Á visage perdu, glissé dans une enveloppe, mon visage, posté aux inquiétudes. La lisière frissonne.: effroi. Le soleil d’hiver bascule aux détours d’un chemin des marais, avec quelques éclats fragmentés qui se mouillent tout d’abord, crépuscules démultipliés, aux miroitements de tourbières séparées par les lignes de roseaux qui, justement, effilochent le ciel empourpré.: angoisse.

Albrecht Dürer, Kunsthalle, Karlsruhe.

Ceux dont on a lu l’existence pour une loi à suivre, tant de beauté, tant de justesse, voire de rire, et ceux-là, vienne leur heure, alors le paysage lui-même devient illisible.

Plus de joie aux sentiers bleus de l’été.

Rue de l’Observatoire. Les Affinités Électives de Goethe paraissaient bien avoir dressé le couvert des jardins universitaires prussiens (Le Jardin Botanique de Strasbourg) devant quoi je suis arrivé à l’âge de six ans et que je n’ai pu désirer quitter depuis. Oui, on dirait que çe jardin botanique municipal à répondu en secret ou au moins très discrètement, au scénario du roman de Goethe: pareil étang au milieu de l’histoire, pareilles préoccupations d’un paysage faisant culture tant chaque arbre y est souligné par une petite pancarte rappelant sa place dans les terminologies botaniques, pareille convocation des amours folles d’habitants qui s’y croiseraient… Je me réveille, me brosse les dents, sors de l’immeuble et longe ces jardins universitaires et les palais d’un savoir désuet (mais quand même: l’immense Aby Wartburg, le gigantesque Blanchot, ont étudié ici, n’ont rien de désuet), mes yeux glissent sur les jardins et les palais pour un déchiffrement, dont je ne saurais prétendre qu’il est mon activité majeure, mais pour un déchiffrement de ce décor Prussien, qui s’opère, à mesure de mes réveils depuis 1963, en face de ces lieux.-

La foi en un vouloir, c’était quand même déjà un thème un peu moqué dans l’œuvre de Goethe, la naïve croyance que la force de la volonté humaine suffirait à éclairer le sens de l’Histoire, cela ne s’entend plus depuis Auschwitz qu’aux musiques festives. Plus profondément, la croyance en une possibilité, qu’offrirait le savoir (celui qui s’exhibe autour de l’étang du jardin botanique: l’astronomie de l’Observatoire, la physique de l’institut de physique, la psychologue de làfaculté de psychologie flanquant les jardins en face de celle de physique, et les instituts littéraires abrités au delà du buste de Goethe), d’organiser un futur cohérent au déploiement d’une humanité, cette naïveté s’est absentée des musiques savantes d’aujourd’hui, comme le laissait prévoir déjà l’écriture des derniers quatuors de Beethoven.; dans les errances atroces de l’armée napoléonienne, avait-il entendu celles de la pensée savante?

Les déchiffrements du plan des jardins universitaires disent pourtant ce vieil espoir naïf d’un Bien, et qu’à l’écoute du monde par les artisans, les architectes, les paysagistes, répondrait une enluminure des sociétés humaines. Les belles grilles cernant le savoir botanique enlumineraient la promenade des strasbourgeois longeant les bâtiments universitaires.

Au miroir spectral du vœu des mâles, ceux dont la testostérone a permis les champs de massacre de trois guerres européennes, les camps de concentration ont finalement été la réponse du chien Berger teuton à la bergère Directoire. Les couilles de l’allemand bousculé par les campagnes militaires des couilles françaises depuis Louis XIV.: les cerveaux se sont enfumés de cette pestilence des combats fratricides d’Auschwitz en Europe à Hiroshima en Asie. Le massacre de Nankin est peut-être l’ancêtre inconscient de la fabrication des milliers de cadavres et de supplices et de cris de rage par Daech dans les braises qui nappent le paysage depuis Damas jusqu’à Lagos.

Otto Dix Karlsruhe, Kunsthalle.

Le vouloir semble se rétrécir à un point excrémentiel. Nos découvertes semblent se rancir aux vécés des centrales nucléaires et dans le ratatinement des droits de l’Homme. C’est comme si tout le beau savoir, accumulé depuis les débuts de la biosphère (pas seulement le savoir des hommes, mais aussi ces savoirs animaux, végétaux, cosmogoniques peut-être), s’apprêtait à nous expulser de la nature sauvage, écœurée — y a de quoi — de nos odeurs de pétrole et par le raffinement de nos crimes, sans cesse offerts au mâle dominant, au Chef ou au dieu…