La nature infernale de l’absence est palpable, c’est la nuit. Et le soleil a beau être dans un au-delà que son retour régulier certifie, l’image rassurante des cycles ne concerne pas le progrès linéaire du temps, que mesurent les cycles sans le caractériser.
Œdipe en nous tente le crime, Œdipe invente le temps sacré, enfin disons que Freud, jetant sur la mythologie grecque le regard petit bourgeois des boulevards viennois, y emploie le sacré de la culture pour dire la précession des amours enfantines sur les émois sexuels… Œdipe, les yeux troublés avant d’agir, sait bien que tout est dans l’œil de l’enfance, et que ses yeux d’adulte retrouvent les drames de ses parents comme si tout n’était qu’un perpétuel recommencement, génération après génération. Seule une étrange amnésie nous cacherait le pourquoi de nos sexualités, qui nous inscrivent dans la presqu’immuable histoire de désirs codifiés. Œdipe est un prototype de voyeur. Il sait bien pourquoi il se crève les yeux. Il voit soudain, ses crimes, comme un analysant réalise la nature projective des constats enfantins. Voir les géants parentaux, se projeter en leur scène. Schaubuhn.
Max Beckmann, Die Loge, 1922.Pour peu qu’on s’interdise dès l’enfance de s’identifier a eux, et il suffit pour cela qu’on décrypte quelqu’intolérable malheur à leur posture, et alors on refusera de quitter la jouissance enfantine. Ne pouvant rester enfantin, on deviendra infantile. On se racontera jouir des privilèges ridicules de l’appropriation du parent de l’autre sexe. Séductions frénétiques sans lendemains qui jouiraient, par exemple. Pour ne parler que de l’autre prototype petit bourgeois, Don Juan. Schéma de toutes les religions. Qui fossilise le temps. Car alors le temps de l’enfance devient le temps béni, en plus d’être celui de l’éternité. Car alors le bourgeois cultivé et replet croise, dans les notes de bas de page, un fer chevaleresque non plus avec œdipe mais avec Sophocle. Entend, non plus les reproches acariâtres d’un partenaire qu’auraient fâché ses dernières frasques sexuelles, mais les musiques de Wolfgang Amadeus Mozart. Subrepticement, et sous couvert de théâtre cultivé, la tragédie laisse voir un bout de robe sacerdotale: Sophocle? Il était prêtre d’Esculape. Mozart? Il a écrit son propre requiem. La religion, pour séduire doit convaincre le sujet que les symboles langagiers dont il use, appartiennent au Réel. Ne sont pas de simples outils symboliques visant à échanger des représentations entre humains. Mais sont ce qu’ils désignent. Ainsi devient il possible de se dire que les chants séduisent le monde, que les mots paient, que le séduire vaut pour l’acte. Que le Requiem de Mozart force l’oreille d’un dieu à descendre voir dans les chœurs qui vient d’être exécuté, quelle biographie ce Requiem consacre en Destin. Si ça fonctionne ainsi, c’est pour quelque raison génésique. L’observation des pères, des mères, nos débuts naniformes dans le monde, notre longue fréquentation de l’incomplétude, nos longues craintes d’être punis, coupés, mangés, ah, notre peur du loup, notre amour pour des peluches… Nous fait à jamais redevables du théâtre sacré des années de l’enfance quand, là-haut sur l’estrade de leur grandeur, nos parents nous paraissaient acteurs, en effet, de nos vies minuscules. Dira-t-on jamais quelle outrance langagière a fait nommer les comédiens acteurs? Est-ce à dire que nos vraies vies ne seront des actions vraies qu’une fois représentées? Qu’en attendant, dans l’ombre du quotidien anonyme et sans public, nos vies n’appartiennent pas même au Réel? Ainsi se bâtit l’idée de l’enfer, d’un lieu sans loi. D’un lieu où la vie est informe. Un lieu douteux en sa nature de lieu, puisque n’offrant aucun accès. L’enfer égyptien, avec ses châtiments, l’enfer romain avec ses ombres d’êtres. En face de ces deux images de l’enfer, le chant est possible. Celui du mort égyptien est une longue récitation morale pour éviter la dévoration et s’assurer d’une vie éternelle. Les vivants peuvent s’adonner a un culte des morts qui finit par avouer, au fil des monuments, qu’il est Culture. Les vivants abandonnés pleurent, cependant. Les vivants sont en enfer? Ils paient de jeunes et ravissantes pleureuses. On les voit sur les images égyptiennes. Quels nichons ! Suivre un tel deuil, quel réconfort. Quoi d’étonnant si les grecs suscitent le sphinx égyptien sur le chemin d’Œdipe et lui présentent comme la vie d’un animal à quatre, deux puis trois pattes ce qui est destin de l’Homme? Quoi d’étonnant si les grecs fréquentent la tragédie en masses populaires, pour se convaincre de leur semblance d’avec leurs rois atrides et ensanglantés? Le chant du grec et du romain c’est celui de l’amoureux divin, Orphée qui veut utiliser ses talents pour rejoindre la disparue et la ranimer. Mais c’est en vain. Chants de pure perte: Eurydice restera au tombeau. Chant tout de même. Suivre un tel deuil, quel réconfort, et comment s’étonner que Mozart soit parti au tombeau si jeune. réclamé là-bas par les caprices divins de notre imaginaire, soucieux qu’on lui rende sa belle esclave, captive de l’Hyver. Au théâtre de notre imaginaire, le réel se confesse de comédie, et le sublime (mozartien, sophocléen) projectionniste, pendant qu’aux loges sanglote l’écho des amours confondantes d’un monarque dissippé et de reines aberrantes.