Anatole Coizard de l'océan maudit

Auteur/autrice : Anatole COIZARD Page 1 of 9

Le vieux s’est Ă©teint.(Octobre 1975)

Le vent se promenait comme il voulait sur les causses argentĂ©s. L’herbe se courbait partout, au sommet des minuscules collines rondes, dans les creux, les plats, entre les pavĂ©s d’une doline abandonnĂ©e.

Une maison toute seule se tenait au fond d’un de ces creux, son toit gris Ă©tait presque masquĂ© par les nuages, elle paraissait marcher contre le ciel et les longues Ă©tendues.

Un trĂšs vieil homme en sort, lentement il marche. Tout paraĂźt silence dans ses gestes. Ses yeux clairs, pleins d’horizons infinis. S’arrĂȘte Ă  une centaine de mĂštres de la maison, entre un buis et un genĂ©vrier. Contemple l’avance de la ferme grise aux toits de lauzes.

La journée passe.

Depuis un chemin d’écart est apparu, marchant, un homme plus jeune. Dix neuf ans.
Barbu. Migraineux. Quels espaces cotonneux l’ont relĂąchĂ©, l’ont abandonnĂ©. Il fuit mais ne sait dĂ©jĂ  plus quoi. Sa migraine lui fait trouver diabolique l’apparition furtive du soleil. Son reflet sur les cailloux et les risĂ©es argentĂ©es dessinĂ©es par le vent entre les herbes correspondent aux Ă©lancements de sa douleur. Il aperçoit la vieille demeure. Observe, proche d’elle, une chapelle en ruine.
Le vieillard est revenu vers la porte et sans un mot ouvre Ă  l’arrivant l’espace d’une salle Ă  manger mĂ©diĂ©vale, voĂ»tĂ©e, oĂč une demi douzaine de personnes, hommes et femmes, sont assis ou en train de cuisiner, mais regardent tous le feu.
Il ne sait pourquoi il se raconte qu’ils y voient se reconstruire les ruines Ă©boulĂ©es qui entourent la ferme. Il le dit au vieillard qui, opinant toujours en silence, le tire Ă  nouveau par le bras au dehors puis, en boitant, l’entraĂźne prĂ©cisĂ©ment vers la chapelle dĂ©truite.

Elle n’a plus que quelques voĂ»tes en suspens. On dirait qu’elle marche, Ă  pas sourds, dans le gris, vers un lointain inaccessible Ă  l’Ɠil. Aux souffles indistincts que semblent gĂ©mir les broussailles, elle rĂ©pond, Ă  intervalles, par un mugissement. Les nuages, descendus trĂšs bas, rasent le sol en inquiĂ©tant le nouveau venu par leurs fuites. Le vent les accompagne Ă  l’horizon oĂč il les façonne en volutes extraordinaires.

Olmet, 11 Mars 2025, quelques instants aprĂšs l’angĂ©lus de La Chapelle Saint-Judes.

A deux ils gravissent la colline, et contemplent l’enfilade calme de dizaines d’autres petites collines dont chacune, selon qu’elle est couverte plutĂŽt de buis, de genĂ©vriers, d’herbes ou de cailloux, possĂšde un chant diffĂ©rent, une autre plainte, des confidences propres Ă  elle et l’ensemble de toutes ces voix s’élĂšve, recouvre de gravitĂ© le causse.

Le carrosse d’une fille d’or passe dans la cour de la ferme, elle fait envoler d’immenses cheveux, rit.

Personne ne l’a regardĂ©e ni vue par les fenĂȘtres ou depuis la colline.

Son carrosse est déjà reparti au fond des Causses.

L’homme demande alors au vieillard pourquoi sa maison est tellement esseulĂ©e.

Mais l’autre se tait encore plus. Son front ressemble, cela est soudain Ă©vident, Ă  celui de la ferme, pierres plates noires qui, du toit, accrochent quelques volutes de brumes, et comme sa belle masse grise, plus il se tait, plus il paraĂźt parler au ciel.

SitĂŽt qu’on l’avait vue les nuages paraissaient tissĂ©s par elle, lui faisant don de la grandeur et du mystĂšre. Ses fenĂȘtres, aussi muettes que le vieil homme, posaient leur regard sur la cour encore dĂ©trempĂ©e et qui Ă©tait tout Ă  la fois le parvis, la place publique, la rue et le jardin.

Au pied de la colline voisine, crevant le ciel de son Ɠil d’eau et de pavĂ©s, il y a cette lavogne oĂč se reflĂšte l’allĂ©e de chĂȘnes qui a poussĂ© en lieu et place de la nef Ă©boulĂ©e de la chapelle.

Les habitants sortaient tous ensemble, habitĂ©s, pensa-t-il, en chacun de leurs mouvements par une monotonie – femmes et hommes rejoignaient le champ derriĂšre la lavogne, s’y courbant, s’y relevant, comme programmĂ©s par un esprit qui serait celui des causses.

Il observe des feuilles mortes coincées depuis la saison précédente entre les éboulis de la chapelle.

Sa rĂȘverie se suspend lorsqu’il remarque, au milieu de leur lit Ă©pais, que le vieillard s’y tient et que prĂ©cisĂ©ment son habit a les couleurs de cet automne qui revient.

-« Vous ĂȘtes le roi des feuilles mortes du passĂ© ? Â» lui demande-t-il.

De la gorge de l’autre s’échappe le mĂȘme bruit que font les feuilles agitĂ©es par le vent, ses yeux paraissant taches de pluie, son sourire disparaissant dans les rides d’un arbre.

Soubrebost, dans la cupule de la pierre aux neuf gradins. 29 Juillet 2019.

-« Mais je vous vois, vous savez, je vois vos yeux d’homme !»

Il remarque surtout les arbres et les buissons du causse faire un ballet autour des bĂątiments, la terre courant sous le vent, la lavogne clignant son Ɠil solitaire, et les poumons du vieil homme respirant Ă  prĂ©sent au rythme d’une lente animation adoptĂ©e soudain apr la matiĂšre Ă©trangement molle des cailloux des champs alentour.

Il se dĂ©tourne, la chapelle ne dit plus que la plainte d’une ruine faite de pierres mortes, la lavogne sourit tristement.

Alors il s’éloigne sans savoir quel Ăąge il aura quand il reviendra.

La Couvertoirade Septembre 1975. Henri Ucheda.

C’est l’hiver, que le bleu des neiges du soir refroidit encore.

Le bois rouge de la porte sourit Ă  l’un des habitants, au moment oĂč il sort chercher de quoi nourrir le feu. La porte est complice, elle regarde dehors, son dos dans la maison, voudrait peut ĂȘtre s’arracher de ses gonds, s’est peut ĂȘtre faite belle pour les causses oĂč rĂšgne un grand froid.

Trois ruisseaux ensablent la roue d’un vieux chariot. La fille d’or en jaillit, si elle joue, si elle s’amuse, c’est en courant et en disparaissant encore.

Le vieil homme est assis dans la neige, de chaumiĂšre il n’y en a plus, n’y en a pas, on entend les ruisseaux, et les larmes d’un inconnu cachĂ© par les buissons de genĂ©vriers, de thym, d’origan. Puis, Ă  mesure que la nuit avance, ses plaintes se muent en un immense rire de plaisir, qui semble celui du vent.

Depuis la lavogne on aperçoit la chapelle. Qui marche toujours rĂ©solument dans les bourrasques. Puis on voit rĂ© apparaĂźtre la ferme et tout autour d’elle une citĂ© entiĂšre, des murailles, une Ă©glise sur des rochers.

On entend le chant énorme des arbres.

La masse du vivant comme prothĂšse de la masse des morts.

Comme une massue de tous les morts qui depuis le dĂ©but prennent les vivants en traĂźtrise : les enfants aux yeux Ă©carquillĂ©s (ceux qui sont le vivant d’aujourd’hui) les avaient tellement pris au sĂ©rieux lors qu’encore vivants (les morts d’aujourd’hui) ils allaient et venaient, pleins dĂ©jĂ , eux-mĂȘmes, de leur propre dette enfantine. Depuis le dĂ©but, quoi, Cromagnon traĂźnait dĂ©jĂ  chaque fois la dette de ses parents. C’est leurs propres morts qui leur donnaient cette allure assurĂ©e quand leur mioches les croyaient adultes mais sentaient que ça rigolait pas tout le temps. C’est leur propre dette qui les montrait aux petits enfants comme des gĂ©ants capables d’ordonner tout le foutoir, au milieu d’un monde et d’une rĂ©alitĂ©, au milieu d’un rĂ©el quand mĂȘme trĂšs dĂ©sordonnĂ©. Le vivant, les gestes des vivants, enracinent leurs certitudes de frustrations oubliĂ©es depuis longtemps, celles dont ils ont Ă©tĂ© les tĂ©moins sans mĂȘme le savoir, avant qu’ils aient eu six ans, mais Ă©coutez-les se reprochant t’es bien comme ton pĂšre t’es bien comme ta mĂšre .

Une bibliothĂšque Ă  Lisbonne.

À Lisbonne quelques momies aztĂšques guettent les lecteurs d’une bibliothĂšque en train de se nourrir d’Histoire, mais on voit bien que, si les lecteurs s’entichent du souvenir, fut-il universel, ça n’en ranimera pas pour autant les morts dans les vitrines. Aussi, cette façon qu’on a d’aller dans le monde comme si on n’était qu’agitĂ©s par les vents passĂ©s, qu’est-ce qu’elle prĂ©pare ? Dans la façon de nos gesticulations y aurait-il une recette, mais pour prĂ©parer quel plat, pour quel ogre futur, et dans combien de gĂ©nĂ©rations saura-t-on enfin si une gare attend notre train ?

ÉternitĂ© de l’Instant ?


Ou au prĂ©sent, l’ogre du prĂ©sent ? Ce serait le prĂ©sent qui nous bouffe sans cesse ?
Si seulement !

Tout ce qu’on ferait serait pour l’éternitĂ© de l’Instant plutĂŽt que pour l’éternitĂ© des cycles que chronomĂštrent au ciel les astres muets ? Si seulement, ah, quelle jouissance perpĂ©tuelle ce serait du coup, mĂȘme si elle ne durait que l’éternitĂ© d’une seconde.

Qu’est-ce que je ressens pendant que je rĂȘve, sinon le caractĂšre assez optionnel de tout ce qui m’est extĂ©rieur, temps compris, et l’infinie instantanĂ©itĂ© de tout ce que les neurones peuvent se permettre de mĂ©langer d’une façon qui, loin d’ĂȘtre absurde, contient ce qui m’est essentiel, Ă  un point que je ne peux d’ailleurs parvenir Ă  mesurer Ă  moins de perdre la boule ?

Ainaz Nosrat, wormienne on process, Février 2025
Ainaz Nosrat « Work in process Â» FĂ©vrier deux mil vingt cinq.

Faute de savoir pour quel (A)utre tournoie cette procession du vivant oĂč on gesticule Ă  qui mieux-mieux, rĂ©pondant Ă  ses aĂźnĂ©s depuis le dĂ©but du grand toutim, reste Ă  dĂ©tailler quelle direction adopte la prothĂšse. Elle vise quoi ?

Ça pointe vers un ciel de rĂȘve et de rĂȘves qui descendent comme des anges sur le sommeil des assoupis. Au rĂ©veil, s’emparer des rĂȘves mĂȘme si comme cette nuit, dans le rĂȘve qui me restait au rĂ©veil, c’était qu’on vendait devant moi dans une pharmacie et sous blister un mĂ©dicament dont je dĂ©chiffrais le nom : L.I.T.T.E.R.A.T.U.R.E. et je comprenais que c’était un nouveau produit pour ceux qu’affecterait nĂ©gativement l’aspect trop brillant, gĂ©nial, et en un sens littĂ©raire, de la vie ( et le client Ă  cĂŽtĂ© de moi avait l’air d’en vouloir et j’étais trĂšs surpris d’ignorer que ce mĂ©dicament nouveau Ă©tait venu se rajouter Ă  tous ceux qui nous empĂȘchent d’ĂȘtre fous tranquillement dans ce monde si raisonnable et ça ne m’étonnait pas du tout que les gens se mĂ©fient de la littĂ©rature et de la pensĂ©e et tout. Je me disais merde je vieillis il faut que je traĂźne chez mon ami pharmacien plus souvent pour savoir ces nouveaux mĂ©dicaments qui arrivent, en plus de la ritaline et du sifrol dĂ©jĂ  prescris par hectolitres pour formater nos esprits trop distraits et trop bouillonnants pour affronter la fourmiliĂšre.

En se rĂ©veillant de ses rĂȘves Tomi Ungerer (qui avait un panneau no troubled zone au dessus du lit) les jetait en dessin, ses meilleurs. Et puis rajoutait une fleur au petit bouquet devant le tableau de sa mĂšre esseulĂ©e.

A force d’observer la crĂ©ation, d’étudier tout ce que les neurones ont voulu fabriquer, gĂ©nĂ©ration aprĂšs gĂ©nĂ©ration, on peut bien entendu se figurer plein d’interlocuteurs (Dieu, dieu, maman, le public, le Bien, l’Inconscient) Ă  nos Ă©laborations, ne serait-ce qu’architecturales. Qu’est-ce que ça vise, depuis le menhir jusqu’à la cathĂ©drale en passant par la ziqurat et sans oublier le toboggan virtuel et virtualisant du temps d’à prĂ©sent (genre le temps tu vois genre).

Genre une tour genre de Babel.

On peut voir l’Ɠuvre, les Ɠuvres, Ă©couter Ă  quoi ça rĂȘve pour tenter un dĂ©cryptage de ce vers quoi ça jacasse. L’humanitĂ© toute entiĂšre foncerait vers quelque chose dont on pourrait deviner la nature en tendant l’oreille Ă  l’archĂ©ologie des Ɠuvres. Ça nous chuchoterait une phylogenĂšse des rĂȘves et donc un tableau synoptique de la progression d’une tension de l’HumanitĂ©.

Denise au musée Tomi Ungerer en 2016.

A tout prendre, la tapisserie progressive des rĂȘves des humains n’a pas eu besoin d’ĂȘtre enregistrĂ©e depuis les dĂ©buts, puisqu’au fond on la voit, elle est dessinĂ©e un peu, rĂ©sultat de notre immense et opiniĂątre reptation, depuis les manques des ancĂȘtres vers la satisfaction, le jouir, le savoir, le survivre, dans la valse d’hiĂ©rarchies simiesques avec nos manques, qui ne nous lĂącheront pas pour si peu, mais ne sont pas les mĂȘmes qu’il y a deux cent mille ans, pour sĂ»r.

Manhattan, les deux tours dont les ascenseurs tombaient en panne quand y avait du vent parce qu’elles balançaient.

D’une Ă©poque Ă  l’autre, pourtant, reste un soupçon immarscessible de pharaonisme. Simiesque. Exponentiel.

Donald par Weaver, 2016.


Pour balayer l’aveuglement des ogres pharaoniques, occupĂ©s Ă  dĂ©vorer leurs instants dans une furieuse jouissance paranoĂŻaque et guerriĂšre, nous reste l’innocence persistante des Ɠuvres, de l’Oeuvre. L’oeuvre, fille du rĂȘve, recrache par chacune de nos bouches d’or, par chacune et chacun de nos gĂ©nies, une symbolisation chaque fois trĂšs personnelle du RĂ©el.

Hieronymites, LisbĂČa.

Alors que la paranoĂŻa de nos maĂźtres (Hitler ne l’était-il pas ?) est faite de convictions dĂ©lirantes, au contraire la sagesse profonde de la jouissance crĂ©atrice ne dĂ©lire pas, qu’elle soit inhĂ©rente au rĂȘve de chacun d’entre nos huit milliards de vivants ou bien propre au gĂ©nie crĂ©atif de nos quelques gloires incontournables.

La tentation de Saint Antoine Jerome Bosch.

Du premier cri artistique de l’Aurignacien, du MagdanĂ©lien, jusqu’au regard sur la Montagne Sainte Victoire de Patrick, toute l’elliptique de l’Ɠuvre et du rĂȘve dĂ©merdent le monde des excrĂ©ments ou tente de nous y Ă©touffer Pharaon.

Patrick Garruchet, atelier.

S’agirait il donc que de faire jouir la mathĂ©matique organique de l’Adn, puisque celui-ci a existĂ© prĂ©alablement Ă  l’arrivĂ©e de l’Humain ? Ne serions-nous, hĂ©ritier de ce premier processus d’organisation de la matiĂšre organique, que dans une sorte de comptabilitĂ© vibratoire ? Cette danse de la matiĂšre, ĂŽ tristesse du constat scientifique, n’aurait-elle complexifiĂ© son tempo, depuis le big bang que dans l’attente du big-boum et la dĂ©crue du vivant, sans autre prestation que le silence atterrĂ© d’humains rĂ©duits Ă  regarder passer, gĂ©nĂ©rations aprĂšs gĂ©nĂ©rations, les modes du prĂȘt-Ă -crever ? On serait-lĂ  juste comme des Savoyards pendant que les Alpes s’aplatiraient, des Peulhs et des Açoriens quand la mer s’évaporerait, des Eskimos se rĂ©veillant dans un Sahara, des Dublinois attendant que la riviĂšre Liffey se vide de toute son eau ?

Quai de la Liffey, Dublin. Quel est le pourcentage des irlandais qui ont lu « Ulysses Â» de Joyce ?

Je la connais bien cette tristesse effrayante qui saisit ceux qui ont passĂ© trop d’annĂ©es Ă  observer les guerres ou les couloirs des hĂŽpitaux, et ne voient plus dans le jouir que la danse d’un fou sur le feu brĂ»lant de sa conviction de n’ĂȘtre qu’un cadavre en sursis.

Le dĂ©filĂ© de 1918 sur la place centrale de Strasbourg, sous le regard d’un enfant de 7 ans qui courut, quelques mois plus tĂŽt, sous les bombes des mĂȘmes.
1918.Petits soldats d’un Big Boum attendant la prochaine cata.

Pourtant non. L’éternitĂ© de l’Instant nous arrache Ă  cette illusion d’ĂȘtre du prĂȘt-Ă -crever. La traversĂ©e des cavernes montre, et par plus d’un dĂ©tail, qu’on s’offrait dĂ©jĂ  il y a vingt cinq mille ans le petit luxe de parler Ă  du Mieux. Le MystĂšre de la divinitĂ©, anthropomorphique certes dans la Grotte Chauvet, mais souverainement divine.

Or ce « Mieux Â» Ă  quoi on parlait participait-il dĂ©jĂ  d’une forme de la gloire ? J’imagine la cĂ©lĂ©britĂ©, une certaine rĂ©putation dĂ©jĂ , autour de la grotte de Vallon pont d’arc. Voir oĂč rencontrer ceux qui Ă©taient peut-ĂȘtre des chamans, mĂȘme si ce devait fatalement n’ĂȘtre rĂ©servĂ© qu’aux impĂ©trants qui arrivĂšrent jusqu’à la femme-stalactite, ça faisait du monde, une petite foule de gens, Ă©mus par les maĂźtres oĂč les maĂźtresses du lieu. Sous le regard des tribus, le prestige fabriquait comme un vertige qui prĂ©cisĂ©ment requalifierait ce regard (celui d’un public).

Théùtre de BĂąle Basel Theater. Sous les yeux joyeux du public de l’immense Anna Viebrock et de l’Immense Marthaler, Ă©ternisant l’Instant par leur gĂ©nie. Janvier 2025.


Le regard des admirateurs, conscients soudain d’une essence autre que le regard sĂ©parĂ©, que le regard humble, celui qui se croit discret. Regard distinct du Petit dans le public, Ă©merveillĂ© de voir converger les autres vers l’important, le chaman, le roi mage, la star, le pharaon. Regard individuel qui s’enivre de sa rĂ©jouissante conjugaison au groupe, qui se dĂ©s inhibĂ© grĂące aux autres fans, aux foules devenues colossales. Comme une Ă©toile la star bouleverse lorsqu’elle vous touche la main avec simplicitĂ©, partageant avec vous le poids de mille, cent mille, cent millions de regards. Salut, j’suis comme toi.

Grotte de Vallon Pont d’Arc.

La prothĂšse des morts que je suis serait concentrĂ©e et hypertrophiĂ©e par la multitude en train d’ériger ses hĂ©ros. Plus je me penche sur le passĂ©, plus je lis les livres et regarde les Ɠuvres, le cinĂ©ma, les musĂ©es, les traces, et plus je fonctionne comme une rĂ©sultante des histoires multiples, des hĂ©ros qui rĂ©pondent eux-mĂȘmes, sans l’avoir prĂ©vu, aux rĂȘves inconnaissables saisissant parmi les foules de leurs publics chaque sujet, chaque nuit, tapisserie colossale. Tapisserie colossale brandie par nos maĂźtres Ă  penser en mĂȘme temps que par le miroir de nos rĂȘves, celui qui nous permet de les encenser. Et toute la planĂšte de rĂȘveurs est en route vers on sait pas quoi. Le jour rendra pour beaucoup Ă  nos rĂȘves Ă  l’inhibition et Ă  la peur d’oser exister, nos rĂȘves seront prĂ©cipitĂ©s dans un oubli immĂ©diat. On fonctionnera, jurĂ© ! Un deux. Un deux. Comme des petit‱es soldat.e‱s.

Tomi Ungerer, matin, 2016.

Longtemps j’ai cru que c’était Marc Thaler mais c’est Marthaler et Anna Viebrock .


Longtemps c’était il y a longtemps, avant la reprĂ©sentation de « Die Spezialisten » Ă  l’opĂ©ra de Strasbourg en 1999 oĂč on a eu peur que les balcons dorĂ©s s’effondrent tellement le public trĂ©pignait de joie parce que Marthaler il parle de quelque chose lĂ  : il analysait le lien entre la spĂ©cialisation et l’avĂšnement du massacre industriel diligentĂ© depuis le confortable chalet de Berchtesgaden : avant -hier a BĂąle, les deux complices, les trois complices (il y a le chef d’orchestre et tout l’orchestre avec lui et Anna Viebrock dont les dĂ©cors parlent et rigolent tout seuls) parlaient encore un peu de l’errance. Dans la piĂšce sur Beethoven, Marthaler Ă©voque un Ă©crivain viennois qui s’est laissĂ© enflammer dans les dĂ©buts par le parti hitlĂ©rien (qui ne le lui a pas rendu), et par par la haine 
 et il y a cette phrase qui surgit (Beethoven a vraiment Ă©crit un canon lĂ  dessus ?) wir irren allesamt on est tous dans l’erreur mais chacun diffĂ©remment nur jeder irret anders – et on entend ressurgir l’enthousiasme parfois colĂ©rique de Beethoven, parfois purement mĂ©lodique – des perditions de partitions sur la scĂšne ou les acteurs paraissent sans arrĂȘt tomber de leur lit sans avoir eu le temps de se rĂ©parer la frimousse : et nous, dans les gradins de cette ville oĂč on sent que chaque salle de bain est plus luxueuse que nos salons en France, oĂč on sent bien qu’on n’a pas les moyens, qu’est-ce que c’était bon de rire avec tous ces gens (dans le public) dont on sent que, eux, ils ont pris le temps d’y passer Ă  la salle de bains pour arriver, malgrĂ© l’ñge souvent avancĂ© du public, tout frais et pomponnĂ©s dans la salle du théùtre de Bale. Enfin avancĂ© j’exagĂšre puisqu’aucun de nous finalement ne dĂ©passe jamais franchement la centaine alors que Beethoven, son enthousiasme déçu pour NapolĂ©on, il a dĂ©jĂ  de la bouteille. L’enthousiasme parfois colĂ©rique de Beethoven lui fait aussi s’enflammer pour un dictateur qu’il prend d’abord pour un sauveur : ça met un bĂ©mol Ă  sa musique. Il erre et sur la scĂšne c’était tellement drĂŽle de voir, comme dans toutes les piĂšces de Marthaler, qu’on est tous grotesques et tragiques – mais que la musique parvient Ă  nous rĂ©unir dans le frisson du sublime. Pourtant sans me donner l’envie de m’en mĂ©fier, de ce swing.

Tiefer Graben, 8.


donc en traversant Bale depuis Muttenz, et ensuite en retournant de Bale jusque vers la citĂ© radieuse de Muttenz, mon regard embrassait des milliers et des milliers de façades d’appartements et je ne sais pourquoi je les imaginais surtout truffĂ©es de salle de bains oĂč se sentir bien. Les salles de bien. La diffĂ©rence extrĂȘme du revenu BĂąlois et du revenu Strasbourgeois. Combien faut il avoir de francs suisses dans un compte en banque suisse pour vivre sans bouger le petit doigt ? MĂȘme quand je regarde les façades suisses depuis l’inconfort brutaliste des autoroutes qui font dirait-on (quand on est dessus) un tiers de la superficie de BĂąle – mĂȘme depuis l’autoroute, les ponts autoroutiers, les Ă©changeurs colossaux, les abĂźmes tunnelisĂ©s, je sens et je sais que, derriĂšre ces façades, au delĂ  des murs antibruit, il y a des salles de bains qui sont une acadĂ©mie athĂ©nienne. Et quand on n’est plus dans l’autoroute ou le tunnel, qu’on est dans les rues rĂ©elles de Bales, on se sent bien, et bien loin de ces allers-retour brutalistes, on est dans l’identitĂ© bĂąloise (mĂȘme avant d’avoir changĂ© sa plaque minĂ©ralogique pour une plaque suisse, mĂȘme avant d’avoir payĂ© un franc suisse d’impĂŽt, mĂȘme sans parler un mot de schwitzer Ditsch). Wir irren allesamt ? On se trempe tous dans le bien mais chacun a sa façon, y a les douches, y a les bains, j’ai mĂȘme dĂ©jĂ  nagĂ© dans le Rhin Ă  BĂąle et c’était super, le sentiment d’ĂȘtre un philosophe, d’ĂȘtre Erasme. J’avoue qu’aller voir un spectacle de Marthaler c’est aussi confortable qu’un bain ou qu’une acadĂ©mie musicienne ou que si Socrate avait pas Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  boire la ciguĂ« mais Ă  apprendre le contrepoint et Bach et Mozart, et qu’on puisse rester joyeux, loin de tous sacrifices monstrueux que l’Histoire inflige Ă  l’humanitĂ©, d’un NapolĂ©on Ă  l’autre, en mettant un parfum de lavande dans la baignoire sans culpabilitĂ©s de consommation d’eau excessive (par exemple un bain qu’on prendrait en Irlande aprĂšs quatre cent journĂ©es de pluie) . Rire dans un bain de bien musicien avec les dĂ©cors d’Anna Viebrock

Tiefer Graben, 8.


 avec le lit creux sans sommier ni matelas, Ă  tirer comme un Ăąne mort soudain plus lourd que confortable. Encore une piĂšce de Marthaler vue en plus, comme si ça me rassurait, mon catalogue intime des moments pharamineux qu’il m’a dĂ©jĂ  fait vivre, je veux dire me rassurer sur ce qu’on est venu faire sur terre.

Tiefer Graben, 8.

On est venu pour que l’insensĂ© donne sens au rire dans la salle de bien. GrĂące Ă  Marthaler je votationne pour le rattachement immĂ©diat de Strasbourg Ă  la confĂ©dĂ©ration helvĂ©tique. Si les Habsbourg les attaquent encore une fois on viendra les aider.

Patrick Garruchet, salle de Bien, Suisse.

Les tout-puissants qui possĂšdent dans les comptes suisses de quoi considĂ©rer les religions comme le seul bienfait qui puisse les protĂ©ger en cas de collapsus, me feraient presque douter de la joie mystique qui m’attache Ă  souhaiter une Ă©ternitĂ© au couple Marthaler-Viebrock. Et que des foules de pĂšlerins puissent se prĂ©cipiter Ă  leurs spectacles en finançant des centaines d’orchestres municipaux. Des milliers.

Documentaire

Comme on passe en sifflant les documentaires sans danger, ainsi ceux qui jadis me saoulaient de leur triomphe, soudain, aujourd’hui, (aprĂšs avoir regardĂ© les cinq minutes d’un docu de Jean Gabriel PĂ©riot #67 sur l’excĂšs de la tomatoculture), j’accompagne la procession, bouche ouverte et sourcils Ă©carquillĂ©s. ÂĄ Viva el Docu !

Se mettre en scÚne en écrivant des romans ou en filmant des fictions 
 ou bien faire des docus ? (. Comme on passe en été le torrent sans danger,
Qui soulait en hiver ĂȘtre roi de la plaine,
Et ravir par les champs d’une fuite hautaine
L’espoir du laboureur et l’espoir du berger. 
. Ainsi ceux qui jadis soulaient, Ă  tĂȘte basse,
Du triomphe romain la gloire accompagner,
Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincus les vainqueurs dédaigner )
(Joaquim Du Bellay)

Toiser, mesurer le monde par l’effort documentaire, sans oublier que c’est par nos intĂ©rieures fictions qu’on le mĂ©tamorphose, qu’on le mĂ©tamorphosera, qu’on sera animĂ© par le dĂ©sir de tenter de le mĂ©tamorphoser, miette Ă  miette, pas Ă  pas, sujet aprĂšs sujet, un huit milliardiĂšme de l’humanitĂ© aprĂšs l’autre.

État des lieux, et en quelque sorte documentaire sur une circulation d’une lumiĂšre mettons Ă©lectrique.
Et là par opposition en quelque sorte, une fiction de la circulation d’une forme plutît solaire de la lumiùre, Le dieu Mithra sur le bas relief de Shapour 2 (309-379 avant notre ùre)

En allemand on ne dit pas observatoire mais Sternwart, observation des Ă©toiles, on prĂ©cise « les Ă©toiles». Ça met l’accent sur le dĂ©tail observĂ© plus que sur le geste de l’acteur observant, l’astronome.

Observer avec prĂ©cision la rĂ©alitĂ©, sans vouloir la prĂ©cĂ©der de notre imaginaire si structurellement narcissique, c’est Ă  dire sans mettre au premier plan ce qu’on voudrait faire de cette rĂ©alitĂ©, sans oublier de dĂ©tailler les Ă©toiles du ciel.

Moi qui aurais tendance Ă  ĂȘtre dans la lune, ça me frappe au moment de revenir vers l’Observatoire de Strasbourg, ici, aprĂšs quelques jours et quelques nuits dans une petite maison. (lĂ -bas, ailleurs, en Charente maritime et ça n’y parle pas allemand comme ici) LĂ -bas j’ai eu le sentiment un peu exaltant d’ĂȘtre plus proche des Ă©toiles que jamais. Et je crois que c’était simplement parce que les murs des piĂšces de cette maison en Ă©taient restĂ©s intouchĂ©s, depuis les annĂ©es voisinant celle de ma naissance.

Je ne veux pas dire qu’ils Ă©taient plus anciens que ceux des maisons voisines dans ce hameau minuscule et silencieux, mais leur surface continuait de laisser s’y marquer crĂąnement l’usure. La patine des vieux revĂȘtements, jamais rafraĂźchis, jamais repeints, y trĂŽne de ses mille variations.

La mode qu’on avait, dans les annĂ©es cinquante, d’employer dans les demeures agricoles (lĂ , charentaise) des peintures un peu luisantes, laquĂ©es, apparaĂźt du coup aujourd’hui dans une splendeur comparable Ă  celle d’un texte japonais cĂ©lĂšbre, qui exalte la beautĂ© de l’Ombre ( Éloge de l’Ombre, de Junichiro Tanizaki)

Et les circuits Ă©lectriques tout simples, la prĂ©sence de pierres Ă  eau plutĂŽt que d’éviers en inox, de bĂ»ches Ă  mettre dans les foyers pour chauffer seulement autour de l’ñtre, les lits bien froids oĂč rentrer avec une bouillotte, me parlent a l’ñme comme sa douce langue natale.

Sans parler des tinettes extĂ©rieures, celles-lĂ  exactement dont tous les alsaciens rĂ©fugiĂ©s en 1940 dans le Sud Ouest de la France me rapportaient l’inconfort qu’ils y avaient endurĂ©, quand quarante ans plus tard, dans les annĂ©es quatre vingt, je commençais Ă  ĂȘtre en Ă©tat de les interroger sur leurs souvenirs de la guerre. Quarante ans plus quarante ans font aujourd’hui. Un calendrier qui me dĂ©passe largement, au moment oĂč je rejoins l’écurie.



comme si quelqu’un aujourd’hui me demandait ce que ça me fait de retrouver, sur la porte de la grange de cette maison, ma date de naissance et l’annĂ©e de mes huit ans (alors que chaque Ă©tĂ© j’allais voir les nombreux paysans encore nĂ©cessaires aux champs en Savoie) notĂ©es Ă  cĂŽtĂ© de « moissons Â»

En les murs reliquaires ce ne sont pas os que j’observais, mais proximitĂ© des Ă©toiles, et la perception, comme un grand muscle respiratoire en mouvement tout autour de nous, de cette expansion de l’univers depuis quatorze milliards d’annĂ©es (un peu moins) et depuis que tous les protons de notre matiĂšre tenaient dans un dĂ© Ă  coudre si j’ai bien compris.

Se rĂ©veiller parfois au milieu de la nuit et sortir en oubliant les chaussures dans la nuit noire en entendant les bruits lointains des bĂȘtes, c’était une façon de songer encore Ă  ceux qui organisĂšrent cette maison, de mesurer la rĂ©ponse perpĂ©tuelle que demandait leur environnement : des bras, tout un monde capable de panser les bƓufs et les chevaux, faucher, battre et faner, charruer : je soulĂšve une vieille toile et dessous : le soc.

Avant de repartir de l’Ouest français, j’ai bien dĂ©taillĂ©, dans la banlieue de Bordeaux, dans les Ă©normes lieux de vente de produits domestiques Ikea, les origines des draps vietnamiens, des rideaux de bains pakistanais, des cotonnades Chinoises. Puis, avant d’aller au lit, aprĂšs avoir traversĂ© la France en avion, j’ai regardĂ© un bref documentaire sur l’hyper-consommation de tomates Ă©levĂ©es sous serres, hors-sol, par les europĂ©ens d’aujourd’hui. La convocation pour ces cultures, de travailleurs sous-payĂ©s, sans papiers. L’emploi, pour leur transport vers nos non gourmandises pour ces non tomates sans goĂ»t, de chauffeurs routiers exploitĂ©s et convoquĂ©s depuis les franges sans salaires minimaux, de l’Europe.

Ça a prĂ©cisĂ© le malaise ressenti le matin quand j’imaginais dans la banlieue nord de Bordeaux les modes de fabrication et de transport des tissus Ikea par l’hyperorganisation Ă  main des hyperavides. L’avion m’a moins rapprochĂ© des Ă©toiles que la maison du hameau, moins que le docu sur les tomates et les esclaves dont elles convoquent les camions pour livrer les tomates Ă  ceux qui, comme moi, adorent en rajouter dans le frigidaire mĂȘme l’hiver. Le docu s’est avĂ©rĂ© aussi vrai que la vieille maison dans le hameau.

Vallée vosgienne. Le tarif Strasbourg-bordeaux en avion deux fois et demi moins cher que le train,

Devant l’origine des textiles dans les grands entrepĂŽts du magasin scandinave je tentais de me reprĂ©senter l’envers de ce presse-orange et que j’étais moi l’orange. Mais c’est en voyant, une fois rentrĂ© Ă  Strasbourg, ce docu de cinq minutes sur les tomates dont notre fille proposait que nous en prenions connaissance immĂ©diatement – que je comprenais clairement le lien des tomates cultivĂ©es hors sol, avec les circulations du pouvoir. Élire les tomates, conclusion du documentaire.

Le jardin des dĂ©lices, Hyeronimus Bosch, Museo del Prado, Madrid. (Le complot des tomates et du transport aĂ©rien comme si j’en avais rĂȘvĂ© aprĂšs cette journĂ©e Ikea-avion- docu de Jean Gabriel PĂ©riot #67
)

Et aussitĂŽt la question de la circulation du pouvoir, toujours la mĂȘme depuis que les fermes ont Ă©tĂ© vidĂ©es de leurs occupants par l’invention des machines et que les paysans soudain inutiles avaient du aller grossir d’abord les rangs d’ouvriers sous payĂ©s, puis ceux de la prĂ©caritĂ© urbaine, en venant de pays de plus en plus lointain grossir la grisaille sans Ă©toile du panorama des lieux du ban.

CrĂ©on regardant sa fille GlaukĂš brĂ»ler. Sa tunique empoisonnĂ©e lui a Ă©tĂ© offerte par MĂ©dĂ©e lors du mariage de sa rivale avec Jason, qu’elle pensait garder toujours. Mais le drame du rĂ©chauffement climatique par nos technicitĂ©s semble presque dĂ©jĂ  structurellement dĂ©crit si l’on s’approche de l’étymologie du nom des protagonistes de cette scĂšne : Le savoir de MĂ©dĂ©e la mĂ©ditante, le symbole des sciences,(celles qui nous ont amenĂ© Ă  l’hyperproductivisme, punissant la chair de CrĂ©on l’incarnĂ© (ces corps que nous persistons Ă  ĂȘtre), d’avoir laissĂ© la brillance de sa fille GlaukĂš (cette splendeur des formes de la nature qui ont Ă©tĂ© un peu mises Ă  l’écart des villes et des banlieues) s’unir au dĂ©couvreur Jason (l’homme qui enquĂȘte et part chercher de quoi ĂȘtre lĂ©gitimĂ© dans un pouvoir dont il souhaite se faire l’hĂ©ritier), qui lui avait promis Ă  elle, MĂ©dĂ©e lĂ  mĂ©dicinale, de lui demeurer fidĂšle. Dans ce bas relief orphique on voit sans le savoir : la science brĂ»lant l’humanitĂ© en ce qu’elle a de plus sublime (car CrĂ©on-l’incarnĂ©, pĂšre aimant, va dans un instant mourir brĂ»lĂ© lui aussi, en Ă©treignant sa fille, brillance de toute la beautĂ© du monde, qui brĂ»le de la tunique que lui a offert MĂ©dĂ©e par vengeance : le feu des tomates, de l’industrie agricole, de tous les savoirs exponentialisĂ©s qui se venge de la sublimitĂ© de la nature en la recouvrant d’une brĂ»lante tunique, comme sur ce sarcophage orphique conservĂ© au Pergamon, Ă  Berlin ?
La tunique brûlante de GlaukÚ, au Louvre.


MĂ©dĂ©e, le savoir qui rattrape le corps (CrĂ©on) du pĂšre de la brillante (GlaucĂš) quand l’homme-explorant (Jason) s’imagine pouvoir encore s’en retourner vers la beautĂ© alors qu’il s’était tout d’abord soumis, pendant sa recherche de la Toison d’or, lui le chercheur, aux dĂ©couvertes de l’inventive (MĂ©dĂ©e la mĂ©ditante mĂ©diqueuse.)
 mais non, le monde brĂ»le.

Médée inventant la moissonneuse au moment de la disparition de mon monde .
Labours à SerriÚres en Chautagne en 1940, comme je les y verrai chaque été de 1957 à 1962.
SerriĂšres en Chautagne 1940

La clartĂ© du documentaire sur le drame de la production hors-sol des tomates, aussi bref qu’un repas de tomates cerises me fait l’effet d’un prĂȘche virtuose dans un temple dont soudain j’accĂšderais aux bonheurs qu’il distribue Ă  toute une fraction d’humanitĂ©, rangĂ©e sous la dĂ©nonciation par un nouvel Erasme des folies d’argent, rebelle soudain aux sourires gras et Ă  l’aristocratie du clergĂ© agro-industriel d’aujourd’hui. Je pense Ă  Luther et aux rĂ©voltĂ©s du dĂ©but du seiziĂšme siĂšcle, au bonheur d’avoir raison qui saisit les protagonistes d’une disputation, au fait que le rapport Ă  la toute-puissance donne le frisson Ă  ceux qui la dĂ©tiennent comme Ă  ceux qu’elle Ă©crase en leur offrant par les temples qu’elle leur construit, de quoi l’invoquer.

Mais puis je invoquer les tomates ? Est ce que je dispose de plus de pouvoirs pour changer les flux d’argent qui trĂŽnent en amont des lois et des armĂ©es, que celui qui Ă©tait entre les mains des paroissiens protestants se dĂ©tournant soudain de Rome pour aller vers Luther, Calvin, et aussi vers les guerres qui s’ensuivirent sans dĂ©masquer aux yeux de leurs victimes que leurs convictions tombaient Ă  pic pour leurs nouveaux maĂźtres ? Ai-je plus de pouvoir, Ă  moins de le prendre et de devenir instantanĂ©ment un rouage dominant de plus, dans notre espĂšce si profondĂ©ment hiĂ©rarchisĂ©e ?

Luther sur son lit de mort, musée de Karlsruhe.
Luther sur son lit de mort, Karlsruhe, Kunsthalle.

Je me souviens de la ruĂ©e des berlinois de l’Est, quand ils ont pu dĂ©truire le mur qui les sĂ©parait de Berlin Ouest, vers les oranges des supermarchĂ©s bien achalandĂ©s, je me souviens de la pitiĂ© que je ressentais a 33 ans pour ces foules qui, plutĂŽt que de sauter de joie a l’idĂ©e d’une libertĂ© que je pensais consommable, couraient Ă  ce qui avait le plus dĂ©figurĂ© ma ville, l’esthĂ©tique du supermarchĂ©. Seuls certains, dans les théùtres de l’Est, restĂšrent Ă  leur travail, mais ceux-lĂ  peut-ĂȘtre avaient des oranges et des frigos ?

De quoi me libĂ©rerais-je aujourd’hui


comme je ne suis en prison que de ma structure nĂ©vrotique, je ne sais pas trop quel vote me donnerait le privilĂšge d’en goĂ»ter une libĂ©ration, sans ĂȘtre privĂ© du goĂ»t des fruits de mon organisation personnelle des plaisirs.

Jardin des délices.

J’aimerais des prĂȘches qui rĂ©uniraient les foules en joie, mais les temples semblent tous toujours affectĂ©s au conflit voire aux guerres, et quant aux cinĂ©mas, temples pacifiques, ils mettent en vis Ă  vis un public silencieux de plus en plus rare, et des films qu’on peut regarder, et qu’on regarde d’ailleurs de plus en plus seuls, ou alors Ă  quelques uns dans de courageux cinĂ©mas, ou alors sur des Ă©crans de plus en plus petits qui seront peut ĂȘtre bientĂŽt greffables dans le cerveau des enfants Ă  naĂźtre, tomates ou pas, et pas pour en faire des hommes libres


MonastÚre troglodytique de San Juan de la Peña.

Plus cĂ©lĂšbre des artistes rhĂ©nan‱e‱s contemporain‱e‱s ?

Par quel miracle savoir lequel ce sera, dans un dĂ©lai aussi raisonnable que vingt ans, aussi fou qu’un siĂšcle, aussi photonique qu’une dizaine de milliards d’annĂ©es ? Mais : Â« Au regard de la pensĂ©e logique, le miracle serait une tragĂ©die Â»(citation approximative de La Symphonie tombĂ©e du Ciel d’Emmanuel Achache)

la Symphonie tombée du ciel, Emmanuel Achache, Eve Risser.

Au moment oĂč Madame Sandrine Helwig m’annonce qu’elle adore peindre, il me revient en mĂ©moire, comme un immense bruit de silence gourmand, ces heures de celles et de ceux qui prĂ©parent la fortune future des rĂ©jouis de la crĂšche musĂ©ale et, des avertis. Quel prix fou vaudront un jour les travaux d’eux tous‱tes ?

Sandrine Helwig.

DĂ©jĂ  les musĂ©es en ont consacrĂ© un sacrĂ© lot, de Tomi Ungerer Ă  Sophie Taeuber-Arp, et faut dire qu’y a une belle Ă©quipe de pĂ©cheurs-cueilleurs aux balcons banquiers rhĂ©nans
 Ça date pas d’hier


Hans Baldung Grien

C’est comme si l’Rhin voulait jouer dans la grande cour picturale des Flandres. Les flamands , ces fous de peinture. Y a des gloires ici aussi, quoi, plus que ne le voudrait une statistique mondiale Ă©galitaire. Du concentrĂ© :

Sophie Taeuber-Arp, Formes Ă©lĂ©mentaires en composition verticale-horizontale), 1917, gouache, 11 7⁄16 x 9 7⁄16 in. (29 x 24 cm). Fondation Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp
Sophie Taeuber-Arp, Formes Ă©lĂ©mentaires en composition verticale-horizontale), 1917, gouache, 11 7⁄16 x 9 7⁄16 in. (29 x 24 cm). Fondation Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp
Sophie Taeuber.
Sophie Taeuber
Sophie Taeuber-Arp Composition en taches quadrangulaires (1889–1943) 1920

Et des gloires rhĂ©nanes, mĂȘme en BD (Blutch, rien qu’ça : les sujets belges ont qu’à bien se tenir !)

Blutch (parce que Blutch, c’est du rhĂ©nan)

Et puis évidemment Tomi Ungerer :

Tomi Ungerer
Tomi Ungerer et son bagage.
ÉtĂ© 2015

ÉtĂ© 2015.

Tomi Ungerer (Slow Agony)
Tomi Ungerer c’est du RhĂ©nan itou.
Tomi Ungerer mĂȘme si ça Ă©tend le Rhin vers la Nouvelle-Ecosse



Tomi Ungerer.
L’OubliĂ©,Palimpseste.

En passant, tout prĂšs de la cathĂ©drale, devant l’ancienne vitrine de je ne sais plus quoi de ce qui fut un jour on ne sait vraiment plus quel magasin – et qui pourtant avait Ă©tĂ© luxueusement dĂ©corĂ© d’un trompe-l’Ɠil


Le souvenir d’un peintre, qui peut-ĂȘtre en aurait fait les dĂ©cors, me revient comme une ombre. Si c’est bien lui. Auteur de cent tableaux rigolards, je me souviens qu’il gagnait sa croĂ»te en animant pour le Docteur BrĂ©jeon, l’atelier d’ergothĂ©rapie d’un service psy. Il est mort discrĂštement, il y a un ou deux ans. Aussi diffĂ©rent que possible de tous les autres peintres. Était-ce bien lui ? Il faudrait que je m’approche de cette dĂ©co pour en ĂȘtre sĂ»r.

J’aimerais, tant celui qui a disparu Ă©tait modeste, que les traces laissĂ©es par son travail puisse faire oracle d’un triomphe futur, de la gloire en-soi. Le sien, son triomphe enfin, d’artiste jamais dĂ©cryptĂ©. Il resurgirait un beau jour du fleuve des temps comme un trĂ©sor, et son souvenir au moins savourerait les triomphes que savourent de leur vivant ceux qui font la joie des galeristes, des grands musĂ©es, des banques. Mais qui croit encore aux divinitĂ©s aimables de la Fortune ?

Tomi Ungerer glorieux dans son propre musée

Qui soupçonnerait, en l’oubliĂ© de l’échoppe palimpseste, un futur laurĂ©at, vĂ©ritablement olympien. Comment me souviendrais- je de l’aspect qu’eĂ»t la boutique au dĂ©but ? Mais qui, bon dieu de la mĂ©moire, l’avait dĂ©corĂ©e, cette boutique, il y a quelques dizaines d’annĂ©es Ă  peine, rue des sƓurs, face Ă  une placette créée par un bombardement, la place Matthias MĂ©rian ?

2024, Décembre.

Or voici : si le souvenir précisément en est incroyablement effacé de ma propre mémoire, il ne reste quasiment rien des décors initiaux.

2024, Décembre.
Que dirait Blotch l’antihĂ©ros du dessin inventĂ© par Blutch, de tous ces cavaliers de l’orage abandonnĂ©s au maugrĂ© d’Oublies ?
JérÎme Culmann dit Bouxwiller, lors de son repli en 1940 prÚs des maquis de la GliÚre.
Oublié des oubliés

JĂ©rĂŽme Culmann Bouxwiller, peu de temps avant que ce jeune cousin de mon oncle eĂ»t sauvĂ© ma tante Janine de l’Ennui par sa drĂŽlerie totalement effacĂ©e depuis sa mort dĂ©jĂ  lointaine (je ne l’ai dĂ©couvert que dans la prĂ©face de « Pour une danse plus humaine Â» livre consacrĂ© Ă  sa bien-aimĂ©e, la danseuse Isadorable Janine Solane.)
Le frùre d’Isadora Duncan avec Janine Solane.
JĂ©rĂŽme Culmann Bouxwiller seuls ces dessins jettent un regard sur le repli de mon Grand pĂšre et de son frĂšre O.V., Ă  la Candie en Savoie, ce qui permit Ă  ses enfants d’éviter l’uniforme nazi)
Jerome Culmann Bouxwiller, pour Dominique Solane.
JĂ©rĂŽme Culmann Bouxwiller (au vent maugrĂ© d’Oublies
 )

Il y a trois ans j’avais dĂ©jĂ  pris en passant une photo de cette devanture de l’énigme abandonnĂ©e de bon grĂ© par des ans l’outrage. Mais voilĂ  : si l’auteur en est bien celui auquel je pense, il a dĂ» se rĂ©galer en la voyant se mĂ©tamorphoser sans cesse. Il adorait l’usure des murs recouverts d’affiche qu’il allait reluquer en Inde.

2021, Novembre.
AndrĂ© Nabarro, retour d’Indes.

La vitrine dĂ©catie est un travail des moires. Aussi, ignorante comme moi des enjeux qui travestissent le quotidien en comĂ©die de boulevard ou en tragĂ©die, la dĂ©coration palimpseste de la vitrine rĂ©pond au regard de l’artiste oubliĂ©. Les dĂ©sirs posĂ©s sur la dĂ©gradation des murs qu’il observa en Inde, et avec quelle attention ! Et du coup les hypothĂšses se bousculent, lequel, mais lequel des artistes d’ici donnera le ton des futurs ? Ils sont comme les chevaux au dĂ©part d’une odyssĂ©e antique, vers les incertitudes de la mer aux larges voies, vers les naufrages ou les bruits de batailles. Ô Moires ! (L’hymne orphique aux Moires rĂ©sonne en moi je vais le dĂ©rouler dans un instant enfin sa traduction)

Je ne suis pas encore allĂ© en Inde. Mais dans un hameau secret des Charentes, prĂšs de la Boutonne, deux esthĂštes rhĂ©nans ont su garder pour le vertige de mes yeux, presque magiquement, la moire des murs anciens de la demeure agricole qu’ils achetaient aux enfants d’Albert Bastel, le long de la tortueuse riviĂšre Boutonne, et oĂč je suis revenu souvent.

Chez les deux esthĂštes rhĂ©no-charentais, conservateurs des murs de feu l’Albert Bastel.

(l’hymne orphique aux Moires :
Moires infinies, chĂšres filles de la noire Nyx, entendez ma priĂšre, ĂŽ Moires aux mille noms, qui, autour du marais Ouranien, oĂč l’Eau claire flue des rochers sous une Ă©paisse nuĂ©e, hantez l’immense AbĂźme oĂč sont les Ăąmes des morts ;

Les moissons d’Albert Bastel. Inscription pieusement conservĂ©e par les deux esthĂštes.


 vous qui allez vers la race des vivants, accompagnĂ©es de la douce EspĂ©rance et cachĂ©es sous des voiles de pourpre, Ă  travers la Prairie fatidique, lĂ  oĂč la Sagesse dirige votre char qui embrasse tout dans sa course, aux limites de la Justice, de l’Espoir et des InquiĂ©tudes, et de la Loi antique, et de l’Empire rĂ©gi par des lois puissantes, car la NĂ©cessitĂ© sait seule ce que rĂ©serve la vie, et aucun autre des Immortels qui sont sur le faĂźte neigeux de l’Olympos ne le sait, si ce n’est Zeus ;

Murs moirĂ©s du temps d’Albert Bastel conservĂ©s par pure sagesse.

et la NĂ©cessitĂ© et l’esprit de Zeus savent seuls tout ce qui nous arrivera. Mais, ĂŽ Nocturnes, soyez-moi bienveillantes, Atropos, LakhĂ©sis, KlothĂŽ !

Chez feu Albert Bastel, dirait on pas une chaire Ă  prĂȘcher la Logique d’une Ă©difiante tragĂ©die ? Que serait une tragĂ©die pour la Logique ?

Venez, ĂŽ Illustres, aĂ©riennes, invisibles, inexorables, toujours indomptĂ©es, dispensatrices universelles, DĂ©esses rapaces, nĂ©cessairement infligĂ©es aux mortels ! Ô Moires, accueillez mes libations sacrĂ©es et mes priĂšres, soyez propices

Moires aux murs de feu Albert Bastel, Charente. Si c’était l’apparition d’un voile fumeux, quelle tragĂ©die pour la pensĂ©e Logique.
Albert Bastel, « composition inconsciente de vĂ©los volants Â», grange des deux esthĂštes , Charente Maritime, dernier jour de DĂ©cembre 2024.

J’ai pour mes amis silencieux, peintres aux pinceaux aussi ailĂ©s que les vĂ©los de feu Albert Bastel, des rĂȘves aussi grotesques, d’aussi anachroniques triomphes que ceux qu’invoquait (en vain puisqu’oubliĂ©) OrphĂ©e.

OrphĂ©e ! Reviens ! Que tout cela, qu’ielles crĂ©ent, se cache un jour aux replis de la folie d’argent des investisseurs aveugles des futurs, c’est prĂ©cisĂ©ment ça qui me donne, au contraire de leurs envies insensĂ©es, des envies de Champollion, de dĂ©crypteur de mon propre DĂ©sir, celui qui seul fasse, authentiquement, Sens : je regarde autour de moi, je tends l’oreille parce que les pinceaux ne font pas de bruit. Le sens du dĂ©sir. Oligarques, si du dĂ©sir vous aviez fait la magique Ă©tude, vous cesseriez de nous abreuver de tant de merde !!!

Laurent Kohler,Regard d’une caissiĂšre non encore automatisĂ©e, abysse du NĂ©goce.

Et les hĂ©ros de la peinture seraient les hĂ©rauts de nos joies partagĂ©es pendant que, pour devenir de vraies gens de Bien, vous feriez pleuvoir les vĂŽtres, de biens, sur nos rĂ©jouissances solidaires ! Comme dans le photomontage de Tomi cette course cesserait d’ĂȘtre vers l’étrangetĂ© d’un mur. Que voulait il dire, lui le trop-glorieux ?

Tomi Ungerer
JérÎme Culmann Bouxwiller, triste succÚs.
Tomi Hindungerer.

Ainsi les fragments perdus par ma mĂ©moire de la paisible boutique, comme ceux de parchemins qu’on retrouve parfois : chanceux ! Se cacherait derriĂšre cette devanture un HomĂšre de la peinture, que les millĂ©naires conserveront quand tous ses tableaux sont dĂ©jĂ  presqu’introuvables aujourd’hui. Et son nom. Le nom de qui ?

Iliade, VIII° s. av. JC., Papyrus conservé à la BNU de Strasbourg.

Pareils Ă  ce parchemin de l’Iliade, qui dormait Ă  la BibliothĂšque universitaire dans une invraisemblable nĂ©gligence : les dĂ©cors abĂźmĂ©s de la petite boutique.

André Nabarro en Inde, seventies.

Me revient le souvenir de l’ inconnu presque parfait. Je sais, oui, qu’il aurait ADORÉ trouver un dĂ©cor aussi usĂ© que celui de la devanture peinte par lui – enfin Ă©tait-ce vraiment par lui ? : c’est dans les annĂ©es 70 qu’il allait avec quelques potes en chercher de semblables en Inde, quelques annĂ©es aprĂšs avoir terminĂ© ses Ă©tudes Ă  l’école des Arts dĂ©coratifs de Strasbourg oĂč trĂšs humblement il s’était surtout fĂ©licitĂ© d’avoir appris mieux que quiconque l’art du faux-marbre.

Screenshot
André Nabarro, plateau de table en faux-marbre
Blutch.
André Nabarro, carnet de voyage.
Le Ganesh d’AndrĂ©.
AndrĂ© Nabarro, carnet de retour d’Inde.
AndrĂ© Nabarro, carnets de retour d’Inde : un temple Ă©lectrique

Inconnu parfait, au sens d’une perfection philosophique. A quoi bon parler ou faire parler de soi ? Je les imagine, mes prĂ©cieux dans cette petite ville rhĂ©nane, par discrĂ©tion ils se taisent et reprĂ©sentent des rĂ©alitĂ©s, inimaginables sans eux, chacun la sienne. Un jour les journaux du monde entier leur tireront le portrait !

Tomi Ungerer, couverture du journal « Du Â».

Quelle vanitĂ©, la signature, quelles vanitĂ©s, les comptes en banque remplis. AndrĂ© Nabarro, ça me revient, avait mĂȘme ramenĂ© des photos de fragments de dĂ©sastres muraux indiens, et les croquis qu’il en faisait.

André Nabarro, Carnet de voyage

Avec le mĂȘme dĂ©sir d’en faire quelque chose que celui qui avait saisi Tomi Ungerer, l’étĂ© 2015, quand voyant Ă  terre des fragments brisĂ©s, il avait suppliĂ© qu’on les prenne en photo avant qu’on n’ait oubliĂ© leur disposition, afin qu’il trouve qu’en faire en matiĂšre de reprĂ©sentation.

Crookhaven, Juillet 2015..Qu’est-ce que Tomi en aurait fait ?

Puisque le nom de celui qui dĂ©corait la boutique de la rue des sƓurs n’a jamais connu de gloire, comment Ă©voquer son nom sinon en rappelant qu’il ramenait d’Inde des photographies de palimpsestes muraux ? Et qu’il ramenait aussi un Ă©merveillement. Pour enchanter ce qui l’entourait, depuis l’épicerie paternelle jusqu’aux tĂ©moins de ses fĂȘtes.

André Nabarro.
Qu’en dirait Blotch, le sujet de la BD de Blutch ? Que tout ça c’est du belge ?

Moi, j’avais pris la photo que voulait Tomi, celle du pot brisĂ©, prĂšs de Goleen, dans le County Cork.

Tomi Ungerer, la fixation du souvenir.

Peut-ĂȘtre est-ce simple geste qui fait qu’au moment oĂč Tomi s’est Ă©teint, aprĂšs avoir annotĂ© les correspondances de Nabokov, ce maudit neuf fĂ©vrier 2019, j’ai Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© avec l’impulsion de partir dessiner pendant quelques heures dans ma cuisine, sur un pauvre abat-jour, jusqu’à apprendre au matin sa mort, lĂ -bas, Ă  Cork ?

Tomi Ungerer cherchant un livre de Pierre Loti, Septembre 2018

Depuis, son musĂ©e paraĂźt s’ĂȘtre un peu vidĂ© de son attrait antĂ©rieur, quand je prononce son nom, les gens de la ville, qui tous sursautaient en entendant parler de lui, se rarĂ©fient. Les moins vieux ne savent souvent mĂȘme pas de qui on parle.
C’est comme pour l’auteur d’une Ɠuvre qui avait changĂ© ma vision du monde, F’Murrr, avec son impayable et philosophique BD du «  GĂ©nie des alpages Â» : il n’avait plus le sou, Ă  la fin !!!

Richard Peyzaret dit F’Murrr
F’Murrr
F’murr.
F’Murr.

Juste avant d’avoir photographiĂ© les Ă©clats du pot de terre cuite, devant le bistrot de Crookhaven, il faut dire que j’avais observĂ©, chez Tomi, Ă  Three Castle Head , ceci, qui semblait ĂȘtre fait d’éclats, aussi :

Tomi Ungerer.

Des Ă©clats de disque qui figurent un sourire. Quant Ă  la façade du fantĂŽme de boutique de la rue des sƓurs, l’évocation d’éclats de rire jaune m’y renvoie au contraste entre les mille reconnaissances publiques dont bĂ©nĂ©ficiait Tomi, et le grand silence qui entoure la boutique dĂ©sespĂ©rĂ©ment vide de la rue des sƓurs :


Aussi, l’effacement du dĂ©cor de l’échoppe ressemble Ă  toutes nos disparitions, et je sais que je dois me rĂ©jouir de cela, que l’éternitĂ© se moque bien du temps, que je ferais mieux de ne pas Ă©crire, que toute trace est vanitĂ© Ă  cĂŽtĂ© des joies de l’amitiĂ©, de l’aimance, de l’amour.

Denise Zeitoun réagissant en 2017 à la gloire de Tomi Ungerer.
Tiens , Denise Couca Zeitoun
 à plus de quatre vingt dix ans elle dessinait aussi !
Denise Couca Zeitoun.
Denise Couca Zeitoun.
Denise Couca Zeitoun.
Denise Zeitoun, I have never known, during the whirlwinds I’f my existence, the nature of my desire with such tranquility (Bravo!) impressions de lecture et proposition d’une correction : cette annotation sur le dĂ©sir Ă©crite a plus de quatre vingt dix ans m’apparaĂźt soudain comme un dessin, comme un poĂšme, comme une poignĂ©e de main

Vingt dieux qu’en dirait Blutch ?


C’est ça que disaient les reprĂ©sentations du panier de verres par le cĂ©lĂ©brissime Stosskopf, le peintre qui semblait annoncer une pĂ©riode aussi riche artistiquement, en Alsace, que ce qu’on a appelĂ© l’Age d’or flamand, juste avant que la soldatesque de Louis XIV nous rĂ©duise en province. Cessons de parler de moi. De nous.

Sebastian Stosskopf

Quand mĂȘme, cette boutique vide, au prix du mĂštre carrĂ© en pleine ville ! Comme un gouffre, comme une grotte oĂč on respirerait les vapeurs toxiques des dĂ©sirs : qu’est ce que je pourrais bien en faire ? Y convoquer les historiens et les critiques d’art les plus experts pour projeter tous les artistes de cette ville vers le NirvĂąna des Einstein du portefeuille ?
L’oracle pourrait tourner comme un devin fou, indiquer soudain comme un compùre, comme une autre divinatrice, les travaux secrets par exemple de :

Caroline Martin Schlosser. Femme glissant.
Caroline Martin Schlosser, Stature.
Caroline Martin Schlosser. Retour des Aviat’
Caroline Martin Schlosser
Caroline Martin Schlosser.
Caroline Martin Schlosser et “Femme-pylîne au Schelmenkopf”
Caroline Martin Schlosser.
Caroline Martin Schlosser. Femmes-pylĂŽnes sur les flancs du Schelmenkopf.

Oulala qu’en aurait dit Blutch ?


Ou quand Philippe Haag, par exemple, dĂ©laissant ses abstractions, a commencĂ© Ă  reprĂ©senter avec une telle maestria les troncs des arbres, les lignes de ses plages, les galeristes n’ont pas tout de suite compris qu’il fallait se l’arracher. Puis c’est venu. Mais c’est ce processus qui permet maintenant que son travail apparaisse, signature ou pas : rĂ©jouissance, pendant que silencieuse se tient l’échoppe abandonnĂ©e.

Novembre 2021.

Seul, probablement, je me demande si vraiment celui qui avait mis la petite boutique en peinture sera au rendez-vous protecteur, lui aussi, un jour, des collections et des musées.

Philippe Haag.
Philippe Haag.
Philippe Haag.
Philippe Haag
Philippe Haag.


Philippe Haag.


Philippe Haag.


Philippe Haag.


Philippe Haag, vague.
Philippe Haag.GrĂšve.
Philippe Haag.


Chaque annĂ©e il y a un moment de culte Ă  Strasbourg, Ă  l’Ecole des Arts DĂ©coratifs (au nom actuellement et administrativement remplacĂ© par un acronyme). A l’occasion des « diplĂŽmes», les  travaux de dizaines d’élĂšves sont exposĂ©s. Chaque annĂ©e de bouleversantes surprises renouent avec la loi de la nĂ©cessitĂ©, celle qui fait qu’aprĂšs la rencontre de telle ou telle Ɠuvre il puisse arriver qu’on ne perçoive plus rien pareillement. Ainsi la ville serait plus sous l’empire qu’il n’y paraĂźt, de crĂ©atures dessinantes, qui en savent parfois plus long sur nous que nous-mĂȘmes.

Par exemple Colomban Mouginot, dont Tomi aurait adoré les teintes :

Colomban Mouginot
Colomban Mouginot.
Colomban Mouginot.
Colomban Mouginot
Colomban Mouginot.
Colomban Mouginot

Ou AurĂ©lie de Heinzelin, dont Tomi avait Ă©tĂ© si bouleversĂ© en dĂ©couvrant le travail, (il avait parlĂ© de “terrorisme de l’ñme”) qu’il avait fallu l’empĂȘcher de boire toute une bouteille de mirabelle.

Aurélie de Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin
Aurélie de Heinzelin
Aurélie de Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin.
Aurélie De Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin.
Aurélie de Heinzelin.

Ou alors l’Ɠuvre mĂ©connu de Georges Pasquier, malgrĂ© son pignon sur rue.

Une boutique, une vitrine, l’aveuglement des voisins. Dedans, comme le ressort du destin tendu à bloc par une centaine de tableaux.

Georges Pasquier. (Le tableautin du dessous : Autoportrait
Georges Pasquier, Météorite.


Barack Obama par Georges Pasquier avec Tomi Ungerer en premier plan.2010.
Georges Pasquier.
Georges Pasquier. Vénus.
Georges Pasquier Les migrants.
Georges Pasquier. Femme-soleil levant.
Georges Pasquier.
Georges Pasquier Ma mĂšre.
Georges Pasquier (au milieu) avec une Ɠuvre du mĂȘme.
Georges Pasquier, Disques noirs.
Georges Pasquier et son Victor Hugo
Georges Pasquier.
Georges Pasquier, 1995.
Georges Pasquier.
Georges Pasquier et un‱e de ses mĂ©tĂ©orites.
Georges Pasquier.
Georges Pasquier.
Georges Pasquier. L’alsacienne.
Georges Pasquier, Géorgie.

Et en matiĂšre de gĂ©nie IrhĂ©nane, RhĂ©nirane, TĂ©hĂ©rhĂ©nane, Ainaz Nosrat pourrait Ă©videmment concourir Ă  ces folies paroxystiques dont s’evanouiraient les milliardaires les plus soucieux de prĂ©server quelque fortune en y investissant de quoi mĂ©cĂ©niser l’innocence la plus incorruptible : car l’Oeuvre d’Ainaz !

Ainaz Nosrat


Ainaz Nosrat.


Ainaz Nosrat
Ainaz Nosrat, artiste en visite chez Georges Pasquier
Ainaz Nosrat.
Ainaz Nosrat, work on process.
Ainaz Nosrat, chantier.
Ainaz Nosrat , travaux préparatifs.
Ainaz Nosrat

Ainaz Nosrat.
Ainaz Nosrat.

Ou bien Ghislain P. et ses aquarelles raffinĂ©es, rapportĂ©es de ses odyssĂ©es permanentes ? Il pourrait lui aussi, ĂȘtre sans cesse en train de revenir de lointains aussi vertigineux que celui qui dĂ©posait des laques Ă  le devanture de la boutique abandonnĂ©e de la rue des sƓurs. Ils seront bien emmerdĂ©s, les investisseurs qui n’avaient pas pensĂ© Ă  temps Ă  considĂ©rer les menhirs d’aquarelle qu’il oppose, chaque jour, aux ouragans immoruaux de la financiarisation du monde, ceux lĂ  mĂȘme que dĂ©nonçait dĂ©jĂ  Erasme.

Ghislain Pfersdorff


Ghislain Pfersdorff.
Ghislain Pfersdorff.


Ghislain Pfersdorff.
Ghislain Pfersdorff
Ghislain Pfersdorff

Ah ! Et Le mur bleu de Denis Fruchaud !

Peut-il, aprĂšs trente annĂ©es d’existence bĂ©nĂ©fique sur un mur qu’il bleuissait ici, ĂȘtre dit rhĂ©nan ? S’il s’était dĂ©posĂ© aux montants du magasin hermĂ©tiquement clos de la rue des SƓurs, viendraient elles, les sƓurs, y trouver clĂŽture pour y marmonner mille priĂšres afin que le travail de Denis pulvĂ©rise les enchĂšres ?

Denis Fruchaud. Le futur port de Mestre vers Venise quand l’affreux pont sera enlevĂ© et la navigation Ă  voile restaurĂ©e

Denis Fruchaud
Denis Fruchaud descendant, avec Jean-Jacques M., une symphonie depuis le ciel en 1995.
Denis Fruchaud : Projet de remplacement d’un tramway strasbourgeois qui circulerait uniquement les nuits de pleine lune et quand on fĂȘtera la restauration de l’Avenue des Vosges et de la ForĂȘt-noire rendu Ă  son statut de plus belle avenue du monde : drakkar tirĂ© par deux girafes rĂ©ticulĂ©es.
Denis Fruchaud. 1995.
Denis Fruchaud.2024.
Denis Fruchaud, Le chĂąteau du Falkenstein.

Denis Fruchaud.

Et que dire des facultĂ©s qu’aurait Bruno Carpentier Ă  effarer les archĂ©ologues photoniques de dans douze milliards d’annĂ©es, lui qui chaque jour multiplie son observation unique du monde, par exemple, lĂ , observant le mur bleu de Denis Fruchaud :

Bruno Carpentier. Son illustration du mur de Denis.
Bruno Carpentier, La Capitainerie, Port du Rhin, Strasbourg.
Bruno Carpentier.
Bruno Carpentier. Les tours d’Anatour.
Les tours d’Anatour, Bruno Carpentier.
Bruno Carpentier.
Bruno Carpentier. Notes au dĂ©cours de l’exposition « Ă‡a vaut le DĂ©tour Â» prĂ©sentant conjointement des Ɠuvres de Tomi et les emballages cartonnĂ©s arrachĂ©s Ă  la poubelle collective d’un immeuble du Schnockeloch (trou Ă  schnock, surnom de l’Alsace) et posĂ©s dans des cadres arrachĂ©s Ă  « EmmaĂŒs Â»
Bruno Carpentier. L’ombre, la lumiĂšre, les Ă©critures oubliĂ©es de Sumer ressurgissent des tours des annĂ©es soixante-dix sur le site des anciennes casernes prussiennes du Strasbourg 1870, palimpseste de Straßburg.
Bruno Carpentier.

Mais Bruno Carpentier, lui, a déjà les ailes de la Renommée !

Bruno Carpentier, tour de la Commanderie, Nancy.
Bruno Carpentier.
Bruno Carpentier, regard d’un NancĂ©en sur le plus vieux monument de sa ville natale.

Et François Duconseille, dont j’attends que le Whitney MusĂ©um le bombarde citoyen amĂ©ricain afin juste d’obtenir le droit de l’exposer Ă  New York ?

François Duconseille, et Bruno Carpentier en train de dessiner.
François Duconseille, pied de nez aux restes (emballages métamorphiques)
François Duconseille.
François Duconseille.
François Duconseille.
François Duconseille. DĂ©chets arrachĂ©s Ă  la tombe du BAC JAUNE dans la cave de l’immeuble.
François philosophal Duconseille .

Et au delĂ  des murs Ă©rodĂ©s de la citĂ©, au delĂ  du mystĂšre prophĂ©tique des gloires, plus silencieux qu’un sphinx, Antoine Walter ? Son Ɠuvre sĂ©crĂ©tĂ© au fil des dĂ©cennies au fond d’une deuxiĂšme cour qui fut un vrai Carmel, cachĂ© en clĂŽture, dans l’élaboration d’un travail vertigineux qui associait la topologie, les structures du penser, les thĂ©ories chromatiques ?

Antoine Walter (en allant sur « delcaflor Â» son site, c’est la forĂȘt profonde 

Antoine Walter.
Antoine Walter
Antoine Walter
Antoine Walter
Antoine Walter, paravent.
Antoine Walter
Antoine Walter, bijou borroméen.

Et ainsi, muette, se tenait l’échoppe, ĂŽ, sƓurs renommons votre rue, et allons voir lĂ -bas au pays qui vous ressemble, les miroirs profonds,, les riches plafonds et la rue de la sororitĂ©.

Rue de la sororitĂ©. L’échoppe oraculaire Ă  droite et la cathĂ©drale hirondelle en train de se jeter dans le ciel Ă  gauche.

Dirait on pas que c’est depuis cet angle que Laurent Kohler aurait esquissĂ© un de ses milles croquis de la CathĂ©drale (le mille et uniĂšme suspendu entre une douceur proustienne et celle des MĂ©nines, posĂ©es par lui dans le dernier urinoir NapolĂ©on 3 de la ville ?)

Laurent Kohler, Cathédrale, les mille croquis.
Laurent Kohler , Velazquez et Marcel Duchamp.
Laurent Kohler, Fontaine, le retour.

Certainement ma grand-mĂšre (qui prenait des cours de peinturerie) aurait toisĂ© un tel geste urbanistique et l’aurait elle dĂ©clarĂ© Boche, en continuant de nous cacher qu’elle Ă©tait de Metz et pas de Nancy (d’oĂč l’on toise encore l’Alsace et la Moselle au jour administratif d’aujourd’hui). Elle se serait drapĂ©e dans les plumes de ses tenues en se tournant rĂ©solument vers les surrĂ©alistes parisiens comme un soleil lĂ©gitimant ses obscures origines germaniques.

Aymée Notté, épouse Greff, une plume de sa robe. Les années vingt.(elle aussi peignait à ses heures)
Aymée Notté
Aumée Notté peintre en cachette.
Tomi Ungerer, Observant une éclipse de cathédrale.
Tomi, Couverture du journal « Du Â».
Laurent Kohler, Depuis le regard des passagers du Tramway, la cathédrale.



Et, au delĂ  de la liste nombreuse des gĂ©nies qui surprennent et modifient sans relĂąche le regard de ceux qui d’ici observent leur travail, en cherchant plus loin dans le passĂ©, l’incroyable Allenbach, inconnu Ă  New York ?

René Allenbach.
René Allenbach
René Allenbach
Laurent Kohler, un de ses mille croquis (incitations Ă  la mille et uniĂšme nuit ?)







Quant Ă  RenĂ© Ringel d’Illzach, depuis que l’abracadabrant singe au dauphin n’est plus dehors dans les jardins de l’Orangerie, qui ne susurrerĂ©alisterait son nom ?

Ringel sous la protection d’Augustin.
DĂ©sirĂ© Ringel d’Illzach.
Ringel d’Ilzzach.

Et l’immense Lothar von Seebach, qu’aucun galeriste chinois ou japonais n’a encore imaginĂ© Ă  quel prix on se l’arracherait ?

Lothar Von Seebach.
Laurent Kohler. Le palais de l’empereur, qu’on verrait sur le tableau de Lothar von Seebach s’il avait un tout petit peu penchĂ© la tĂȘte vers la droite.
Laurent Kohler, L’axe Ă©gyptien du Strasbourg impĂ©rial, depuis le soleil levant jusqu’à l’empire des morts.
Lothar Von Seebach
Lothar Von Seebach Strasbourgeois dans l’IntĂ©rieur d’une autre Ă©choppe, pas si loin de celle dont l’OubliĂ© recouvrit un jour lointain les encadrements.
Laurent Kohler, Strasbourgeois dans l’intĂ©rieur du Tramway,(Ă©ternitĂ© de l’instant ?)

En m’approchant du dĂ©cor de la boutique de la rue des sƓurs, le mystĂšre s’allĂšge. Vraiment ? MĂ©fiance d’Acier, aurait profĂ©rĂ© le meilleur ami d’AndrĂ©, le tahitien Christian Lengaigne :

Christian Lengaigne. MÉFIANCE D’ACIER.

Ce faux- marbre ! Aucune mĂ©fiance n’est plus de mise. Chacun son truc et celui-lĂ , c’est du Nabarro. Oui, celui qui revenait des Indes.

André Nabarro.

Il est d’AndrĂ©. AndrĂ© Nabarro qui a fait humblement et rigolardement les Arts DĂ©co en 68. S’il s’était trouvĂ© qu’un indien, au contraire, avait visitĂ© notre ville, au temple gothique de grĂšs rouge comme AndrĂ© Nabarro visitait le Kerala


André Nabarro.

( oui, c’est lui qui sera photoniquement cĂ©lĂšbre dans huit milliards d’annĂ©es!)Oui, si cet artiste Ă©tait venu visiter le grand temple de Strasbourg comme AndrĂ© allait visiter ceux de L’Inde, ces dĂ©cors totalement effacĂ©s de la boutique divinatoire l’auraient tellement aguichĂ©, qu’il les aurait ramenĂ©s dans le Kerala


ÉlĂ©ments rapportĂ©s par AndrĂ© Nabarro depuis le Kerala, annĂ©es quatre vingt.
André Nabarro , filigranes 

André Nabarro, filigranes.

Et peut-ĂȘtre cet hypothĂ©tique Indien en aurait-il tirĂ© des panneaux symĂ©triques Ă  ceux qui naquirent chez AndrĂ© en rentrant de ses effarements mystiques aux temples hindous.

André Nabarro.

Il aimait tant les fĂȘtes, AndrĂ©, qu’on l’appelait « La Fraise Â». Il mettait, Ă  la prĂ©paration de ses fĂȘtes, une passion de bĂ©nĂ©dictin.

André Nabarro, La Fraise.
André Nabarro.

Il aimait, comme Tomi le glorieux, aligner des objets sur ses rayonnages. Mais si Tomi disposait comme ça, dans une sorte de métaphysique objectale :

Tomi Ungerer
Tomi Ungerer.

AndrĂ©, lui, dans un mĂȘme et immense Ă©clat de rire avec le mĂȘme et chanteur accent alsacien alignait :

Hergé, honoré par André Nabarro.
Cuisine d’AndrĂ©.

Un grand vent secoue la plaine, tous les noms s’envolent, reste le Nabarro mĂ©connu, en train de crier : TU RIGOOOOOLES !

André Nabarro.

Et on rigoooolerait


André Nabarro
On rigooooolerait comme pas possible.
André Nabarro. A la gaaare et avec les bagaaages.

Et le grand vent secouerait la plaine.

Et si, subitement, ce soir, demain, réapparaissait miraculeusement Tomi, pharaon ressuscité mais encore effrayé par la peinture des grands Autres, (Hopper par exemple) un verre à la main pour se défendre ?

Edward Hopper
Tomi Ungerer
Tomi Ungerer

Et mĂȘme un marc de GewĂŒrtztraminer pour se prĂ©munir de la gloire de l’autre Grand Autre, la Sophie Taeuber, le Hans Arp s’il le fallait !

Hans Arp et Sophie Taeuber, projet pour l’Aubette.
Jean-Hans Arp, Sophie Taeuber-Arp et Denis Honegger.

Ah, cette rĂ©apparition de Tomi, quel dĂ©licieux miracle ce serait ! Je pourrais bazarder l’abat-jour maudit du neuf FĂ©vrier !

Abat jour peint pendant que s’éteignait Tomi.


Tomi Ungerer.


Mais la presse, dĂ©chaĂźnĂ©e par le grand vent sur la plaine, combien de temps attendra t elle pour dĂ©couvrir que tous ces travailleurs acharnĂ©s pĂ©riment par le miracle de leur ƒuvre, sans arrĂȘt, ses premiĂšres pages et ses grands titres, balbutieurs de faits-divers portĂ©s aux paroxysmes des guerres et des Ă©pidĂ©mies ?

La presse.
Laurent Kohler, « AndroĂŻds Â» , aprĂšs effacement de la presse, le vent mauvais de la mise en esclavage par le « maĂźtre-du-bout-des-doigts, influenceur absolu des absolutismes oligarques
 Par quel miracle l’apparition du vivant viendrait-t-elle mettre nos maĂźtres Ă  la retraite ?


Sauf qu’en matiĂšre de miracle, la grande phrase est prononcĂ©e ce soir du 14 DĂ©cembre 2024, dans la reprĂ©sentation au TNS de «  La Symphonie tombĂ©e du ciel Â» : « Pour la Logique, la survenue d’un miracle serait une tragĂ©die. Â»

Une Symphonie tombée du ciel.
« La Symphonie tombĂ©e du ciel Â», le quatorze DĂ©cembre 2024, T.N.S.
André Nabarro (table)
Alors, sĂ»rs de la Logique , on chercherait comme un bĂ©nĂ©dictin toutes les reliques du savoir-faire de l’OubliĂ©.
La Fraise en fĂȘte.
André Nabarro
AndrĂ© Nabarro prĂ©parant mĂ©ticuleusement son antre Ă  fĂȘtes.
André Nabarro
DĂ©cor de fĂȘte Nabarrienne.
André Nabarro.
Du déliiiire.
Les fĂȘtes Ă  La Fraise !
André Nabarro
André Nabarro.
André Nabarro.
AndrĂ© Nabarro, Les cylindres Ă  priĂšres, et l’étroitesse d’un lit.
André Nabarro par Vincent Nabarro
La famille d’AndrĂ© , balbutiements d’une historiographie.
DĂ©but d’une biographie NabarandrĂ©enne : les parents de l’artiste en jeunes gens.
L’AndrĂ© en Inde et des couleurs le combat.

Mais l’échoppe achoppe sur ce combat des couleurs photographiĂ© en Inde, lorsque je remarque, dans l’atelier de Georges Pasquier, l’ombre coĂŻncidentielle de la mĂȘme scĂšne :

Georges Pasquier, Combattants.
Palimpseste sororal.
Murmuration d’étourneaux : symphonie tombĂ©e du ciel ?
AndrĂ© Nabarro, rue des SƓurs, une fĂȘte au Bar des Aviateurs, offerte par Franck Meunier, peu avant le lent effondrement de La Fraise. Pense-t-il, quelques secondes aprĂšs, Ă  regarder, quarante mĂštres au delĂ  du bar des Aviateurs, les restes de son travail sur la devanture oraculaire ?
AndrĂ© Nabarro, promo des Arts DĂ©co Mai 1968 du faux-marbre persistant rue des sƓurs.
« S’il y avait un miracle, ce serait une tragĂ©die pour la Logique. Â»( citĂ© dans « La Symphonie tombĂ©e du ciel Â» de Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser et Antonin Tri Huang.
Image construite fortuitement par le soleil et des branches, Pierre aux Neuf gradins, Soubrebost, (Creuse) dans la partie cĂ©phalique d’une cupule cultuelle depuis le PalĂ©olithique probablement. Apparition miraculeuse ?
Soubrebost, leçon de dessin, visage de femme sur la pierre oĂč elle fut peut ĂȘtre sacrifiĂ©e. Auteur «  l’ombre des arbres du bois de la Pierre aux Neuf Gradins. Symphonie tombĂ©e du ciel ?
« La Symphonie tombĂ©e du ciel Â» Emmanuel Achache, Eve Risser

Elsa AgnÚs , Décembre 2024.

André Nabarro devant quel temple ?

Et l’oracle alors, se jouant de la logique, se tournait vers Patrick Garruchet aux Ă©critures emportĂ©es, aussi dĂ©cidĂ©es que les jeux d’ombres sur la Pierre aux neuf gradins de Soubrebost.

Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick’Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.
Patrick Garruchet.

Les encres, oui, comme la victoire d’une montagne Sainte Victoire.

Patrick Garruchet.
Ainsi qu’au verso de l’OubliĂ© (Albrecht DĂŒrer, Karlsruhe)
:
Au Verso du MĂ©prisĂ©, un abstrait d’Albrecht DĂŒrer, Autoportrait barbu regardant une silhouette vue de dos, tĂȘte et nuque, ou abstraction absolue ?)
Albrecht DĂŒrer autoportrait dĂ©sirant ?

Cependant au concours des futurs rĂ©siste l’échoppe


André Nabarro en Pythie de Telphes (prononciation Dettwiller)
André Nabarro.
André Nabarrooooo
Blutch.Surgissement d’un nouveau Ă  « Fluide Glacial Â»
Aloyse Roth (qui travaillait encore comme peintre du bĂątiment en 1990) : chef d’Ɠuvre d’entrĂ©e dans le mĂ©tier : Angle rue de ZĂŒrich et du quai des bateliers Ă  Strasbourg, avant le comblement du Bras du Rhin qui surgissait lĂ , et oĂč les BĂąlois sont venus secourir les Strasbourgeois lors du bombardement de 1870, quelques annĂ©es avant la naissance d’Aloyse.
On Nabarigooolerait!

On dĂ©couvrirait Ă  l’envers relatif des cartes du Temps tombĂ©es de la poche d’Einstein, que de colossales fortunes se seraient Ă©difiĂ©es, des empires, que dis-je, des promontoires, que dis-je, des nez tartuffĂ©s d’émeraudes et de rubis, grĂące aux triomphes prĂ©dits par la boutique oubliĂ©e de la place Matthias MĂ©rian. Les triomphes de :

Albrecht DĂŒrer Ă©videmment
.
Albrecht DĂŒrer pas en vert.
Sophie Taeuber-Arp.
Denise Couca Zeitoun (aux Ɠuvres Ă  rechercher au fil des papiers qu’elle a bien dĂ» laisser quelque part !)
Aurélie de Heinzelin bien évidemment.
Ainaz Nosrat : Les persans exigeraient la restitution de toutes les Ɠuvres d’Ainaz Nosrat entreposĂ©es au Centre Pompidou rebaptisĂ© Bombidou.
Denis Fruchaud éternellement

Caroline Martin-Schlosser serait à l’origine de retentissantes fortunes
l
Laurent Kohler avec Philippe Haag.
On retrouverait dĂšs centaines de tableaux d’AymĂ©e NottĂ©, plus inventifs que « Lilas sur fond noir Â», enfouis sous la tour de la Commanderie de Saint-Jean Ă  Nancy

Commanderie de Saint Jean, avenue Jeanne d’Arc, Nancy.
Commanderie de Saint Jean, Nancy, avant les boulevards.
Georges Pasquier.
André Nabarro au Tivoliiii.
Patrick Garruchet et François Duconseille à Bùle palimpseste de Basel.
F’Murrr, visitant le (et exposĂ© au) MusĂ©e Tomi Ungerer, sous la protection et l’admiration de Madame la Conservatrice ThĂ©rĂšse Schmitt Willer.
Bruno Carpentier : Et le monde futur n’aurait pu ĂȘtre reconstituĂ© que grĂące aux recensions de l’actuel par Bruno Carpentier, c’est dire les droits d’auteur !!!!
15 Mars 2015. François Duconseille observant l’OubliĂ©, le MĂ©prisĂ©, le RejetĂ©, au verso de l’«Abstrait(?)» d’Albrecht DĂŒrer.
JérÎme Culmann Bouxwiller.

Ainsi tous, lestĂ©s du poids immense de la vitrine oubliĂ©e de la rue des sororitĂ©s, courant dans le silence des pinceaux vers le regard bienveillant des divinitĂ©s oubliĂ©es, en un immense concours rĂ©tinien, prunelles des yeux d’Isis, Regina Coelis.

André Nabarro, boucliers De la Peinture, Kerala.
Lorraine Bonnani nĂ©e Schneider, artiste États-Unienne rhĂ©nane.

Torse des Pyrénées Rhénan.

Un vertige simple sĂ©pare ce DĂ©cembre 2024 du mois d’étĂ© 1977. Je me revois alors, Ă©crasĂ© d’envie et de remords en savourant la prĂ©sence, parmi notre groupe d’une trentaine d’amis rĂ©unis en un drĂŽle de chĂąteau dĂ©glinguĂ©, d’un qui avait rĂ©ussi Ă  entrer Ă  l’école Normale Sup de la rue d’Ulm. Je savais devoir continuer de me dĂ©battre sous le poids de rĂ©frigĂ©rantes Ă©tudes, par ma propre incapacitĂ© Ă  rĂ©ussir un aussi vertigineux concours, moi, bien Ă©loignĂ© en MĂ©decine des excellences de la poĂ©sie, de la littĂ©rature, du vouloir-reprĂ©senter de la pensĂ©e. Vouloir reprĂ©senter. Re-prĂ©senter ! L’acte essentiel de l’homo sapiens. Quoi de plus fondamental que la re-prĂ©sentation si l’on doit parvenir Ă  vaincre les catastrophes qui sont la rĂšgle de nos quotidiens, et plus prĂ©cisĂ©ment des quotidiens mĂ©dicaux ? Si je ne me reprĂ©sente pas ce qui m’arrive, je suis cuit. Lui, Antoine, Ă©tait dĂ©jĂ  riche de cela.
Et pourtant c’est la chĂ©rie de cet homme savant qui essaie de lui apprendre Ă  distinguer une chĂšvre d’un mouton et rit de moi lorsque je lui confesse avoir attendu soixante huit ans sans savoir que les patates se rĂ©coltaient sous la terre comme leur autre nom l’indique pourtant suffisamment. Du coup et comme pour sauver nos journĂ©es de DĂ©cembre, quels rires et quelles musiques pĂ©tulantes nous avons fait tomber sur les gravitĂ©s du Penser !

Le vertige liĂ© Ă  la visite de nos deux amis du Couserans ne se creuse pas du simple fait qu’on est lĂ , comme des cons, Ă  regarder passer le Char du Temps depuis nos confortables places de 2024 (confortables parce que la guerre n’est pas encore ici semble-t-il ) Presque un demi siĂšcle aprĂšs 1977 ! MĂȘme si le temps avec son sablier nous a fait, Ă  nos Ăąges, d’atroces grimaces et des douleurs pires encore. Je dys Enfer et Enfer puis bien dyre/ Et si l’allez voir le verrez encor bien pire. Ce vertige se nourrit de savoir combien ils ont vĂ©cu d’annĂ©es de contemplations des tranquillitĂ©s, des lacs de montagne, des riviĂšres du Couserans, des grandes forĂȘts, pendant que nous patientions dans les bouchons des avenues urbaines ou dans les wagons du tram, environnĂ©s par des visages affairĂ©s uniquement Ă  scruter l’écran du portable. Pour passer le temps sans lui faire honneur, comme dans ce tableau de la procession du Temps ? Évidemment de mon cĂŽtĂ© et sans savoir pourquoi j’ai tentĂ© d’opposer Ă  la fuite du temps mon Ă©criture et j’ai tentĂ© depuis une dizaine d’annĂ©es d’écrire une sorte d’enquĂȘte sur ce que pourrait bien ĂȘtre le sublime. AprĂšs avoir croisĂ© les paysages du Couserans cet Ă©tĂ©, j’ai d’ailleurs prĂ©fĂ©rĂ© en rabattre quant au titre : et je suis passĂ© de «  La sublime enquĂȘte Â» Ă  : «  Le Dieu des songes Â».

En se retrouvant aprĂšs tout cet intervalle de temps on sait, Antoine et moi qu’on a essayĂ©, lui d’enseigner Ă  Pamiers, moi d’écouter les rĂȘves de ceux qui pensaient pouvoir, en me les narrant, viser Ă  l’allĂšgement de quelque symptĂŽme particuliĂšrement chiant. Et c’est le spectacle des songes qui me permet en effet de dĂ©couvrir Ă  quel point nos inconscients nous amarrent Ă  une forme de Loi, Ă  un bien et un mal, Ă  un sublime, donc, et Ă  ses reprĂ©sentations qui font frĂ©mir tant de neuro scientifiques lorsqu’ils Ă©tablissent quelque modĂšle tant soit peu pertinent des organes qui arriment notre pensĂ©e Ă  la matiĂšre.

A ce propos je trouverais normal qu’on me dĂ©cerne, pour continuer d’écouter les rĂȘves, le double confessionnal pyrĂ©nĂ©en reprĂ©sentĂ© ci-aprĂšs plutĂŽt que le rez de chaussĂ©e de ma tour Ă  cagots (voir sous « Oloron Sainte Marie » ce que c’est qu’un cagot) qui plus est construite au cours de ce grand mouvement de dĂ©pouillement des seventies.

Évidemment je passerais volontiers un demi millĂ©naire Ă  ça, et plus, quitte Ă  me souvenir des rĂȘves de Nabuchodonosor et d’Ut Napishtim


Mais comme dĂ©jĂ  je fatigue, d’avoir trop brassĂ© de temps, l’aspiration au sommeil Ă©ternel ne me semble plus une erreur de la nature. Je n’en ferais pas plus un plat que de cet abyme d’avant ma naissance, ces Ă©ternitĂ©s dont j’étais aussi absent que je le serai aprĂšs ma mort. Enfin, Ă©ternité  au moins douze milliards d’annĂ©es, et avant le big bang, va savoir
 Et savourer tranquillement les amis, comme cette semaine oĂč ils dĂ©cidaient d’une visite Ă  mes villes des bord du Rhin. Qu’on a ri ! Vertigineusement parce que, depuis 1977, je n’ai rencontrĂ© Antoine qu’à trois reprises, et qu’à la troisiĂšme, il a acceptĂ© de devenir le professeur de français qui se penche sur les fragilitĂ©s de mon Ă©criture . D’oĂč le plaisir de les aider tous deux depuis cette distance incroyable, Ă  ne pas trop dĂ©tester Strasbourg et Colmar, malgrĂ© la banalitĂ© commerciale du marchĂ© de NoĂ«l. Oui, malgrĂ© la fadeur de ce moment congestif oĂč les deux villes sont accablĂ©es par l’absence de neige. Plus la moindre magie blanche, sur les cabanes du marchĂ© de NoĂ«l. A tel point que, quittant jeudi les rues de Colmar sonorisĂ©es par le diable lui-mĂȘme certainement, j’en suis venu Ă  trouver ravissante cette sieste de deux rĂ©verbĂšres dans un terrain dĂ©licieusement vague.

PlutĂŽt regarder les dĂ©combres alentour les centres des villes, transformĂ©s en usines Ă  vin chaud et Ă  boules de NoĂ«l. PlutĂŽt tenter de retrouver visuellement, aprĂšs l’avoir observĂ©e tant de fois au musĂ©e des Unterlinden, la tragĂ©die du rabbin crucifiĂ© par Rome, en regardant comme une Ă©nigme l’entrecroisement cruciforme des cĂąbles de la gare. Plus me plaĂźt la descente de croix d’un pylĂŽne ferroviaire que le mont Golgotha de mille baraques masquant en sĂ©rie les architectures de Colmar.


Quoi de plus Ă©loignĂ©, outre les dates anciennes de ma premiĂšre rencontre d’Antoine l’AriĂ©geois, le professeur de Pamiers, que les lieux oĂč nous vivons, moi et lui : lui se promenant dĂšs que possible aux lacs fous des hauts de son hurlevent pyrĂ©nĂ©en.

Moi en mes aller-retour quotidiens Ă  travers le campus universitaire oĂč, si j’étais paranoĂŻaque je me dirais qu’une secte a dĂ©cidĂ© de rester Ă©ternellement juvĂ©nile et marrante juste pour narguer mon air vieux de vieux.

Ça fait quand mĂȘme plus de dix mille aller retour quotidiens que j’y fais, et chaque fois je traverse des foules d’étudiants dont je n’ai plus l’ñge. Un complot.

Alors évidemment on leur a montré, aux pyrénéens, la cathédrale.

A ce moment, Antoine m’a rĂ©vĂ©lĂ© les poĂšmes de Hans Arp qui la disent hirondelle.

La cathĂ©drale est un cƓur
Comment ai-je pu dire
que la cathédrale de Strasbourg
Ă©tait un cƓur?
Pour la mĂȘme raison
que vous pourriez dire
que nous sommes une branche d’étoiles
que les anges ont des mains de poupée
que le bleu est en danger de mort
qu’il dĂ©teste les surhommes
et qu’il prĂ©fĂšre les hommes de neige
qui fondent sur une plage d’étĂ© entourĂ©s de lampes Ă  pĂ©trole.
La cathĂ©drale est un cƓur,
La tour est un bourgeon.
Avez-vous compté les marches
qui mĂšnent Ă  la plate-forme ?
Elles deviennent chaque soir de plus en plus nombreuses.
Elles poussent.
La tour tourne
et tourne autour d’elle.
Elle tourne elle pousse
elle danse avec ses saintes
et ses saints
avec ses cƓurs.
S’ envolera-t-elle avec ses anges
la tour de la cathédrale de Strasbourg ?
La cathédrale de Strasbourg
est une hirondelle.
Les hirondelles
croient aux anges de nuages.
Les hirondelles ne croient pas aux échelles.
Pour monter en l’air
elles se laissent tomber en l’air
dans l’air tissĂ©
de bleu infini.
La cathédrale de Strasbourg
est une hirondelle.
Elle se laisse tomber dans le ciel ailé
dans l’air des anges.

Jours effeuillés, 1966

GrĂące Ă  sa compagne on a dĂ©couvert alors qu’une statue Hans Arp, ayant dĂ©corĂ© pendant des dĂ©cennies le quartier de mes allers-retours quotidiens avant d’ĂȘtre mise en sĂ»retĂ© au musĂ©e, s’appelle : Torse des PyrĂ©nĂ©es !


Cet Ă©tĂ©, tout derriĂšre leur pays du Couserans, j’ai dĂ©couvert le troisiĂšme gĂ©ant des PyrĂ©nĂ©es, le Monte Perdido. Peut-ĂȘtre parce qu’il est, comme la cathĂ©drale, en grĂšs rouge, j’avais eu le temps en le regardant de me demander combien de milliers de cathĂ©drales de Strasbourg il pourrait contenir.

Mais si son mysticisme, tout de rĂ©alitĂ© rĂ©aliste, si son mysticisme de montagne rĂ©elle, Ă©tait plus Ă©chevelĂ© que celui des narrations bigotes ? Et si une montagne, convenablement envisagĂ©e, ne renfermait pas en elle plus d’explications du monde et des vertiges plus immenses, que les merveilleuses histoires dont se soutenaient si fermement les pouvoirs ecclĂ©siastiques, au temps des cathĂ©drales. C’est un grand hĂ©ros solitaire, la flĂšche gothique en quoi je me reluque, en miroir, mais pourquoi ai-je eu un sentiment de la mĂȘme nature devant le Monte Perdido ?

En plus je suis sĂ»r qu’inconsciemment la tour d’orfĂšvrerie incarne, au milieu de la plaine rhĂ©nane, au milieu de ma ville, l’idĂ©e mystique de montagne plus que la pauvretĂ© canonique qu’ont tant aimĂ© piĂ©tiner de leur pied bien nourri Ă©vĂȘques et cardinaux des temps jadis. (Ici c’est le pied du cardinal de Rohan pourrait on dire)

Et c’est lĂ  qu’Antoine m’a avouĂ© avoir gravi, et Ă  plus d’une reprise, ce Mont Perdido quand je le regardais, moi, sagement, allongĂ© sur une sorte de menhir horizontal au milieu du Rio pyrĂ©nĂ©en, le Rio Arazas qui coule Ă  ses pieds.

Plusieurs ascensions, donc l’équivalent d’une prise de connaissance de cet Ă©norme masse que je regardais depuis ma riviĂšre, joyeusement (et paresseusement), sans oser aller y voir de plus prĂšs. Un peu comme je fais avec la physique quantique, avec la relativitĂ© du temps : j’ai beau savoir qu’il suffirait de se promener dans des livres pour comprendre non seulement de quoi il retourne, mais surtout ce que ça signifierait pour moi, ce que ça a comme consĂ©quences pour moi, et bien non : je laisse les ouvrages de vulgarisations de la physique quantique fermĂ©s. Et du coup je ne sais pas oĂč je suis. Au contraire de l’ami ariĂ©geois en visite qui, lui, en connaĂźt un rayon en matiĂšre de physique et de chimie, et de mathĂ©matiques.

heureusement sa chĂ©rie Ă©tait lĂ  pour rappeler que, s’il a de la philosophie des sciences ce savoir du quantisme (qui devrait ĂȘtre obligatoire avant tout droit de vote), il confond chĂšvre et mouton dans les paysages qu’ils traversent tous deux. Et pof. Le philosophe philosophĂ© !

Mais grĂące Ă  lui, cette nuit, me berçant au moment de m’endormir de l’idĂ©e que j’adore depuis longtemps (tenir l’éternitĂ© comme une divinitĂ© dans mes bras) je sais que les protons datent d’avant l’Univers.

En face de la cathĂ©drale se tiennent deux musĂ©es, dont un qui renferme les originaux de certaines statues, mais aussi des tableaux allĂ©goriques illustrant la fragilitĂ© du verre pour Ă©voquer la notre, et ces trĂšs Ă©tonnantes armoires dĂ©corĂ©es de colonnes en vis dont on dirait qu’elles sont des vaisseaux. Des navires protĂ©geant, outre les temps rĂ©volus, la croisiĂšre imaginaire dans tout ce que les pays rhĂ©nans ont pu me dĂ©livrer dĂ©jĂ  de leurs trĂ©sors. A tel point que surlendemain de la visite des chambres magiques de l’Oeuvre Notre Dame et de leurs armoires, je serais Ă©tonnĂ© de ne pas dĂ©couvrir aux collections d’armoires musicales des automates du chĂąteau de Bruchsaal, des musiques plus profondes. Quiconque a croisĂ© du regard les objets amoncelĂ©s de la renaissance rhĂ©nane au fil de sa promenade dans les petits dĂ©dales du musĂ©e de l’Oeuvre, se scandalisera de n’entendre les automates musicaux de Bruchsaal ne faire que du flonflon et pas les musiques mystĂ©rieuses qu’on s’attendrait Ă  voir exploser depuis les brumes du fleuve qui cachaient le soleil pendant la visite de mes amis.

Et comme, pendant la visite des amis du Couserans, j’ai dĂ©couvert avec eux je ne sais plus combien de tableaux accrochĂ©s dans les musĂ©es d’ici, ceux que je m’imagine chaque fois connaĂźtre suffisamment, une fois que tous mes protons et le reste de ma matiĂšre rĂ©unie aura fait de moi un endormi : desquels vais je rĂȘver ? Pourquoi la procession du temps et la fuite du temps m’ont elles chatouillĂ© la rĂ©tine ?


Presque par miracle et en tous cas par accident, l’avant-dernier musĂ©e visitĂ© aura Ă©tĂ© le plus joyeux, avec cette plus riche collection d’automates musicaux du monde, prĂ©sentĂ©e dans un chĂąteau aussi colorĂ© qu’une glace Ă  la pistache! L’effet des mĂ©caniques soufflantes, pianotantes, et mĂȘme joueuses de violons, a Ă©tĂ© le mĂȘme que le rire de nos compagnes sondant sans cesse les ignorances que masquent nos passions pour les textes, les tableaux et les musiques. La mĂ©lodie de leurs rire efface l’abyme du Temps qui se dĂ©robe en riant sous moi au moment oĂč Antoine me fait rĂ©aliser l’ñge des protons ? Plus vieux que l’Univers, vraiment des milliards d’annĂ©es ?

Peut ĂȘtre est ce leur longue habitude des promenades dans les paysages autour de Moulis, de MassĂąt et de Biert, qui donne Ă  mes amis de lĂ -bas le surplomb nĂ©cessaire Ă  dĂ©crypter l’actualitĂ© ?

Ainsi dans cette image effroyable de la souffrance conservĂ©e aux musĂ©es de Strasbourg on croit que chacun ne pourra que ressentir de la compassion, mais grĂące au surplomb de mes visiteurs j’entends d’eux cette opinion tellement juste que, si l’on veut voir le sentiment le plus frĂ©quemment consubstantiel a ce qu’on appelle l’humanitĂ©, c’est le visage du centurion qu’il convient de choisir. Et qui est d’ailleurs sans cesse plĂ©biscitĂ©. Combien d’enfants dormiront Ă  la rue cette nuit Ă  Strasbourg ? Cette nigĂ©riane hier soir avec son bĂ©bĂ© dans les bras, sous le hall de la gare, savait elle oĂč elle s’allongerait par cette nuit glacĂ©e ?

La rĂ©alitĂ© de la montagne plutĂŽt que la naĂŻvetĂ© d’une fiction, quoi


Tous des centurions, les escrocs et les sadiques devant ?
Seul le tintamarre des automates musicaux du musĂ©e de Bruchsaal a pu dĂ©rider l’hiver, et le rire de nos compagnes chantant avec les Rita Mitsouko pendant que la voiture filait sur l’autoroute
 Des mĂ©lodies pour fanfare du cƓur.

Les mĂ©caniques musicales un brin tonnantes des orgues mĂ©caniques de Bruchsal avaient rĂ©ussi Ă  ensoleiller mĂȘme DĂ©cembre, aidĂ©es par les couleurs pĂ©tantes du chĂąteau-gĂąteau Ă  la crĂšme. Avec son trop majestueux salon qui fait un excellent piĂšge Ă  lumiĂšre.

Mais si les protons ont plus de douze milliards d’annĂ©es, quoi des photons, et Ă  commencer par ceux des Ă©toiles qu’on voit certainement mieux depuis le MontĂ© Perdido que depuis les lunettes tĂ©lescopiques de l’Observatoire de Strasbourg ?

Et si l’ùre des photons a succĂ©dĂ© de quelques fractions de secondes au big bang, je me demande pour les mĂ©lodies (qui nous font frissonner au grand dĂ©sespoir d’Einstein : «Je mĂ©prise profondĂ©ment ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut ĂȘtre que par erreur qu’ils ont reçu un cerveau, une moelle Ă©piniĂšre leur suffirait amplement.»(1934)) si les mĂ©lodies qui nous font chanter, danser, pleurer, ont quelque chose Ă  voir avec les frissons des brins de l’ADN qui marquent, en dansant secrĂštement, nos identitĂ©s abyssalement variables. Enfin pour en dire plus il faudrait que j’escalade les sommes Ă©crites sur l’état vibratoire de notre ADN


Mais que des vibrations se glissent jusqu’au plus profond de nos identitĂ©s gĂ©nĂ©tiques, ça vaut son lot d’armoires baroques !

Ainsi depuis les balcons du chĂąteau de Bruchsal, depuis les piĂšces oĂč se succĂšdent les joyeux automates, s’éteint doucement l’abime vertigineux du temps par la scansion des orgues, des pianos mĂ©caniques et des invraisemblables bastringues qui parviennent mĂȘme Ă  faire sourire les guides assignĂ©s Ă  leur mise en fonctionnement.

Se rire du temps, donc, et en chantant tout l’atemporel autorisĂ© par ce fou d’Einstein remercier le progrĂšs des machines Ă  musique qui nous permet Ă  tous d’entendre autant de musique que Beethoven et Bach quand ils fermaient simplement les yeux et se concentraient sur leurs compositions savantes ? Les rhĂ©nans ne sont ils pas aussi un peu flamands, prĂȘts Ă  danser des valses Ă  mille temps qui, comme la chanson de Jacques Brel, Ă©tourdiraient les douze mille millions d’annĂ©es en reprenant le temps Ă  rebours. Dansant Ă  la vitesse des photons, relativisant en Ă©coutant l’orchestre, ces pĂ©riodes soudain instantanĂ©es
 Et ça d’autant plus que grĂące Ă  l’enquĂȘte menĂ©e par Antoine aux musĂ©es, la rĂ©ponse Ă  la question : quel peintre, mais quel peintre a-t-il jamais Ă©tĂ© foutu de reprĂ©senter un minois d’enfant aussi invraisemblable que ceux avec lequel les vrais enfants nous trompent la mort de leurs invraisemblables frimousses ? Valse, valse


Les minots enfin re-prĂ©sentĂ©s ? D’Antonio Rossellino.
Hans Leip

LILY ET MARLEEN au campus devant le Studium

le vertige Ă  compter combien de fois je me suis senti en train de passer entre cette tour dite de chimie, maintenant vide et dĂ©samiantĂ©e, et au sommet de laquelle j’adore entendre crier comme une Ăąme le faucon crĂ©cerelle, MAIS


Lorsque le vĂ©lo transporte ma silhouette entre cette tour et les vagues en façade de la bibliothĂšque des sciences, si fraĂźche avec ses grands fauteuils qui disent leur amour aux Ă©tudieuses et aux Ă©tourdissants, inconscients de ma surprise Ă  les voir sans arrĂȘt si souriants, ce peuple bizarre qui a chaque annĂ©e vingt ans, depuis
 DEPUIS

1989, annĂ©e du dĂ©but de mes va et vient quotidiens entre mon lit et mon bureau, entre les jardins des Wahlverwandschaften , les jardins de la vieille universitĂ© allemande, et la tour des annĂ©es soixante dix oĂč j’exerce, de l’autre cĂŽtĂ© du campus construit en mĂȘme temps que ma tour, quand encore j’allais Ă  l’école 


moi je prends mon bain de jouvence, en les évitant avec mon vélo, ces foules qui ont toujours vingt ans, et je viens de comprendre que

quelques annĂ©es seulement avant que je ne commence mes dix milliers d’aller retour entre les jardins universitaires et la tour de mon boulot, le maĂźtre des rĂ©verbĂšres Ă©tait encore vivant, il n’est mort qu’en 1983, Hans Leip.


Qui ? Hans Leip ?

Or vous le voyez bien, entre la tour oĂč s’écrie le faucon et la bibliothĂšque oĂč se lovent les Ă©tudiantes et les Ă©tudiants dans les grands fauteuils confortablement disposĂ©s en vitrine, il y a des vieux arbres plantĂ©s comme Ă  la parade et aux frondaisons taillĂ©es comme une coupe de cheveux rĂ©glementaires : une quarantaine de fantĂŽmes des soldats prussiens qui Ă©taient lĂ  avant, puisque c’était, n’est ce pas, une caserne, une prussienne caserne avec des gars comme Hans Leip, oui.

Si, si, tous ces arbres en rang, comme au dĂ©filĂ©. Depuis longtemps je les ai reconnus comme prussiens et impĂ©riaux, et je m’amusais Ă  leur donner des prĂ©noms prussiens, Otto, Karl


mais il y a quinze jours j’ignorais encore son nom à lui Hans Leip.

pourtant

combien de fois avais je comme tout le monde essayé de fredonner sa chanson de 1917 que comme beaucoup je croyais dater de 39 45 mais

qui date de la mĂȘme Ă©poque que les arbres de la caserne d’avant le campus universitaire. De 1917

Ah, les arbres rangés comme des soldats

comme des prussiens qui chanteraient Lily et Marleen leurs deux amoureuses perdues

comme si des Hans Leip étaient là pour nous avertir de

toutes les terreurs qui

séparent et sépareront les amoureuses dans la guerre

alors j’observe mieux les couples d’étudiantes et d’étudiants qui se blottissent : jusqu’à ce que leurs deux ombres, projetĂ©es par les rĂ©verbĂšres, ne fassent plus qu’une

(Ah ! Von Seebach et cette ville prussienne d’avant les horreurs !)

Et en fredonnant la chanson de Hans Leip comme si les arbres la chantaient avec moi

entre la tour et le studium

je vois bien comme ils s’aiment fort

das wir so lieben uns hatten

est ce que Madame Merk, ma maütresse pendant deux ans en 64 et en 65 , est ce qu’elle a eu un amoureux avant la guerre, est-ce qu’elle supportait, aprùs les tortures et les souffrances subies avec ses deux sƓurs, est ce qu’elle acceptait que la chanson soit en allemand ?

Portraits d’arbres

Je m’avoue Ă  moi-mĂȘme rarement penser Ă  dessiner ou Ă  peindre sauf pour les vignettes sur les pots de confiture mais en une semaine, et Philippe Haag et Ghislain Pfersdorff me rappellent leur travail frĂ©quent d’une mise en portrait de l’arbre.

Or il a fallu que je remonte Ă  la nage quelques milliers d’ Â«envers de rĂ©tine «  (ces gestes photographiants devenus quasi automatiques lorsqu’on ressemble Ă  toute la foule autour de nous qui avec son tĂ©lĂ©phone portable fait rigoureusement la mĂȘme capture de ce qu’elle voit du coup moins bien pour se souvenir qu’elle a si peu Ă©tĂ© lĂ , cette foule dĂ©sireuse d’existence) je veux dire des traversĂ©es de musĂ©e ou au lieu de rester assis une heure Ă  chaque tableau clic hop pris, embarquĂ©, et plus tard on n’y voit rien comme disait un historien de l’art on n’y voit plus rien sur la petite photo du portable


Alors que rester longuement devant l’arbre et le dessiner


entre l’arbre et le corps on peut rire et voir balancer la tentation de saint Antoine et le gĂ©nie d’un tronc qui m’avait Ă©chappĂ© je ne l’avais pas vu au milieu du tableau Ă  Madrid.

Alors que Ghislain, lĂ  en Irlande sur l’üle de Valentia, court de joie vers l’arbre qui lui parle de sa prochaine aquarelle et entreprend ces jours celle d’un arbre qui surveille la bibliothĂšque des sciences et la facultĂ© de chimie Ă  Strasbourg :

Screenshot


 et sans un clic photographique j’aurais oubliĂ© avoir vu Philippe suspendre un instant son mouvement devant un arbre. La recension des mille images traĂźnant sur la virtualitĂ© informatique de ma tablette, racontant mes passages dans les musĂ©es et dans les paysages
 cette recension faite subitement hier soir mais en me demandant : oĂč ai je donc fourrĂ© des arbres, moi ?

me confirme que, par exemple dans la reprĂ©sentation du Strasbourg prussien en construction qui me touche le plus le cƓur, par Lothar Von Seebach, les arbres font miroir aux hommes et Ă  l’immobilier (le parlement juste construit et qui deviendra le Théùtre National de Strasbourg) : les silhouettes des personnages qui m’émeuvaient tant, par la lĂ©gitimitĂ© de leur anonymat, passent indiffĂ©rentes me paraĂźt ils ce matin, aux silhouettes d’arbres que j’ai tant de mal moi aussi Ă  voir exister.

et qu’Edvard Munch, et que Kirchner en aient tant portraiturĂ©s les renvoie Ă  la question de ma vĂ©gĂ©tation : et si je tentais, ce samedi matin, tout Ă  l’heure, au marchĂ©, de me faire existentiellement vĂ©gĂ©tal, de ne plus me demander comment exister parfaitement et Ă  tout prix avec sans cesse ce sentiment de ne vivre pas assez ?

et du coup, moins hantĂ© par l’idĂ©e d’un complot contre l’ĂȘtre, d’une urgence de se secouer le citron pour en arracher du sens en se disant que c’est un devoir d’ĂȘtre, ou, plus simplement, se laisser inspirer d’autres types de penser et d’essence, chercher du Deleuze et du Derrida dans la fibre ligneuse des arbres qui ponctuent les Ă©tals du marchĂ©, indiffĂ©rents aux appĂ©tits de la foule du marchĂ© pour les viandes, les fruits et les lĂ©gumes de ses prochains repas ?

Et ainsi comme souvent les samedi, Ă  la foule sous les arbres du tableau de Breemberg «  «  Abraham et Melchiseddek Â» Ă  la foule du marché 

A cette foule succĂšdera celle, plus intime, des gens de Moselle qui se retrouvent les samedis matin tout au bout de l’avenue de la ForĂȘt Noire sous la protection de Federico Bartoloni, noble fils du longtemps correspondant de l’AFP au Vatican et dispensateur d’hosties qu’il dĂ©guise en pizzas tellement uniques qu’elles rassemblent les enfants du quartier que la semaine avait Ă©loignĂ©s les uns des autres. LĂ , dans cet incroyable accident sociologique de la pizzeria romaine de Federico, une Ă©tonnante concentration de ce peuple oubliĂ© de tous, les mosellans, se retrouve et se chĂ©rit. Comme leurs proches, les gens de Scandinavie, de flandres, de Belgique, de Meuse et du Rhin, comme Philippe et Ghislain, je sais qu’ils ont tous pour la reprĂ©sentation picturale, mĂȘme Ă  leur insu, une forme d’étrange attrait. Y a t il des tropismes peintres rĂ©gionaux hollandais et lorrains comme il y a des peuples musiciens ?

MalgrĂ© mon dĂ©sir trĂšs vif de m’efflanquer je vais dĂ©vorer les pizzas bĂ©nĂźtes de Federico, sous cette influence du regard des arbres que l’automne colore, rĂ©alisant que Ghislain est rhĂ©nan et Philippe de la Moselle mĂȘme s’il est en cavale Ă  Londres et dans le Cotentin, oui je commanderai forcĂ©ment des pizzas Ă  Federico en Ă©coutant les babils des enfants de la Moselle et en regrettant de ne pouvoir aller Ă  l’exposition de Philippe et de ses arbres si bientĂŽt. Et en grossissant.

sans zoublier PATINIR !

Sans nuire

Suis sorti du film et attendre les autres pendant deux heures : heureusement une serviette en papier et un stylo au bar du cinĂ©ma : huit quarts d’heure.
Sans nuire, jouir, est l’idĂ©e du premier quart, pas formidable, du bouillon aussi tiĂšde que le film fui par ennui.


Ensuite pendant un quart d’heure je songe Ă  quoi les enfants sont victimes entre eux, lors qu’affrontĂ©s Ă  la puissante sauvagerie des autres enfants, des plus grand‱es, tout heureux‱ses d’exercer impunĂ©ment leur domination. Je ne me suis souvenu d’une telle condition que lorsqu’à deux reprises j’ai Ă©tĂ© menacĂ© de mort, adulte. J’ai ressenti Ă  ces deux moments de frousse, en moi, toute la prĂ©caritĂ© de ma faiblesse, et le souvenir d’avoir adorĂ©, de trois ans Ă  treize ans, dix annĂ©es consĂ©cutives, ma prosternation devant le MaĂźtre, celui qui Ă©tait beaucoup plus grand, l’autre gosse- jusqu’au jour oĂč hĂ©las, ayant grandi, je n’avais plus de modĂšle pour continuer de rĂȘver d’une grandeur Ă  atteindre. Il Ă©tait tombĂ© devant mon propre agrandissement. J’étais devenu une forteresse.


L’idĂ©e d’harmonie se faisait jour pour moi, malgrĂ© les incessantes bagarres et dĂ©faites, au mieux lors des moments de soumission familiale Ă  la croyance. LĂ , dans l’église, l’autre morpion ne pouvait pas se jucher sur moi pour que je prononce mes vƓux de soumission pendant qu’il me cracherait un peu dessus – du coup j’ai d’autant plus adorĂ© la musique qu’elle paraissait le lieu des fĂ©licitĂ©s conjugables.
Tous ensemble.
Comme au foot.

Mais un peu plus tard dans l’existence enfantine, j’ai constatĂ© que les concerts de musique de chambre, dans la salle Stravinski abandonnĂ©e depuis des dĂ©cennies Ă  la poussiĂšre, place de l’Emp


pardon, place de la RĂ©publique Ă  Strasbourg, permettaient Ă©galement l’apaisement des distorsions de puissance : la modestie du mĂ©tier de mon pĂšre ne l’empĂȘchait pas de saluer les tycoons strasbourgeois d’alors, propriĂ©taires alternativement d’une BiĂšre ou d’une Banque. Voire d’un chĂąteau. Mais mĂ©lomanes, tous ensemble. Musique soumise qui m’a permis de m’échapper ensuite vers les incroyables arithmĂ©tiques de Jean Sebastien Bach : c’est vrai que ça ressemble Ă  un escalier : monter, monter, monter . Vers le grand frĂšre, vers les clergĂ©s et leur ordre, vers les tours puissantes des cathĂ©drales, vers le Tout Puissant.
Et ainsi m’enflamme l’idĂ©e dĂ©colonialisĂ©e que 32 millions de pianistes chinois conquiĂšrent les mondes. Pour un apaisement ? Ielles le font depuis quelques dĂ©cennies dĂ©jĂ . MalgrĂ© la diffĂ©rence entre les sĂ©mantiques musicales de l’Orient de l’Occident et des moyen Orient et moyen occident (qui doit bien exister quelque part entre le Colorado et le Kamtchatchka ). Qui aurait cru, alors que nos divergences esthĂ©tiques sont vertigineuses, Ă©tudiĂ©es par un certain DaniĂ©lou.

Il fallait que ce soit un homonyme du cardinal DaniĂ©lou ! Comme si la nature ecclĂ©siale de la rĂ©union des publics sous la houlette de la musique avait, de la rappeuse nigĂ©riane Ă  la championne des rĂ©citals internationaux, fonction d’unir chacun dans l’oubli des luttes pour l’espace vital.
A la messe de mon enfance, l’autre morpion ne me disputait pas la place sur le banc. J’en Ă©tais grĂ© au curĂ©, lĂ -bas, au loin.
Au plan mondial ce serait Ă©videmment, comme l’aurait dit Boris Vian Ă©patant.

A couper le désespoir – Coupe essoufflée

ComposĂ© lors d’une visite Ă  un moine de la montagne sans le rencontrer.
 Le sentier pavĂ© de pierres pĂ©nĂštre dans un val,de cinabre.

Le portail en branchages de pin est bloqué par de la mousse verte

Sur le perron dĂ©sert, des traces d’oiseaux

Dans la salle de méditation, personne pour ouvrir

Je regarde par la fenĂȘtre, une brosse blanche,

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