réel – et les trois deuils que je pleure à l’instant de ce texte – Brice Bauer, Christiane Beck, Nicole Bonaventure – ne sont-ils pas comme une éclipse m’obligeant à écrire, à graver sur leur stèle des noms.

Le vingt sept Juillet 2022, dans la nef grisâtre d’une église qui avait ceci de voltairien qu’elle s’appelle Sainte Candide, au moment où y résonna la géométrie musicale d’une partita de Bach je me suis dit que c’était cette musique transcendante, la Voie Lactée où eussent rêvé de se réveiller pharaons et celtes.

Circé Notté, 2019

A tous les résurrectiophiles des lointains passés : quel doux choc ils auraient ressenti si on leur avait laissé entendre qu’allait surgir un jour l’opus gigantesque des partitions du Cantor de Leipzig et que ça avait vraiment valu le coup qu’ils confient à leur descendance ce futur, où quelqu’un finirait par mettre, à force d’y croire, l’éternité en équations audibles.
Si je n’entendis Bauer jouer les suites pour violoncelle seul de Bach qu’à son enterrement, dans une nef, évidemment sublime mais en plus d’acoustique parfaite, celle de Saint Guillaume, la mélopée incessante qu’il tira (quand encore en vie) de son violoncelle quasi-disloqué, au parvis de la vertigineuse cathédrale, disait une autre forme d’éternité que celle des pharaons et que resservent les textes protestants, lui c’était une éternité plus déraisonnée que celle de Bach, non pas mue par une croyance en la permanence des egos, mais en une éternité de l’Un, de ce qu’il y a. Quand son cercueil fut emporté du choeur vers le portail par l’allée centrale de l’église, le public se mit à applaudir.

Christiane, agnostique, trouverait ça insensé d’imaginer que des applaudissements entre vivants puissent atteindre un cadavre – et encore moins que la musique de Bach puisse faire Voie Lactée aux oreilles sourdes des momies de l’Egypte ancienne – elle, flambeau porteuse de sens qui me fait parvenir, après sa propre mort l’énorme numéro des Cahiers de l’Herne sur James Joyce. Elle me signifierait que le sens du sens ne pourrait se résumer à se fabriquer un auditeur céleste, à se dire que puisque dieu me scrute j’ai un destin, à ne pas se demander si continuer de faire l’enfant en se représentant qu’on serait à jamais des petits sous l’effigie d’un grand n’est pas un aveuglement volontaire plutôt qu’un éblouissement devant la dimension du Monde.

Je lui dirais qu’à toute oreille musicale le clavier bien tempéré rend le paysage environnant à raison, même celui de désolation des villes atroces et des tunnels du métro.
Je ne m’imagine pas un pharaon se réveillant au fond d’une église de Leipzig ni que pof! il entendrait le clavier bien tempéré et se dirait nom de dieu c’est encore mieux que la Voie Lactée et une navigation céleste – par contre la vie n’a pas cessé depuis l’Egypte antique, et c’est cette vie qui s’est ré-incarnée en tous ceux qui ont pu, depuis Bach, se laisser métamorphoser l’existence à son écoute. L’écoute de Bach m’a métamorphosé. dans les gènes ce serait bien étonnant qu’il n’y ait pas une petite partie de ceux de Toutankhamon. J’écoute les cantates, j’écoute le clavier bien tempéré, j’écoute les partitas, la chaconne : le monde autour de moi, même si c’est une bagnole prisonnière d’un parking ou le métro a East New York : le Temps Retrouvé !

D’ailleurs est ce que James Joyce n’aurait pas écrit encore plus explicitement sur la Musique, si un douanier allemand n’avait pas fait péter ses varices oesophagiennes en le lanternant à la douane suisse sous prétexte que : Monsieur Joyce…. Bloom ?- (l’oeuvre de Joyce le soudait à la diaspora par le patronyme qu’il donnait à son Ulysse. Soudé à mort à l’innocence par Bloom interposé. Bloom devenu son nom-du-père ! )

Je vois se dresser devant moi James Joyce comme un acteur de théâtre qui soudain ne serait plus acteur mais sujet de sa propre vie : et proférerait du Sens. Flambeau du Sens pour libérer ceux qui n’en peuvent plus d’une vie d’esclaves au service des pharaons.

Aurait écrit quoi si pas retenu à cette douane suisse pendant la guerre par un officier allemand au point d’en péter ses varices oesophagiennes de céleste Poivrot, aurait écrit quoi… forcément son troisième chef-d’oeuvre et alors sur quoi, sur l’Éternité, et alors pourquoi pas sur la musique du clavier bien tempéré, des suites pour violoncelle seul, et sur la joie que délivrent les cantates de Bach le protestant résurrectiophile ?

Les visages, dans la rue, derrière les fenêtres du bus du tram du métro : pressés vers un but pressés l’un•e contre l’autre : un sens, à part la direction de la ligne ? Evidemment le rêve absolu ce serait l’existence d’un dieu qui aurait du temps pour nous déchiffrer : chacun de nos gestes prendrait autant de sens, subitement, que ceux des acteurs exhaussés par la sacro-sainte scène…

FLAMBEAU DU SENS ET SA VALSE AVEC L’OGRE.
Du sens, les êtres, à part l’être ? Christiane me demanderait de passer l’agrégation avant d’écrire. Nicole dirait que l’écriture est ma thérapie, illisible. Christiane n’avait pas souhaité avoir d’enfant, ou adopté, ni enfant ni personne chez elle, avec elle, et après dîner, après la farce rituelle des fleurs volées, après le whisky et quelques critiques si la discussion, entre non-agrégés, non de Normale-sup, lui était trop superficielle, on sentait cette déception : que les autres n’avaient pas assez de sens.

Soucieux de me trouver du Sens je jaillirais de mon texte comme un claudo de son abri d’infortune en disant aux lecteurs des maisons d’édition (soucieux de donner à mes textes une forme plus lisible), que mes textes m’hébergent. Christiane et Nicole, en voyant une scène aussi pitoyable, ne me réprimanderaient pas. Elles souriraient gentiment. Me chantonneraient :

-« Hop, petit coco, l’essence du sens c’est que rien n’a de sens.»

J’imagine l’horreur ressentie par James Joyce à la douane suisse pendant la guerre : il a fallu que l’officier allemand sache le patronyme juif du héros de son chef-d’oeuvre Ulysses – alors que lui est en train de tenter de retrouver Zürich un peu comme la fin tranquille d’une Odyssée – et là ce qu’il a écrit ne sert que de pièce à conviction d’un procès kafkaïen dont le procureur, le douanier !- est forcément d’un sadisme débridé par la convention national-socialiste. J’imagine la suite, la varice dans l’œsophage, due à l’obstacle sur le retour veineux que constitue un foie d’alcoolique chronique et tout d’un coup la fragile paroi veineuse se déchire et tout le sang du corps ou presque fout le camp. Le sang de Joyce. L’alcool de l’abandon – téter maman une vie durant, sucer le biberon, agripper Nora Barnacle comme la bouée providentielle d’un retour maternel et dégorger les mots pour dire jesuisjesuisjesuisjesuis et tout d’un coup en arrivant en Suisse les mots se transforment en sang.

Elles n’étaient ni fatalistes, ni Aquoibonistes, mes flambeaux Nicole et Christiane. Nicole a survécu un an à Christiane qui au moment ultime de son existence avait eu la force de rédiger pour elle un message d’un seul mot, mais si plein de sens, pour les deux amies d’une enfance qui avait contemplé l’ignominie de la guerre : pardon.

Peu avant que Christiane ne meure Nicole, épuisée, avait précisément dû faire un petit séjour en cardio. Christiane lui avait rendu visite avant de venir diner avec nous ( les fleurs avaient été volées rue d’Ypres je crois, et puis le whisky) et de dire, d’un ton scandalisé : Nicole veut même pas mourir – la question pour Nicole s’alourdissait de l’énigme d’avoir eu des enfants. Sollicitude. Pas mourir d’une manière que contredirait la joie amoureuse qu’il y a de contempler des enfants venus précisément réciter génétiquement une forme de comptine de la résurrection : mourir d’amour d’accord, mais par amour ne pas se laisser mourir.

Est-ce que c’est le nouveau-né qui donne du sens à mon sentiment d’exister, mais ça, alors qu’il est déjà en train de décrypter le monde où il vient d’émerger – et sans opposer le moindre frein à son colossal effort d’interprétation de toutes nos grimaces de frustrations, de tous nos regards inquiets, de cette pulsion immémoriale vers un savoir hérité à transmettre…

La Grand’Goule de Poitiers.

Tombeau des Ogres.

Ogre, international car où es tu absent des histoires pour enfants ?

Je rentre dans ta chambre, rien que pour enfin te voir pour de bon.
Tu es partout.

Il n’est pas une culture, j’en suis presque sûr, où l’ogre n’apparaisse pas dans l’effroi enfantin et les histoires à dormir debout des adultes. Quand j’étais petit tu ne me faisais peur que lorsque je t’imaginais – et je ne t’imaginais que dans le noir.

Dirais-tu un mot, ogre forcément réel ?

C’est, mon enfant adulte, que j’existe ougre, ougrrrr (bruit des machines de guerres) ogrrr…»

-«Croqueur de quoi, en vrai ?»

Comme les gamins occupés à manger au Sein m’ont vu surgir et s’attendent à ce que je leur croque un bout exactement comme, dès leur première heure d’existence, ils ont su faire, car ils savent cela, les marmots, attraper le sein. Et moi je vous salue maigries pleines de laits. Divinités pour amoureux ignorants, qu’est-ce que c’est constructif vos fois bâtissent des enceintes pour mettre les ogres ogrants au secret de la naïveté. Je suis le miroir amoureux de l’enfant qui ogrant sa mère apprend le verbe M et voyant un géant aimer sa mère lui, avec ses yeux tout ronds, me dit : tu vas m’ogrer comme j’ogre maman.»

-«Car je suis le géant qu’aimait maman. »

C’est entendu, à la tête de nous tous, dansent des vrais ogres.
Acteurs du pire, des guerres et de tous écrasements, ils nous réduisent, lorsque nous sommes devenus leurs sujets assujettis, à l’infantilisme. Pour chasser de nos pensées l’image monstrueuse et obsédante de leur haine de l’amour, et de leur amour d’une jouissance proprement monstrueuse, c’est un travail à temps complet de rechercher quelles mains, au milieu d’un cafard pareil, rassureraient notre certitude que vraiment nous ne sommes pas aimables puisque que les ogres qui nous dirigent, nous méprisent en plus toute la journée ?
Une divinité qui nous aimerait, vivants encore ?

Ou bien si revenaient ces foules qui surent aimer jadis leurs héros au point de transporter jusqu’autour de leurs dépouilles les rochers énormes des dolmens ?

Y en aurait encore de disponibles, des mains bienveillantes qui contrediraient l’internationale des ogres ?
Pourrait-on encore trouver des émois en puissance d’agir ? Des gens qui entoureraient notre identité regrettée de dolmens ? Ça serait, pour le coup, vraiment et absolument le contraire de l’Ogre dominant que j’entends jacasser aux News , susurrant le bruit de guerres et de meurtres.
Bref, où se cacheraient-t -elles, la sollicitude des dieux, l’exaltation des mythes et la sollicitude de foules antiques pour leurs héros ?

Dolmen de Saint Nic, vingt Juillet 2022.


Si j’ai voulu oser pousser la porte de la chambre de l’Ogre, il ne me reste dans la main que la clenche, que le mythe de l’Ogre. Si je tourne ce levier, il ouvre l’accès à l’anéantissement de tout dans une dévoration aveugle – quelle ridicule activité quand on a connu comme moi les deux porteuses de flambeau du Sens, Nicole et Christiane ( et senti derrière elles l’immense théorie de leurs semblables).

Christiane voulait l’agrégation comme un préalable au discours, sinon c’est du blabla, devait-elle se dire en espérant une mort immédiate et un bond vers le silence éternel plutôt que les inepties ânonnées par les péremptoires et les abrutis.

Christiane Beck chez elle, rue Erckmann Chatrian.

Pour la mort de Tomi Ungerer, comme Strasbourg était emplie de gens avec qui il avait été si doux, si tendre depuis les cimes de sa célébrité, immense en Allemagne, pour sa mort donc la cathédrale fut pleine – et cette nuit, trois années après sa mort et alors que je passe une quelques heures loin de Strasbourg, dans la petite chambre silencieuse des Buttes-Chaumont où surgissent étouffés pourtant les échos de Paris, la cathédrale s’est déployée dans un rêve aussi noire et vertigineusement verticale que mon sommeil.

le mur du fond le douze Novembre deux mil dix sept.


Et je voyais l’arrière de la nef, le mur sérieux qui file, vertigineusement haut, vers l’envers de la grande rosace, oeil éteint, dans mon rêve c’était également la nuit – et l’aède se tient tout au fond, comme un garde- était-ce James Joyce ? Était-ce Tomi qui l’aimait tant, même si c’est en lisant la correspondance de Nabokov qu’il s’est endormi en Février 2019 ? Était-ce, dans mon inconscient un écho de la professeure de littérature anglaise Christiane Beck, valsant avec l’Ogre du sens qu’est le processus d’écriture Joycien ?

Deux ans après la mort de Christiane, c’est bien grâce à elle que je dormais, rue Manin, la tête à côté de l’énorme recueil consacré à Joyce ! L’aède de mon rêve avait prononcé et continuait de dire un texte infiniment dense et riche et long. Peut-être ce roman, consolation de la maturité, fiction infiniment crédible et fabuleusement documentée, Ulysses ?

Pendant que je faisais mes courses Tomi m’attendait dans ma Saab et farceur s’enturbanne de mon écharpe bleuâtre.

Je sais que derrière moi l’église est aussi pleine qu’elle le fut à l’enterrement de Tomi Ungerer : toute une ville palpitant au deuil de son propre aède. Toute une ville qui regarde ce que voit ordinairement l’archevêque : le fond. Tomi avait quitté Strasbourg encore plus jeune que James Joyce n’avait quitté l’Irlande, pour New York et, depuis quarante cinq ans, il vivait dans les prairies du County Cork, cent mètres au dessus de l’Océan, sa maison et le lac cristallin et les ruines d’un château médiéval.

Au premier silence du chantre, comme c’est parfois le cas quand le public n’est pas suffisamment envoûté pour oublier de partir vite dès la fin d’un spectacle vers ses manteaux ses autos ses soupers ses marmots – je vois des silhouettes qui tentent de rejoindre portail nord et portail sud, de part et d’autre de l’aède – mais lui, il a l’autorité de les rappeler à l’ordre : alors ils refluent. Je les sens de nouveau en masse immense, derrière moi. Et devant moi de nouveau, la délectation du spectacle du mur occidental gigantesque, noble, silencieux de tous ses échos.

Goethe, l’autre Aède, auteur des Affinités Électives et du Faust…

Et quittant la prose, l’aède passe alors soudain à quelques poésies. La poésie, cri vers une grande Maman caressant éternellement les cheveux du poète, de l’inspiré, comme s’il avait encore du lait à attendre, comme si la tombe de Tomi, (ce monde où il fit disperser ses cendres), était une caresse gigantesque à l’envers, non de la façade occidentale de la cathédrale, mais de mon inconscient.

Le douze novembre deux mil dix sept, Brice Bauer de l’autre côté du Mur.

En me réveillant je me dis que cet aède de mon rêve se tenait contre le même mur de la Cathédrale que Brice Bauer le violoncelliste aussi inconnu et méprisé que Tomi fut célèbre et célébré – simplement mon aède onirique était rentré à l’envers du mur, par rapport à la place où s’est tenu pendant tellement d’annees, avec son instrument dévasté par les pluies, Brice – et mon aède : des mots pleins de sens, pas des notes échevelées en ritournelles semblables à celles de Brice, autre Leiermann, celui de Schubert (écoutez voir ce texte glaçant lorsqu’on comprend qui est le musicien des rues, d’apparence misérable et nu-pieds que croise le musicien glorieux – le musicien des rues c’est Sphinx-ta-mort.).

Mes mots vous paraissent-ils une ritournelle, Nicole, Christiane, Charlotte Delbo, James Joyce ?
Tomi, lui dont le deuil avait rempli la cathédrale, Tomi me souhaitait que fleurisse le succès de mon écriture et, à travers cela, que je fleurisse moi-même.

Les hortensias comme ils se présentaient en haut d’l’armoire de Christiane.

Mes mots un vilain bourgeon pas fleuri. Le sens que j’essaie d’exprimer : mangé par un ogre avant que mon lecteur puisse m’entendre.

Christiane-Tomi-Joyce suspendraient à leurs lèvres la Cité pendant que la nef ferait son boulot de maman… celle qui attend du sens de celui qui précisément, enfant au regard attentif, tente de la décrypter, Sein du Sens. Il observe que les vitraux paraissent en muant les lumières du jour, analyser en quelque sorte la lumière, jeter sur sa silhouette minuscule marchant dans les bas-côtés comme une surinterprétation de ce Bien qu’est le soleil.

Mais moi, ce que j’essaie de dire, d’une danse que partageraient le Sens et l’Ogre, c’est que les mots me sont arrachés comme si je n’étais qu’un joueur.

Ils deviennent, en s’échappant de ma plume, la mélodie ininterrompue de Brice Bauer devant la cathédrale

Et si je suis offert en sacrifice, à l’ogre du sens, n’est-ce pas comme les victimes sacrificielles que les celtes tuaient, officiellement pour interroger le futur, structurellement pour assurer et démontrer leur pouvoir absolu par un sadisme drapé de blanc et de gui ? Convoquer les foules, choisir la victime parmi elles ou peut-être même choisir un martyre parmi plusieurs candidats convaincus – puis, sous le regard calibré et pieux de groupes humains parmi lesquels probablement la famille, l’amoureuse ou l’amoureux de la victime : observer sa souffrance, entendre son cri, devoir se mêler au rituel de ce genre d’observation ancien :

« (Diodore de Sicile, Histoires) :”Leurs devins (des gaulois) prédisent l’avenir par l’observation des oiseaux et par l’immolation des victimes. Ils tiennent toute la population sous leur dépendance. Mais c’est quand ils consultent les présages pour quelque grand intérêt qu’ils suivent surtout un rite bizarre, incroyable. Après avoir consacré un homme, ils le frappent avec une épée de combat dans la région au dessus du diaphragme, et, quand la victime est tombée sous le coup, ils devinent l’avenir d’après la manière dont elle est tombée, l’agitation des membres et l’écoulement du sang. C’est un genre d’observation ancien, longtemps pratiqué, et en quoi ils ont foi.”

Quand le pouvoir industriel et ses guerres montrent leurs premiers gros muscles (la période noire de Goya montre parfaitement quels massacres en série permet à l’armée napoléonienne l’évolution cartésienne pré-industrielle de l’art de la guerre) – et puis la montée du grand soufflé mortuaire, le vingtième siècle, la «première guerre» – alors est-ce que c’est pas pour ça qu’on voit la musique en devenir atonale : plus de sentiment, le neutre Blanchotien (« salut Momo » écrit Grégoire Bouillet)… et ensuite encore, l’industrie en progrès et le massacre sadique traditionnel, associés dans la notion des Camps (idée précieusement conservée et très probablement encore répliquée dans des lieux de Terreur aujourd’hui, pendant que j’écris) la musique ? – se fait rafale de mitrailleuse, en 1968 mon enfance est toute ragaillardie par le même rock’n roll qui fait un peu peur aux anciens combattants – et puis la complainte du rap : Galina Ustvolskaïa n’est pas seule à précipiter ses doigts puissants contre le vertigineux pouvoir de ceux qui concentrent victimes sacrificielles, pouvoir, et certainement la paranoïa dont ils semblent, aux sommets des industries sadiennes de la domination, presque systématiquement affectés.

J’observe angoissé ce grand ballet entre le Sens et l’absurdité de l’Ogre : les celtes transformaient le crâne de l’ennemi en verre à boire, le cerclaient d’or. Les titans contemporains joignent les aéroports du monde dans des jets tout aussi dorés et sirotent, tout pareil, mille cadavres par investissement. Pour bien faire la guerre faut en jouir, y a pas. Donc aimer personne, ce serait un frein idiot, quoi. Bien haïr.

Et j’écoute Galina avec ravissement, songeant aux discussions sur la guerre qu’échangeaient devant nous Nicole et Christiane. Comme Tomi Ungerer, elles l’avaient constaté de leurs yeux d’enfants mais – pour Nicole- dans l’effroi d’ignorer où avaient été emmenés sa mère et son grand père, cependant qu’avec sa soeur elle était protégée par une héroïque directrice d’école de Saint Léonard de Noblat.

Nicole Schwab et sa soeur déjà bien avancées dans leur décryptage du monde, en Moselle d’avant-guerre.

Fin des capitales et triomphe du Réseau.

La musique qui vient de s’entrecroiser dans ma tête vient d’y faire concerter le sens et son tueur – la pensée qui décrypte et illumine contre l’avidité qui bouffe et se rengorge, replète de l’absurdité qu’elle répand autour de son siège chiottard – je vois s’approcher de ma table de travail un autre duo, celui que fait la capitale des capitales, Ur ou Beijin, Moscou, Istambul ou Delphes ou Rome ou Lisbonne ou ce qu’on veut, si elle danse avec sa divinité des divinités, celle de la Grotte Chauvet (si c’est une déesse) ou Isis ou Khâli – je sais pourquoi ce pas de deux soudain surgit et taquine mon envie de penser : c’est qu’il n’y a plus de capitale, les derniers hyper-monarques sont totalement dépassés par le réseau où chacun croit être environnés par des foules qui ne sont que solitudes, par des amis qui ne sont que spectres numériques, et les capitales de leur mégalomanie ressemblent à des prisons stériles, pendant que l’organisation capillaire des réseaux instantanés balbutient leurs certitudes, sans plus y être freinées par aucun Ordre du Discours ni modérées par la moindre rivalité d’avec le réel… ?

On entendrait comme une fugue l’idée du sens après laquelle courrait le spectre d’un Ogre mythologique et de plus en plus réel, actuel.

Le fragment du corps d’une femme, peut-être dessiné par une femme, il y a trente mille ans, est loin de toute capitale. la grotte appartenait aux ours l’hiver. Certains soutiennent qu’au contraire le grand arc qui enjambe la riviere devant la grotte de Vallon pont d’Arc en faisait un Centre mystique mêlant l’eau, la terre et l’air…

En grattant ma feuille de papier je vois se présenter dans la grotte plusieurs couples et trios de danseuses qui incarneraient successivement préludes puis fugues. Le Sens et l’Ogre sont retournés s’asseoir. Isis et l’idée de la centralité d’un Centre n’ont pas encore chanté : quelles ruminations intérieures estivales ont bien pu convoquer ce couple ? Assis en regard de la stalagmite décorée de la Grotte de Vallon Pont d’Arc, je vois enlacées la notion du Sein et celle de Solitude. (Juxtaposition qui m’a semblé captivante)

Là-bas (d’où le tendre regard des chevaux nous a captivé•es), je vois s’entraîner à une danse endiablée une représentation de James Joyce, la notion du menhir, et le concept de périphérie. Il me faut à ce stade confesser faire l’inventaire approximatif des mégalithes où que je me promène, depuis que j’ai découvert leur charme en Irlande. C’est par conformisme aussi qu’étant en Irlande j’ai cru bon d’ouvrir les premières pages du Ulysses de Joyce et donc ensuite Finegans Wake – et c’est dans ce second texte que surgit à tout instant la question phallique de l’érection monumentale des mémorials.

Enfin je sais que les coups de tambourin vers l’entrée de cette grotte (rouverte pour le ballet au monde d’il y a trente six mille ans, aurochs et mammouths compris, gigantesque glaciers revenus) c’est le trio constitué par la notion d’Aveu, la notion de régence et la notion d’identification à une génération. Dehors, idées de drôlerie, de sentimentalité maniériste rhénane et de sagesse séduisante sont encore en train de préparer le festin

Depuis que j’ai vu la «dame » de la Grotte Chauvet, elle me semble au Centre des mondes premiers, il y a trente six mille ans.

Mélopée du Centre. (Ce type est fou : maintenant il va nous assommer avec son ballet aurignacien avec des concepts en tutu !)

Tous rassemblés par nos regards portés à l’aède, nous n’avons cessé de porter aux nues, depuis les temps les plus reculés, celles ou ceux dont notre admiration assurait qu’il y avait un sens à se partager leur Dit.
– «S’il faut un centre à mon empire, qu’il soit fiscal ! Car toute ville convoque fatalement une monnaie ! Oh, ma gueule sur un potin en or ! Mon profil sur un billet ! Mon pourcentage sur une monnaie électronique, en forme d’un désir !»

-« Pauvre ahuri, si tu domines la Cité au nom de ton Dit, si nous nous prosternons devant ton pourcentage sur nos monnaies, tu vas te retrouver sans besoin : et sans besoin tu t’imagines un peu ?»

-«Que voulez vous dire, misérables cloportes désargentés ?»

-« Si tu es sans besoin, qu’est-ce qui te guidera, toi pauvre de toi si tu n’avais pas fait du désir la terrifique étude !»

-«Maman!»(cri désespéré – on entend courir la personne despotique et monétaire dans les galeries obscures de la caverne. On pourrait imaginer qu’un ours lui courre après en poussant des grognements d’appétit).«Qu’est ce que je suis venu foutre dans cette galère de l’aurignacien, trente quatre mille ans avant les premières monnaies mais que je suis conne

Le seul humain représenté dans la grotte Chauvet est une femme, réduite comme à la fontaine de sa fécondité, jambes, cuisses et vulve soudées à une identité d’auroch et à une identité de lionne. La déesse Mère aurait délivré aux premiers groupes humains errant parmi les ours et les mammouths, par sa générosité, tout le sens de l’être qui émane de la puissance animale et, en l’adorant comme le centre de tout, une humanité s’est constituée en la re-présentant. Soudain je revois Galina la femme au marteau tapant comme une lionne sur le clavier… Je me revois quittant la salle de concert, éclaboussé d’un sens salvateur après des jours et des jours à voir passer la mort dans ma ville, perdant progressivement mon insouciance, entendant ceux qui racontent les guerres d’un peu plus loin, de pas si loin, de tout près, ielles sont là devant moi, essaient de bien se tenir pour pas que je surprenne l’obscénité qu’ils ont croisée – de l’immonde bête humaine (moi). Les centres du monde ne se partagent pas que l’émission des monnaies, des modes, des langues, des lois – mais la puanteur de la charogne.
Le centre est comme sécrété par la Mère et par son attention à l’enfant. Là, nulle pestilence de charogne, mais au contraire les chairs joyeuses de l’enfant que la mère dorlote.

Isis, la déesse-mère, la gardienne des cavernes dont nous vînmes un jour mythologique, comme toutes les mamans dans la rue, croisées comme des déesses : Isis dessine au regard de son enfant comme une aurore infiniment centrale. Isis capitale.

Metz, chapeau de Jeanne Notté, Jeanne Notté soi-même, son enfant Aymée – constitution de la capitalité de Metz.

Toute divinité, fut-elle simplement du stade, nécessite pour s’affirmer telle la convergence d’attentions. Centre, foyer. Je vois Isis danser avec l’idée même du Nil comme centre du monde, et continuer ce pas de deux longtemps après que l’Egypte se fut ouverte au monde en y semant l’héritage de ses millénaires d’astronomie stupéfaite.

Et pourquoi le centre ne serait pas l’endroit le plus reculé du monde, l’ermitage muet, les pierres levées en forme de champignon colossal qui sont sous le cimetière d’Hyds, où cette vieille ferme près de Montmarault dont le paysan disait Il faut trente ans pour faire une haie. Et pourquoi ne serait-ce pas loin, très loin de tout centre que peut se dresser, ballerine cosmique, l’Isis fêtarde des bocages éperdus d’aubépines et de chévrefeuilles, la sage, celle qui sait où se trouve la plus vieille fontaine des Gaules, la Saint Patrocle ? Là, ni réseau, ni centre. Là : le chant éternel des brises secrètes d’entre buissons, là les aurores, là le cri des oiseaux, là, oui.

Les menhirs d’Hyds, dans l’Allier !

Quand je me suis penché, ayant quitté la fontaine Saint Patrocle et les menhirs globuleux d’Hyds pour les plus vieilles marches de Gaule, celles de la pierre qui me semble atrocement sacrificielle, la pierre aux neufs gradins de Soubrebost – pourquoi me suis-je penché sur la cupule en forme de corps -pourquoi, dans la partie céphalique, cette leçon de dessin donnée par l’ombre des feuillages – Oh ! Qui étais tu apparue dans ce Juillet de 2019 ?

La pierre au neuf gradins et la Femme.

Ce visage dessiné en Juillet 2019 par l’ombre des feuillages d’une chênaie, sur la partie céphalique d’une double cupule, avec sa lèvre inférieure si délicate : un retour dans nos mémoires du sacrifice si fréquemment évoqué dans les textes sur les guerres gauloises, dans Iphigénie, et dont j’ai presque senti l’haleine a Dublin devant les peaux conservées par les tourbières, de nobles tués rituellement par cent coups de poignards ? Le visage de toutes celles qui périssent dans la guerre pétrolière.
Une image accidentelle, un lieu d’écart, le dessin parfait des lèvres et d’une forme d’aspiration à quelque douceur de vivre, palpitant sous les feuilles d’une jeune chênaie, sur un petit puy juste à côté de Soubrebost : le contraire de New York ou d’Heliopolis, et soudain, central, inscrit comme une ancre à mémoire.
J’aurais dû me méfier de toute excentricité.

Sans celle de James Joyce, Lacan aurait-il osé faire le zazou avec sa lavallière ? Et l’excentricité de James Joyce ne l’amène-t-elle pas, moderne David, à se saisir de son exil comme d’une pierre à fronde pour viser le centre de sa vie d’enfant, l’humble Dublin, afin d’en faire le centre de la vie de toute la collection planétaire des tarés dans mon genre pour qui James Joyce a réécrit le monde, Ulysse et Finnegans Wake, nous faisant connaisseurs de Dublin comme les vinophiles le sont du Chambolle Musigny 1976 ? ou du La Tâche ?

J’aurais dû me méfier de l’excentricité de l’Allier, et ce nom si étrange, pour un village français, de  «Hyds» il aurait dû m’inciter à changer de chemin, à n’écouter pas la proposition de Pelletier le châtelain me disant vous savez la fontaine Saint Patrocle est la plus vieille de France, sous  «Saint Patrocle» se cache Sucellus, le dieu gaulois au maillet.

Je n’aurais pas su alors que les fontaines gauloises étaient anthropomorphes, avaient un corps et une tête.

Et ainsi je n’aurais pas été frappé par l’«apparition » sur la vidéo de la pierre aux neuf gradins, puisque du coup je n’aurais pas réalisé que, oui, le dessin de la tête charmante de jeune femme sacrifiée apparaissait précisément dans la partie céphalique des cupules.

La palpation du monde par l’espèce humaine,

Foucault pose au début des années quatre vingt, au cours de ses séminaires du Collège de France, la question : «  est-il possible », d’indicer une faculté humaine du progrès – il parle d’un progrès vertueux et il décline d’ailleurs les visages successifs de la vertu, de la démocratie, de la parole juste, chez les penseurs grecs qui ont laissé des textes, puis il parle de l’évolution de ces penseurs célèbres jusqu’aux inflexions de ceux de la Renaissance et des Lumières puis jusqu’à l’avènement du désastre blanchotien, de l’emploi dé-moralisant d’un progrès truand.

Truand oui, car, quoi du futur si le passé se dévalorise face à un progrès eblouissant, quoi du précieux Instant si le torrent d’existence qu’il croise doit être sans trace de l’autre coté de ce gai gué – et bien évidemment que dire d’une évolution de l’humanité si après autant de millénaires on reste sans outils qui émettraient la moindre hypothèse nous assurant que l’on soit en route vers autre chose qu’un perfectionnement de l’Horreur et que l’Âge d’Or serait foutaise ?
La  «triple antenne » avec laquelle chaque nouveau-né va palper puis extraire du monde ambiant pendant une dizaine d’années éternelles la substance de ce qui, toute sa vie, lui « donnera le moral » ou pas (c’est à dire véritablement sa tension vers un Bien infiniment personnel) – cette triple antenne, selon la philosophe psychanalyste Colette Soler à la claire pensée, est sensible à trois manques repérés par le génie einsteinien de tout marmot – cette antenne triple évalue, dans le mur dressé devant elle par la Toute-Puissance parentale des premiers ans, trois manques, et Soler dit :
-manque-à-jouir.
-manque-à-savoir.
-manque-à-vivre.

On peut, si une telle classification faisait sens, la prendre comme grille de lecture de la constante modification de l’humanité…. constante ?
Evidemment s’il devait s’avérer qu’il n’y en a pas, de  progression, si, inlassablement, l’humain se retrouve depuis ses débuts devant des manques en suspension éternelle… s’il ne s’est agi que d’un va et vient toujours dans la même soupe…

Pour un écrivain , il y aurait bien un avantage puisqu’alors s’atteler à la tâche de décrire la Condition Humaine, mais dans l’hypothèse scabreuse d’un Eternel Retour de la même eau sous les mêmes ponts, ce serait le privilège vain mais glorieux, de faire une oeuvre à validité définitive. Grand train de l’écrivain. Statue et marbre. Habit d’immortel.

Bon, et puis on a le droit d’en douter et il me semble que l’observation plus fine des conséquences, déjà vérifiables, d’une mise en tension historique de chaque humain par sa propre dette attestera du contraire.
D’une vertigineuse quoique peut-être vaine propulsion de l’humanité, visant un objectif.
Lequel, vers quoi est lancée notre grappe humanosimiesque, suspendue à sa goutte d’eaux polluées et à sa motte de minerais précieux ? Je suis fasciné à l’idée qu’on puisse pressentir même le début d’un commencement de figuration de la direction qui aimante tout ce bastringue.


Ainsi, et en se glissant parmi sa génération, l’humain, en même temps qu’il prend une conscience aiguë de la place précise de chaque primates parlant, de chacun de ses contemporains par notre invraisemblable sens hiérarchique, ainsi chaque humain s’est forgé sa petite pente à lui. Vers quoi grimper, que fuir, que vouloir.
Évidemment, plus grand le nombre d’humains partageant des « pentes » voisines de son inclinaison, et plus ça teintera dans la Masse – au point qu’on peut espérer ou craindre et en tous cas quantifier un mouvement résultant, une révolution, et pas forcément une annihilation réciproque de tous ces émois. Ah, si Foucault avait su ça ! Clairement il était plus calé en philosophie grecque qu’en psychanalyse.

L’idée que le progrès tienne à une résultante de la palpation de trois manques n’est pas très clairement celle d’un progrès éthique aux divers sens pris par un mot si souple. L’humanité serait lancée dans l’cosmos juste pour… régler son compte au manque de jouissance ? c’est flou, et en quoi les modes successifs des réponses générationnelles au manque-à-jouir permettraient-ils de caractériser ne serait-ce qu’un peu la direction approximative de notre errance, de ce dont s’excuse si souvent Foucault lorsque dans son Cours, pour être clair, il se répète, savoir un piétinement fastidieux – c’est bien trouble aussi.

Victor Braun 1934
Victor’Brauner 1934.

D’abord il m’apparaît impossible de parler d’un progrès équivalent entre les trois modalités : si le  « manque-à-savoir » a pu (et encore faudrait-il être sûr des modalités qui feraient de ce manque supposé un des piliers de la structuration de l’inconscient) paraître faire évoluer l’humanité dans le sens d’un progrès, que penser du  « manque-à-jouir » et d’un progrès dans nos  «manque-à-vivre»?

Le jouir humain aurait -il progressé en cent mille ans, autant que, par exemple, la connaissance ? Les connaissances ne se seraient elles amplifiées que comme l’appendice le plus décent du manque-à-jouir ? La jouissance de l’homme contemporain serait-elle plus ample par le simple fait de l’accumulation d’un héritage collectif – en un mot l’humain•e qui a du bien jouit-il plus que l’innocent•e des débuts caverneux ? Jouit-on plus aujourd’hui du fait des musées, du capital, des héritages, de la mémoire des périodes passées ?

A l’expérience je trouve pourtant hyper pratique cette division en trois modalités de perception du monde parental par le futur adulte. Le procédé des trois chapitres c’est de toutes les manières toujours élégant. J’évite, paresseux, de me demander si, de la naissance à l’âge de six ans, on ne palperait pas d’autres « manques » parmi tout ce qui fait cette Dette transmise précieusement de génération en génération par le vivant. Foucault avait fort à faire de son côté et certainement pas trop envie de devenir l’exégète de Lacan, pendant les quelques années où il a continué son travail de recherches et de cours, après la mort de son collègue en sciences de l’être …

Mais la réponse à la question de Foucault quant au mécanisme d’appropriation, génération après génération, d’une tension vers les lendemains de l’humanité, il me semble bien la retrouver dans le travail de Colette Soler : seulement voilà : qu’en déduire ? Et la paresse me reprend…

Feue Christiane Beck, se tenant le genou , Saint Avold.
Christiane Beck et un manteau à Saint Avold.

Mais ai-je le droit de paresser ?


Les trente années que je viens de consacrer en partie à la psychothérapie, en m’aidant de la notation par les patients de leurs rêves, me remplit la mémoire d’un dossier extraordinaire quant à la façon dont les dettes familiales s’y déploient, quant à la réception, par chaque sujet, des trois manques dont parle Colette Soler.

Et c’est bien évidemment à cause de mon travail que je reçois celui de Foucault, celui de Lacan, celui de Colette Soler comme le désert la pluie.

La connaissance humaine n’aurait-elle progressé qu’en fonction du manque-à-jouir ? Ça reviendrait-il pas à dire que l’homme de bien, le philosophe, l’ami du savoir, ne serait que cellui qui a du bien ? Le vrai problème c’est qu’évidemment nous avons pratiquement tout oublié des années premières, celles pendant lesquelles se forgeaient en nous même la représentation des manques fondateurs de nos aînés – il est impossible de se contenter d’interroger nos mémoires propres.

L’avantage de ma paresse étant d’éviter peut-être de découvrir que j’aurais pallié un manque par l’autre, et que mon désir d’écrire ne serait là que pour masquer par une jouissance déviante ma crainte quant à celles qui seraient plus compréhensibles : prendre son pied plutôt que la plume et raconter des histoires distrayantes plutôt que partager des interrogations auxquelles certainement tous les lecteurs avisés de Foucault ont déjà répondu.
Et le manque-à-vivre aurait-il pas pu augmenter nos longévités plutôt que la masse démographique monstrueuse du monde pullulant de vivants pas forcement très viveurs… ? Vivre à sept milliards est-ce que c’est franchement plus que si on s’était quégnié à chacun une bonne petite truffe de deux cent ou deux mille petites années même en rabiotant sur les bissextiles ?

Les Lumières, le fantasme des Lumières dans l’Europe de despotes qui commettront les pires crimes qui soient en la jetant, prédatrice hors-concours, sur le monde entier… les lumières de l’enfant ? pareil, non, pour cet enfant éclairé et qui deviendra fauve même s’il se croit innocent, complice de l’horreur administrée par cette multiplication inconsidérée de la biomasse – sept milliards de destructeurs des forêts où prospère … où prospérait, plutôt, un monde d’une beauté si parfaite -pensez à la danse nuptiale des paradisiers !- qu’on ne voit pas quel progrès on puisse y apporter en matière de jouir et que les plumages insensés des espèces disparues sont si peu insensés et si pleins de sens qu’on peut se demander quelle drôle idée a eue le primate de se perfectionner le cerveau.

Feue la Professeure Christiane Beck.


Mais peut être que les dettes accumulées par les milliards de bébés en cours, là, maintenant, à ce moment où j’écris, vont continuer de se hisser jusqu’à un équivalent mental de cette sublimité du paradisier ou des papillons ? Qu’est ce qui nous fait chérir les fleurs sinon le projet d’en approcher intérieurement ?

L’espèce serait ainsi, génération après génération, en route, dans le cosmos, vers le parfait, vers un invraisemblable parfait. Dans une insondable imperfection qui ferait justement rêver.

Feue Nicole Bonaventure et Feue Christiane Beck, radicalement amies.

Structurés en tribus planétaires, un des tissus du manque à vivre que les petits humains découvrent à leurs tribaux géants est la pulsion qu’ils ressentiront plus tard parfois, vers les savoirs historiques, tissu scénographié par les mémoires collectives du groupe humain auquel, pensant parfois sincèrement y appartenir, les petits humains délègueront une fois adulte le fantasme de leur identité. Tribalement historisé, le passé se tient bien tranquillement devant nous, on peut le regarder – et le passé que les tribus nous proposent de regarder comme nôtre (même si, européen, je ne me demande jamais à quelle tribu j’appartiens, ma tribu n’a pas même de nom, quand tous mes interlocuteurs africains ont encore mémoire de ce qui fut avant les frontières coloniales, ces peuples dont ils savent toujours les langues, au point qu’ils m’ont renvoyé à une nouvelle compréhension, par exemple, des sobriquets étranges caractérisant encore aujourd’hui chaque village, chaque ville germanique… comme autant de tribus qui ne se savent peut-être pas telle par honte des génocides … Strasbourg, tribu des Meiselocker. Et cet air entendu des charentais des bords de la Boutonne quand on leur dit qu’ils viennent d’un Bel Ébat dans les palisses ! La tribu des buveurs de pineau ? ) Le passé des tribus se tient devant nous, carrément surélevé par les estrades de ces patrons couturiers pour naufragés identitaires … Alors que l’avenir est derrière, invisible, libre de toute accroche mais faussement psalmodié par les peu crédibles oracles qui voudraient s’en servir pour nous asseoir dans le jus des identités tribales qui, précisément, nous interdisent toute individualité propre ….

Cette trame historique raconte à l’enfant ( celui que nous fûmes ou bien que sont en ce moment où j’écris les enfants de cet instant présent), avant même qu’il lui soit possible d’écouter mais juste, bébé, d’entendre -raconte la trame historique des ancêtres imaginaires et tisse évidemment déjà pour l’enfant une histoire vocalisée des manques canoniques du groupe de ses pédagogues et allaitant•es. C’est toujours ça de pris, comme boussole.

Célèbre tribu d’André Nabarro.


André Nabarro (Arts Déco 1968)


Si je ne me reconnais dans aucune identité tribale c’est que je n’en viens pas si clairement… Au contraire de la tribu, les familles resserrées comme fut la mienne, ces biotopes parfois amoureux, impriment dans ce cas (évidemment exceptionnel comme toute préciosité) sur chaque enfant une tendresse qui n’a pas à se répartir comme elle doit le faire dans les familles moins limitées, quand l’activité parentale se répartit sur une horde de pions conçus en urgence absolue, en urgence maîtresse. Là les gamins sont conçus, immémorialement comme assurance-vie, aux temps de terreur – alors qu’au nid secret des petites fratries (sororités ?) ah, comme l’atmosphère semble y bénir l’amour de deux parents pleins de connivence réelle. Parmi de tels petit groupe, trois, cinq,  « petites familles », celles où peut encore prévaloir une intimité, le sentiment de perfection fabrique forcément moins le sentiment d’un manque, dans le cerveau du mouflet. Je me représente un peu comme ça les images bucoliques de l’excessif bonheur agricole d’un  «jadis » de contes de fées : ils seraient si bien, ces gens heureux de la petite famille fragile de ceux qui ne fondent pas de tribu, qu’ils se contentent de répéter des gestes immémoriaux, labourer et cueillir, transmettre aux enfants que tout va bien et que c’est vraiment pas la peine de bouger – peut-être que cet état aura été la norme dans les jadis les plus antédiluviens, peut-être est ce à cause de ça qu’ils n’inventèrent pas la psychanalyse, ne se ressentant d’aucun manque, on peut rire mais est ce que ce n’est pas là en quelque sorte ce qui a fait des millénaires de chasseurs-cueilleurs, y a-t-il plus beau temple que la Grotte de Vallon Pont d’Arc, avec ses instantanés ramenés d’un dehors qui fait pleurer quant à la magnificence et à la puissance qu’eut à leurs yeux un monde neigeux, une course de mammouths et d’aurochs, une femme au sexe inscrit dans les jambes d’animaux totémiques, sous et dans le corps d’une lionne, sur un stalagmite plus vertigineux que les colonnades du Parthénon par son inscription dans les volumes naturels de cette grotte adorée elle-même en tant que source du Sens par ses formes ?

Femme, Grotte de vallon Pont d’Arc.

Au delà de ces quelques situations – la tribu, la famille nucléaire – l’enfant qui prépare ses désirs ultérieurs d’adulte, est aussi devant le manque en soi – celui dans lequel il se trouve, lui, et qui est manque de ce qu’aurait dû lui apporter le grand, son géant ou sa géante parentale – il ne s’agit plus pour lui, là, d’enregistrer les manques structurant la société des adultes comme lui la perçoit – mais de se sentir tatoué, fouetté, endolori par les nombreux manques qui se peuvent révéler au fil de ses années de dépendance et d’immaturité, du manque de lait au manque de voix en passant par toutes les catastrophes et la liste est encyclopédique ! Alors pourrait surgir le désir de s’approprier le distributeur de ces objets manquants – dérober au père ou à la mère la mère ou le père, vouloir remonter à l’effacement de toute douleur par l’apparente plénitude de l’appropriation d’un•e des deux géant•es parentaux. Hitlérisme de l’âme en gestation vers ses prédations ultérieures futures, quand se dressera en place d’un manque de la Mère une pulsion de dévoration du monde. L’Hitler, c’est à dire l’homme sans empathie, celui qui jouit de posséder et s’exaspère de ceux qui à ses yeux font semblant de jouir d’aimer l’autre sans avoir à s’approprier de lui le moindre objet, marque son époque de façon si dominatrice qu’on l’oublie moins que la foule des justes ses contemporains et opposants. Denys de Syracuse le tyran fait vendre Platon pour punir son estime du Bien philosophal. L’industrie de la consommation pornographique des corps consomme plus d’énergie que toute autre sur l’internet. Et quand Rémi Bonaventure, horrifié par l’aventure nazie, croit apercevoir une éclaircie dans le Communisme, les procès staliniens le font rapidement déchanter et il planque ses livres communistes dans un petit enfer de sa bibliothèque.

Rémy Bonaventure.

Si disparaît le Rival culpabilisant dans cette configuration de la prime enfance, si meurt lepapa, ou Dieu, ou Mère, ou toute déclinaison envisageable de cette effigie première que fut la maman, vers quelle pente future se presse le minot sinon vers l’envie toujours d’effacer le géant inquiétant, l’autre de l’Autre,  Océane ou Ogre, Océan ou ogresse ?

Enfin il y aussi, mais au terme des années de gestation de l’inconscient du sujet, la découverte justement de l’autre – quelle est cette première personne que l’on envisage autrement qu’un•e géant•e géante ?

N’est ce pas souvent la grand-mère, un instituteur, une voisine ? Regardé•e avec stupéfaction comme identifiable, avec soudain la compréhension des plaisirs qui la ou le meuvent. Mamie buvant son café. La tasse. Le fauteuil derrière elle. Le tableau qu’elle regarde longuement. Le moment même où s’éteignent au fond les mécanismes de la fabrication de l’inconscient gigantesque tramé par les six premières et éternelles années au pays des géant•es. Le surgissement de l’autre marque-t-il le début de la fin d’une éternité enfantine ?


Cary Planchenault, Modèle de l’être-à-l’autre.

Et enfin alors seulement surgit ce sentiment de l’Un – vers quel progrès tout ça mènerait il l’ensemble humain, Parménide y travaillait déjà et certainement les peintres de la grotte Chauvet aussi… Mais non, en aucun cas précisément cette palpation du Réel par l’imaginaire d’un enfant, d’un million d’enfants, ne pourrait justement s’illusionner et penser un Manque de l’Un… fut il l’unique, l’insécable, le premier à la fois comme dans la prose du divin Empédocle.

Quand je dis « et enfin le surgissement de l’Un » c’est tragi-comique. Comme on présenterait une boule de cristal, une potion magique, un pendule d’hypnotiseur – pourquoi le Un arriverait-il enfin sinon pour avoir pris ses moires et ses ailes de papillons séduisantes dans les discours les plus séducteurs et donc captieux, du Parmenide à Spinoza pour ne pas parler de la chicane qui le rétrécissait, cet Un, en l’étant de l’instant avant que Levinas le réouvre à l’être à l’autre en sa dualité fondatrice – comique parce que les trois valences identifiées par Colette Soler dans son étude minutieuse des contradictions et évolutions révolutionnaires du propos lacanien, parce que ces trois valences ne simplifient pas l’invraisemblable différance entre les milliards de morpions qui opposent à la dette dont ils héritent, déjà infiniment multiple selon le hasard du lieu et du groupe humain où ils surgissent, leur infinie diversité. Quant à moi, en trente années d’écoute, certes flottante (mais quand même!) , il ne m’est jamais arrivé d’entendre deux personnes rêver de semblables rêves. Ce qui laisse bien comprendre que l’inconscient est plus caractéristique encore, et c’est une évidence, que mettons une empreinte digitale.

Sept milliards de postures différenciées vis à vis de centaines de milliers d’origines bien différentes, et là dessus cette question de l’évolution du rapport au Bien posée par un Foucault qui précise dans son séminaire de février 1983 combien pour l’analyse grecque antique du sujet, même une société parfaite et idéale ne laisserait pas l’humain libre de la nécessité de se doter d’un gendarme de la sexualité…

L’apocalypse du Bien dans le regard d’un maître bienveillant comme Spinoza, qui commence l’Ethique en proposant qu’on se débarrasse de la libido, c’est la scie qui grince au début des Lumières comme, au soir des séminaires de Foucault, la nouvelle pour lui inaudible qu’un virus viendrait cibler en premier ce qui réveillait précisément, son désir. L’invention d’Aides par son compagnon, après sa disparition, a sonné je m’en souviens le début d’une révolte contre l’impossible aveu dans lequel était alors (comme dans les sociétés militarisées d’aujourd’hui, comme dans les millénaires du monachisme égyptien préfigurant ceux du monachisme romain) l’homosexualité – que seul le secret permettait de transporter au sein de la société. Aussi le moment où Foucault interroge la nécessaire clef de voûte morale sexuelle à une société qui pourtant serait déjà  parfaite et répondrait à la topique utopique – aussi est-il vertigineux, pour nous qui avons la chance de l’observer depuis le sommet des quarante années qui nous en séparent – ce rappel par le philosophe de la préoccupation déjà platonicienne
du libidinal qu’avait étonnamment d’escamoter le genial sommet de l’Ethique de Spinoza, mais devant laquelle ne se détourne pas la psychanalyse pourtant si redevable a ce penseur.

Vivre, jouir et savoir plus amplement, plus amplement que la génération précédente.

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