Je m’avoue à moi-même rarement penser à dessiner ou à peindre sauf pour les vignettes sur les pots de confiture mais en une semaine, et Philippe Haag et Ghislain Pfersdorff me rappellent leur travail fréquent d’une mise en portrait de l’arbre.

Or il a fallu que je remonte à la nage quelques milliers d’ «envers de rétine «  (ces gestes photographiants devenus quasi automatiques lorsqu’on ressemble à toute la foule autour de nous qui avec son téléphone portable fait rigoureusement la même capture de ce qu’elle voit du coup moins bien pour se souvenir qu’elle a si peu été là, cette foule désireuse d’existence) je veux dire des traversées de musée ou au lieu de rester assis une heure à chaque tableau clic hop pris, embarqué, et plus tard on n’y voit rien comme disait un historien de l’art on n’y voit plus rien sur la petite photo du portable…

Alors que rester longuement devant l’arbre et le dessiner…

entre l’arbre et le corps on peut rire et voir balancer la tentation de saint Antoine et le génie d’un tronc qui m’avait échappé je ne l’avais pas vu au milieu du tableau à Madrid.

Alors que Ghislain, là en Irlande sur l’île de Valentia, court de joie vers l’arbre qui lui parle de sa prochaine aquarelle et entreprend ces jours celle d’un arbre qui surveille la bibliothèque des sciences et la faculté de chimie à Strasbourg :

Screenshot

… et sans un clic photographique j’aurais oublié avoir vu Philippe suspendre un instant son mouvement devant un arbre. La recension des mille images traînant sur la virtualité informatique de ma tablette, racontant mes passages dans les musées et dans les paysages… cette recension faite subitement hier soir mais en me demandant : où ai je donc fourré des arbres, moi ?

me confirme que, par exemple dans la représentation du Strasbourg prussien en construction qui me touche le plus le cœur, par Lothar Von Seebach, les arbres font miroir aux hommes et à l’immobilier (le parlement juste construit et qui deviendra le Théâtre National de Strasbourg) : les silhouettes des personnages qui m’émeuvaient tant, par la légitimité de leur anonymat, passent indifférentes me paraît ils ce matin, aux silhouettes d’arbres que j’ai tant de mal moi aussi à voir exister.

et qu’Edvard Munch, et que Kirchner en aient tant portraiturés les renvoie à la question de ma végétation : et si je tentais, ce samedi matin, tout à l’heure, au marché, de me faire existentiellement végétal, de ne plus me demander comment exister parfaitement et à tout prix avec sans cesse ce sentiment de ne vivre pas assez ?

et du coup, moins hanté par l’idée d’un complot contre l’être, d’une urgence de se secouer le citron pour en arracher du sens en se disant que c’est un devoir d’être, ou, plus simplement, se laisser inspirer d’autres types de penser et d’essence, chercher du Deleuze et du Derrida dans la fibre ligneuse des arbres qui ponctuent les étals du marché, indifférents aux appétits de la foule du marché pour les viandes, les fruits et les légumes de ses prochains repas ?

Et ainsi comme souvent les samedi, à la foule sous les arbres du tableau de Breemberg «  «  Abraham et Melchiseddek » à la foule du marché…

A cette foule succèdera celle, plus intime, des gens de Moselle qui se retrouvent les samedis matin tout au bout de l’avenue de la Forêt Noire sous la protection de Federico Bartoloni, noble fils du longtemps correspondant de l’AFP au Vatican et dispensateur d’hosties qu’il déguise en pizzas tellement uniques qu’elles rassemblent les enfants du quartier que la semaine avait éloignés les uns des autres. Là, dans cet incroyable accident sociologique de la pizzeria romaine de Federico, une étonnante concentration de ce peuple oublié de tous, les mosellans, se retrouve et se chérit. Comme leurs proches, les gens de Scandinavie, de flandres, de Belgique, de Meuse et du Rhin, comme Philippe et Ghislain, je sais qu’ils ont tous pour la représentation picturale, même à leur insu, une forme d’étrange attrait. Y a t il des tropismes peintres régionaux hollandais et lorrains comme il y a des peuples musiciens ?

Malgré mon désir très vif de m’efflanquer je vais dévorer les pizzas bénîtes de Federico, sous cette influence du regard des arbres que l’automne colore, réalisant que Ghislain est rhénan et Philippe de la Moselle même s’il est en cavale à Londres et dans le Cotentin, oui je commanderai forcément des pizzas à Federico en écoutant les babils des enfants de la Moselle et en regrettant de ne pouvoir aller à l’exposition de Philippe et de ses arbres si bientôt. Et en grossissant.

sans zoublier PATINIR !