Anatole Coizard de l'océan maudit

Catégorie : Oracles de la Pythie de l’Ill

Tentative de définition ou tentation d’défininive : la halle du marché de Bâle la ville sœur de Celle du Hans im Schnockeloch c’est à dire d’un type certain de Strasbourg jamais content de ce qu’il a mais ce qu’il n’a pas alors ça…

L’impossédable, le jeté, l’insatisfaisant.

Mille fois refait le geste que je voudrais définir serait intérieurement de s’attaquer au jeté, non pas le pas de danse, non.

Ni quelque plaidoirie contre le continent des plastiques qui s’amassent en plein océan, toute apocalypse trouvera bien ses déclinaisons même celle de nos villes si peu sexy depuis que le charme discret des vieilles baraques s’est effacé devant le structuralisme de nos empilements – et que nous (ce « nous » qui se définit comme une biomasse de concurrents acharnés par les luttes pétrolières ) cherchons avidement quels édens nous n’aurions pas détruits.

Il paraît que c’est l’effet des marchés. Nous, du marché. Nous, du plasticocène.

Le je s’oppose artistement au nous. Les géants du je, les héros qu’on se fait, leur signature s’appose encore, comme les vieilles baraques s’opposent encore, par la douceur de vivre qui peut encore s’y partager (cheminée, flambées, au fond du jardin les espaliers, rameaux croulants de fleurs, hivers surlignant par neiges les branches des vergers dans l’encadrement des vieux châssis de fenêtres au verre irrégulier.) De même, certain•es je parviennent encore à opposer à l’apocalypse insignifiante de la révélation industrielle d’une marée de nos déchets, leur Dire dévoilant. Une apocalypse insignifiante, lapalissade paradoxale malgré la mort qui rôde et tend ses bras si fort.

c’est énigmatique ?

Il me faut cependant contourner les apparences. En 2018 j’avais déjà été impressionné par le mécanisme de discrétion qui caractérisait le travail de François, apposant sur des images existantes un appareil de gommettes…

François qui n’avait pas commencé encore sa geste et sa geste serait, dès 2019, de descendre à la nuit tombée dans les caves collectives de son immeuble et là, au fond du garage, d’y retrouver ce qu’il appelait le bac jaune, pour y relever les emballages en cartons jetés là. Voilà contournée cette apparence d’énigme que pouvait contenir la proposition « s’attaquer au jeté »… Mais quel est ce pas de danse, ce jeté qui rira bien qui rira le dernier, le dernier des rebuts ?

François et les cartons encadrés après leur remontée depuis l’abîme du bac jaune du garage.

Comme un prêtre égyptien il remontait ces cadavres de boîtes vers la lumière du jour et, embaumement, les dépliait, allait récupérer des cadres abandonnés dans une déchèterie ou en acheter pour trois fois rien chez « Emmaüs » ( mais qu’est ce donc qu’ »Emmaüs », historiquement ?), et installait chaque cartonnage déplié dans un cadre puis, se tournant vers le propre emballage de ses propres jours, il les prenait et il les disposait ensemble sur la surface de ses murs. (Il se tourna, il les prit puis il les disposa ensemble …)

Après mon passage à New York

Après un passage au Whitney muséum je trouvais anormal que les travaux antérieurs de François n’y fussent pas déjà mentionnés (il recouvrait des images avec des gommettes, préfiguration de l’élision d’l’auteur qui m’remplissait d’élation….

Janvier deux mil dix neuf. Ils partîmes une poignée et z’arrivâmes a plus de mille…

Thérèse Willer, la conservatrice du musée Tomi Ungerer, a été plus loin, et après avoir constaté aux murs de François plusieurs centaines de cartons aux ailes déployées, elle a décidé avec Dimitri Konstantinidis, instigateur d’une galerie déposée entre institutions européennes et quartiers des sans-besoin, d’organiser, et c’était juste après le passage vers l’abîme de Tomi Ungerer, une exposition montrant conjointement les façons de détourner les objets des deux inattendables personnes. Expect the unexpected, aimait à répéter ad nauseam Tomi.

Toute la ville se recueillant une dizaine de jours après que Tomi, annotant une correspondance d’un écrivain qu’il aimait, se soit éteint en Irlande chez sa fille Aria.
Tomi s’éteignait précisément au moment où sans m’en apercevoir, le neuf fevrier au lieu de recopier un arlequin vénitien de Tiepolo, je fabriquais un Finnegans Wake bien irlandais tout verdi.

C’est donc après avoir visité le Whitney et avant le blocus sanitaire de l’épidémie du Pangolin que l’héroïque Thérèse, rendant visite aux appartements de François, décidait d’organiser une exposition dans les locaux d’Apollonia…

Dix huit Juin… 2019… l’Appel… Massuuuuuuuu! Madame Thérèse Willer bientôt à la manœuvre !


Soudain il fallait peser l’âme des cartons morts. Savoir si de leur période fonctionnelle ils avaient gardé trace de quelque faute et comment Anubis l’évaluerait.

Tomi en 2017 à Threecastlehead…Mais Tomi ne sera plus là pour assister à la résurrection du fameux Touthankarton. Oh ce jour là il me regardait si intensément que je me suis dit j’ai enfin un ami en Irlande
L’atelier a Threecastlehead
L’aquarelle du neuf février 2019 à sept heures trente quatre. C’est dans une heure que Thérèse m’avertira de notre esseulement par l’extinction de Tomi.
Le deuil et les larmes dans l’auberge du Schwartzwald a dix heures du matin…
Lanterne de déploration posée à la Villa Ungerer le soir. O vanitas vanitatis…

Ainsi Tomi n’était il plus là pour le dire ce qu’il aurait pensé de cette épidémie qui nous a tous masqués dans un gigantesque carnaval d’effrois. Mais Thérèse Willer avait déjà pris, avant que le premier pangolin couronné se soit fait bouffer, sa décision d’exposer les jetés repris au bac jaune de son immeuble par François Duconseille. Aussi la pangolépidémie allait-t-elle jeter un de ses étranges décrets sur la première sortie triomphale des édits du Néant arrachés aux rebuts par la geste Duconseillère .

Brice Bauer jouant pour la ville déserte comme il avait joué pour la ville bruyante. Juste avant de cesser pour toujours sa fabuleuse mélopée.
Oh quel silence affreux depuis que tu n’es plus là pour dire que c’était une cathédrale derrière toi.

Les affiches avertissant de l’expo seraient suspendues comme des fantômes pendant des mois et des mois et des mois, ça tandis que la ville, comme toutes les villes du monde de l’Effroi, se transformait en Pompéï. Rues mortes et permis de marcher.

Un déluge de signifiants et en même temps (je veux dire que les temps sont à la caricature) : Lacan supplanté par les antidépresseurs.

Les cartons encadrés pouvaient bien attendre. Comme les très grands crus de Bourgogne cette attente, et ensuite la tragédie en quelque sorte, qui voudrait que l’exposition à peine ouverte soit immédiatement interrompue toujours à cause du pangolin et du virus couronné … comme les grands crus les cartons sauvés des eaux par Thérèse Willer profiteraient de la brièveté infinie de l’ouverture de l’exposition pour revenir en toute puissance dans la ville qui a toujours su prêter secours à Strasbourg par un décret médiéval. Assistance serait portée à l’habitant de la république de Strasbourg. Par Bâle. Mais longtemps après l’épidémie. Car d’abord les cartons trouvaient le chemin d’Apollon, et étaient hissés comme autant de pieds de nez, sous le regard des objets (pelles, outils.., ) ressuscités par Tomi.

Tomi ressuscitait depuis la tombe.

François officiait depuis l’existence.

François officiait de son vivant. Mais tous nous étions devenus spectre, et quand après des mois de clôture hermétique de la galerie d’exposition il y eut ce brévissime vernissage, de quoi avions nous l’air et comme Tomi l’aurait dessiné !

Vernissage du 29 Novembre 2020 et puis hop fermeture !!!!!

Que purent se dire les étudiants de l’Ecole des Arts Décoratifs, suspendant méticuleusement la mise en scène des cartons promis à la réincarnation d’une ré-présentation, arrachés à leur fonction pour édicter un sens, se travestir en totems, en silhouettes, en masques, en effigies de l’irreprésentable.



Je sentais se rapprocher le Whitney museum … I had the feeling Whitney was getting closer to the satisfaction of ever unsatisfied Hans of Schnockeloch… Quelque chose du triomphe de la non signature, quelque chose de l’effacement absolu du sujet derrière le cadavre même de l’humanité consommatrice.

Exposition Mary Corse, Whitney, 20 Juillet 2018 à 14 heures.

Boîtes dépliées bras en croix transformées en Adonis suaves attendant l’âge parfait, 33 ans, pour rejoindre une révélation mais de quoi sinon de l’attente du créateur – Tomi créateur, le télépathant, va savoir s’il ne m’a pas VRAIMENT diligenté un cours de dessin de loin, à moi l’insignifiant, à moi qui suis si pataud , un cours de dessin pour que je recopie bien, le matin même où peut-être ses pensées croisaient celles de tous ceux si nombreux qu’il a chéri, moi tentant d’aquareller une copie du polichinelle de Tiepolo pendant que Tomi annotait les correspondances de Nabokov dans son lit au Comté de Cork… Qui va servir d’Anubis pour juger des fautes passées des emballages, des cartons et des jetés (comme dans le « Messie » de Haendel : He was despised he was rejected…). Évidemment l’osiriaque François et tous les pratiquants de l’art de la Représentation (oh convoquez s’il vous plaît la femme qui dessina si bien dans la Grotte Chauvet il y a trente cinq mille ans), oui.

Vallon Pont d’Arc.

François créateur des gorgones-carton et des gargouilles-carton greffées spontanément comme autant de greffes automatiques, de surjets-Rohrschach, d’hypnose, sur les décombres même de la cave du Schnockeloch, (les appartements du créateur sont au long de ce ruisseau qui en porte le nom – Schnockeloch, haut lieu de l’insatisfaction universelle puisque la comptine alsacienne le dit «  Der Hans Im’Schnockeloch , L’Hans su trou à moustiques hat alles was er will il a tout c’qui veut awer was er hat er willer nèt mais c’qu’il a il en veut pas un was er will er hater nèt et pis c’qui veut ben il l’a pas. » Le désir d’avoir la grandeur de l’abîme voilà. Mais tendrement. Par l’extrémité la plus tendre. Et la plus désirable. Strasbourg membre planétaire, Dublin Joycienne offerte aux lectures de toutes les Marylin du futur.

Ainsi de la maladie de la mort, mon avoir le plus sûr. Mon cadavre ne vous ressemblera pas mais quand il restera que la poudre décomposée, les ossements, je serai l’image de tout un chacun et je dirai l’abîme avec la grandeur qu’aucun écrit qu’aucune légitimité, qu’aucun empire, qu’aucune bataille ni aucune Thèse ne me donnera jamais.

Vingt neuf Novembre Deux mil vingt, galerie Apollonia, Strasbourg.

Incroyable abîme de l’exposition première des œuvres de François à Apollonia par temps de blocus et avant la guerre en Ukraine. Incroyable prise de note par Bruno Carpentier l’immense dessinateur de nos mondes, debout devant les cartons ressuscités.


Et puis, l’exposition clôturée précipitamment il n’était possible que d’y repasser dans une forme de désert.

Bruno Carpentier.

Oui, de clôture pour observer les momies d’emballage attendant le regard de quelque Dieu qui saurait rappeler tout l’engrenage qui jette les créateurs les plus humbles jusqu’aux coffres du marché de l’art.


Et soudain la nouvelle m’a déchiré tout reste de désespoir pour ne plus laisser (et pourtant la guerre, tout près) que le gazouillis printanier des oiseaux. Les objets du «  bac jaune » vont faire réapparition et rester visibles pendant trois mois dans la halle du marché de Bale.

Socle de la statue offerte par Strasbourg à Bâle en souvenir du secours apporté aux blessés du blocus de 1870.

O Bale la sainte qui déjà nous dépêcha ses secours pendant l’atroce siège de 1870 … o noble peuple .

Whitney le vestiaire où j’avais pris en photo mon téléphone mis à recharger près de la prise et du coup francois m’a offert l’encadrement d’un emballage de téléphone jetable.
Le projet au MarktHalle de Bâle.
Il ne me reste plus qu’à espérer le passage de Christophe Marthaler au marché de Bale dans quelques mois pour que la boucle soit bouclette…Christoph Marthaler (born 17 October 1951, in Erlenbach, Switzerland) is a Swiss director and musician, working in the style of avant-garde theater, such as Expressionism and Dada, a theater of the absurdelements.

Le Retour de Colette Weil

Quinze Février 2023, le papier est papier.
la radio diffuse un quatuor : elle non plus, pas plus que le papier où j’écris, elle ne m’entend pas – comme Narcisse qui met du monde au miroir et s’y croit regardé par un public ombreux, comme un idolâtre qui mettrait une présence au plâtre de ses statues

Papier sourd.

Depuis Octobre ou Novembre 2008, au rez-de-chaussée d’un immeuble où j’écoute avec un stéthoscope le murmure des poumons et des valves cardiaques, le recueil scolaire d’une agrégée de lettres, ramassé sur le marbre de l’entrée. Les livres scolaires de Colette, déposés dans le hall d’entrée pour la mémoire des voisins si nombreux, par ceux de ses amis qui vidèrent après sa mort l’appartement je ne sais plus auquel des dix sept étages

ces dix sept étages où

encore aujourd’hui

tant d’années après que les nouveaux étudiants ignorent peut être qu’il y eut une Salle de la Table Ronde

C’est une page de la culture à l’université qui se tourne. Dans le cadre du plan Campus, le projet de réhabilitation du bâtiment principal de l’université de Strasbourg (USDS) prévoit la destruction de la salle de la Table Ronde à l’été 2018. Fermée au public depuis 2009 pour des questions de sécurité, ouverte uniquement pour des cours de la faculté des arts et des répétitions de l’orchestre universitaire, cette salle est surtout connue pour avoir accueilli les pièces de l’Artus, le plus ancien 

ces dix sept étages où

encore aujourd’hui

d’autres lectrices

mais le livre de latin de Colette Weil (palmes académiques) née le vingt six Novembre mil neuf cent vingt six elle a ainsi quatorze ans lorsqu’avec ses parents chassée de Bouxwiller…

Sur le marbre de l’entrée de l’immeuble, 2008 : aujourd’hui comment réveiller sa mémoire, justement quatorze années après ? Heureusement qu’elle a une rubrique Wikipedia

Colette Weil.

on peut la voir exactement comme lors de ses derniers passages en Avignon où elle ne loupait rien.

Ses bouquins, en tas, sur le marbre de l’entrée : j’ai reconnu son nom – elle avait dit à son docteur qui était moi qu’elle ne survivrait pas elle avait eu raison le lacrimosa devrait être chanté sans cesse mais je ne m’en sortirais pas il remplacerait par sa splendeur musicale la détresse médicale de tant d’impuissances

elle avait eu raison, depuis son appartement dans les étages de cette tour qui dit bien le silence taiseux de l’inesthétique bunkérienne des années d’après guerre moi au pied de la tour

Wir leben ewig wir leben trotzdem (songeant à Esther Bejarano)
Esther Bejarano qui chantait.

comme aux pieds d’un concours de mutisme architectural qui dit sa passion pour le rangement des gens – business business – vous savez quand on est en haut de ces tours on voit la cathédrale gothique (passionnant!) maaaiiiis… quand on est …. en haut de la cathédrale on voit quoi… on voit le parallélépipède (silo je crie ton nom ! Silence de l’architecture je sais qu’on peut t’aimer aussi, Tours des années soixante dix vous êtes aimables aussi quoique quoique…), on voit depuis la cathédrale les trois tours de la rue ça doit pas être folichon de voir ces trois tours à la place des perspectives enchanteresses que signala Goethe depuis la cathédrale … et donc voilà : en bas de ma tour, ce jour de 2008, il y eut une petite offrande de bouquins de classe et de fac des années de l’Après-Guerre de Colette, oui les tragédies grecques, Sophocle oui il est actuel et Plaute, ( ah mes amis la dérision alexandrine n’est pas de trop en 2023 pendant que la machine à massacres se perfectionne en Ukraine ) dirait-on pas de tout le progrès technique qu’il nous tire de guerre en guerre comme un machiavélique danseur, dans un pas de deux, un danseur machiavélique qui valse avec chacun de nos gestes intelligents vers le futur pour en faire à chaque fois le pire. (Ça y est j’ai compris : l’esthétique de ma tour est mariée avec l’esthétique des bunkers comme celle de la cathédrale l’était avec le bâti des châteaux forts)

Le livre de latin.(avec dedans une affichette de pub pour un film colonial projeté en 1945 à Lyon)

je remarque tout de suite les grecs, et puis c’est écrit sur chaque livre Colette Weil la reine de tous les ami•es théâtraux – celle qui a donné au théâtre universitaire ses lettres arthuriennes en mai 1968 quand le TUS est devenu l’ARTUS – le petit tas de livres je les prends avec effroi je les empile derrière moi entre les manuels d’anatomie et les guides thérapeutiques

et, j’avoue, les écrits de Lacan et je ne dirai pas tout il va y avoir suffisamment d’énumérations ensuite dans ce texte je vais pas dire tout ce qui s’est amalgamé derrière moi comme un bouclier de superstitions littéraires. Et les livres scolaires de Colette Weil – je pense à ce qu’elle m’avait raconté de la dispersion du mobilier familial chez les voisins qui s’étaient servi et d’un portrait d’Adolf retrouvé dans un cadre qui avait servi aux portraits de la famille je crois me souvenir.

Avant hier c’était un jour gris de Février et j’ai emporté un des livres, son manuel de latin, jusque chez moi, sur mon vélo, dans la brume la nuit après le dernier patient c’était une belle brume de Février

presque comme si on était encore avant, dans les temps d’avant le réchaud et j’ai traversé le campus où régna Colette j’ai longé le spectre de la salle de théâtre de la Table Ronde, qu’elle chérissait tant au point d’en rêver la reconstruction,

De Colette on sait tous qu’elle avait vécu, enfant, dans une cité au nord de Strasbourg et au delà des bois et des collines, et l’actuel conservateur du musée juif de Bouxwiller me rappelle que les Juifs de Bouxwiller ont été expulsés par les nazis après la débâcle de juin 40, conduits en camion jusqu’à la Ligne de Démarcation en son point le plus proche, c’est à dire le Jura, côté Lons-le- Saunier. Aussi, elle était restée en plein péril, en dessous de la ligne de démarcation pendant la guerre, puis il n’y a plus eu de ligne de démarcation et elle a vu les soldats allemands de tout près – sauf que dès la libération de Lyon, elle a intégré – je le vois dans le livre de latin : « KHÂGNE LYON » et la date

           1945.

Les titres des chapitres elle les a rédigés en lettres gothiques.


Dès le premier instant de liberté (je dis ton nom) elle a été rejoindre la source tonitruante du savoir et l’a embrassée à bras son corps d’élève acharnée – on voit la somme de travail dans les pages de ce petit manuel scolaire qui au fil des pages devient universitaires et où surgissent des noms parmi les plus grands de l’enseignement littéraire d’alors.

Colette Weil en gothique.

Après la guerre ils ont voulu rentrer chez eux les potes leur ont fermé les portes aux nez –ah vous êtes pas morts ?- comme si assassins rentrant du bagne les assassins c’était qui on allait mettre du temps à se le mettre dans la tête avant de savoir qui était qui et puis pire évidemment il y a toujours pire : quand la synagogue a failli être vendue pour en faire un parking (c’était bien après la guerre et toujours une super ambiance) heureusement que le frère de Colette enseignait l’urbanisme à Aix Marseille il a su trouver les mots et alors la synagogue un musée.(je me rappelle y être allé avec Tomi un beau très beau jour le six octobre en deux mil treize il avait dessiné une statue pour le parvis on dit le parvis ?

Pas foule à Bouxwiller pour l’inauguration du monument imaginé par Tomi pour marquer l’entrée du musée juif.

Moi en 1789 mon arrière arrière arrière grand père il est là dans cette ville il est orphelin il rejoint les révolutionnaires il écrit des poésies dans ses papiers j’ai des tonnes de papiers qu’il a gardé avec son portefeuille militaire pour passer les douanes révolutionnaires puis réactionnaires puis les époques et les paradoxes pas la tête dans la guillotine surtout pas au secours il a failli c’est tout juste heureusement Robespierre en prison et alors lui sort de la prison des Madelonettes à Paris où il avait essayé d’écrire une poésie -mais en allemand, le nigaud !- sur une bataille révolutionnaire dont il aurait été un des héros près du Bastberg, le Bastberg c’est une colline pour sabbats de sorcières à côté de Bouxwiller, l’aïeul il vient de cette ville nous on croyait que cette ville était remplie de révolutionnaires mais pas tant pas tant. Comme Luther leur disait et comme la jalousie leur dictait le retour des Weil après la guerre ça a dû plutôt les emmerder ils l’ont dit en tous cas et j’imagine trop bien je sais trop bien.

Tous ses devoirs elle les a gardés, depuis la khâgne jusqu’à l’agrégation.

En tournant les pages tout d’un coup un choc.

En 1961 Mandouze demande aux agrégatifs un thème depuis un fragment de «  La Peste » de Camus vers le latin alors il demande ça est ce qu’il sait – bien sûr qu’il sait ! Eh, c’est Mandouze, un révolutionnaire aussi, le contraire d’un monstre, il sait quoi il sait qu’est-ce il sait ce que c’est que la peste de Camus, premières notes en 1940 pendant une peste à Alger – le texte est embroché par ce à quoi peut être Camus voulait tourner le dos, la Shoah. Et le fragment choisi par Mandouze, Colette le recopie de son écriture.

Colette la décharnée.

La peste de Camus.
Qu’est ce qu’elle a bien pu penser Colette en recopiant ce texte… qu’est ce qu’il a bien pu penser Mandouze, en donnant ce texte à traduire en 1960…
Sur la colline d’Ettendorf en m’y promenant j’ai trouvé le nom de Colette Weil sur une stèle.

Son livre, avec une étiquette sur la couverture de

papier

bleu pâle

C.W.

LATIN

HIs

En l’ouvrant, des feuilles calligraphiques s’échappent, scolaires ( de papier, sourd comme celui où j’écris, déposées avec d’autres livres à l’entrée encore plus sourde de l’immeuble en 2008 le passé est il aussi sourd que la mort)

la première de ces feuilles est double, y est agrafée une notule où :

 «servam itam ad locum…»

au verso, à l’envers :

 » Écrire à Paris. Blind (poème) »

puis : « Je pense être là vers 11h 1/4» signé V.J.

c’est agrafé à un thème latin du vingt avril 1961 noté «  15. Très bien!» ( et c’est le même texte dont le début est repris sur la notule agrafée :

ubi adproquinquabat vesper, e summa insula descendam liberterque, ilam et apud locum, ad ripam…»

puis, sur un fragment comme rongé : Rev. des Études Latines

Abbé Cantin,

potentiel-irréel 1947/ le 17 mars 1948

… les papiers avancent-ils à reculons vers les années de clandestinité passées pendant la guerre ?

Tout seul, sur une feuille libre, calligraphique : «  Version latine, concours général »

Sur une autre notule pliée en deux, du Cicéron, un thème : «  As-tu déjà cru que tu voyais quelqu’un, alors que tu ne voyais rien du tout ? »

Dès les premières pages du cahier lui même, une fois passée la page de garde ou C.Weil est soigneusement écrit en gothique, des dates d’exercices qui commencent en septembre 1944.

Après une centaine de pages constituées des cours et des exercices de 1944/45, une dizaine de pages vierges puis quelques copies doubles incluses dont la première est le texte proposé par André Mandouze à l’agrégation de 1960 et le travail de Colette est noté -1/20 – Colette a pris la précaution pour la postérité, au cas improbable où quelqu’un retrouverait cet exercice mais à qui donc pouvait elle songer !- d’écrire en haut et à gauche de ce cuisant échec, au crayon : «thème fait en 4h. mais je n’ai pas remis de thème écrit depuis 1949» Thème : Effet de la séparation extrait d’A. Camus, La Peste

(Question que se pose le non agrégé que je suis misérablement en 2023 combien de séparations au sein de la communauté juive alsacienne pendant… que Camus esquissait « La Peste »?)

La dernière pièce que je lui aie vu monter aura été Le retour de la vieille dame.

en effet : Nos concitoyens, ceux du moins qui avaient,le plus souffert de cette séparation, s’habituaient ils à la situation ? Il ne serait pas tout à fait juste de l’affirmer (pendant que je recopie ce texte en février 2023 les ouvriers dans la cour derrière moi sont en train d’en détruire la splendeur en recouvrant une façade de brique de 1890 avec de la laine de verre, du plastique et un crépi. Je les entends, plus innocents que moi, commettre le pire en s’en contrefoutant) Colette, elle, recopia ce texte en 1960 avant de le traduire.

Il serait plus exact de dire qu’au moral et au physique, ils souffraient de décharnement. Au début de la peste, ils se souvenaient très bien de l’être qu’ils avaient perdu et ils le regrettaient. Mais s’ils se souvenaient nettement du visage aimé, de son rire, de tel jour dont ils reconnaissaient après coup qu’il avait été heureux, ils imaginaient difficilement ce que l’autre pouvait faire à l’heure où ils l’évoquaient dans des lieux désormais si lointains.

En somme, à ce moment-là, ils avaient de la mémoire, mais une imagination insuffisante. Au deuxième stade de la peste, ils perdirent aussi la mémoire. Non qu’ils eussent oublié le visage, mais, ce qui revient au même, il avait perdu sa chair, ils ne l’apercevaient plus à l’intérieur d’eux-mêmes. Et alors qu’ils avaient tendance à se plaindre, les premières semaines, de n’avoir plus affaire qu’à des ombres dans les choses de leur amour, ils s’aperçurent par la suite que ces ombres pouvaient devenir encore plus décharnées

plus décharnées

Unica Zürn, exposition temporaire sur les rapports entre le surréalisme et Lewis Carroll, au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

décharnées, en perdant jusqu’aux infimes couleurs que leur donnait le souvenir. Tout au bout de ce long temps de séparation, ils n’imaginaient plus cette intimité qui avait été la leur, ni comment avait pu vivre près d’eux un être sur lequel à tout moment, ils pouvaient poser la main.

de ce point de vue, ils étaient rentrés dans l’ordre même de la peste (ou de la perte ?) d’autant plus efficace qu’il était plus médiocre. Personne, chez nous, n’avait plus de grands sentiments.

Tout le monde éprouvait des sentiments monotones.

 “Il est temps que cela finisse”, disaient nos concitoyens, parce qu’en période de fléau, il est normal de souhaiter la fin des souffrances collectives et parce que en fait, ils souhaitaient que cela finisse.

La ziqurat pliable, cadeau d’un génie, au dessous des rayonnages où les quelques livres scolaires de Colette Weil…

Demain une Chine lacanienne

Demain une Chine lacanienne, par le vœu sans souveraineté d’Hier…(ou: pourquoi lire Kant peut-il me rendre encore plus ennuyeux ?)

Se réveiller juste avant que l’alarme ne sonne, pressentir quelle heure il est puis s’apercevoir qu’on était juste, avec une précision à la minute… La notion d’une horloge interne n’a pas que ces fondations fugitives-là. On devine une troupe mondiale de physiologistes occupés à traquer les rythmes cellulaires pour leur gloire intime (au physiologiste vertueux ma pensée reconnaissante) ou pour le bénéfice des laboratoires friands de chronobiologie (aux savants vénaux mon admiration jalouse).

Sorti promener la musique

Je suis sorti promener la musique (15/09/2009). Catherine et Circé voulaient à toute force s’offrir le dernier épisode d’une série qui ne m’intéresse plus depuis sa deuxième saison, et la musique agitait la queue, elle voulait sortir autour du jardin.

Les temples

Les temples d’Hubert Robert sont toujours en ruine. Comme celui que je rêve d’édifier en face de celui de Pergame et qui serait un peu pyramidal…

Les Chinois du Pfalz

Qu’est-ce qui bloque la transmission des savoirs de l’Europe à la Chine ? Qu’est-ce qui est tellement inapparent pour les étudiants asiatiques venus passer des années et des années dans les universités françaises, que ce soit pour y apprendre la théologie protestante (lorsque ce sont de ces coréens qui terrorisent les enseignants en théologie parce qu’ils véhiculent un protestantisme méconnaissables) ou la psychanalyse et la philosophie ?

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