Foucault pose au début des années quatre vingt, au cours de ses séminaires du Collège de France, la question : «  est-il possible », d’indicer une faculté humaine du progrès – il parle d’un progrès vertueux et il décline d’ailleurs les visages successifs de la vertu, de la démocratie, de la parole juste, chez les penseurs grecs qui ont laissé des textes, puis il parle de l’évolution de ces penseurs célèbres jusqu’aux inflexions de ceux de la Renaissance et des Lumières puis jusqu’à l’avènement du désastre blanchotien, de l’emploi dé-moralisant d’un progrès truand.

Truand oui, car, quoi du futur si le passé se dévalorise face à un progrès eblouissant, quoi du précieux Instant si le torrent d’existence qu’il croise doit être sans trace de l’autre coté de ce gai gué – et bien évidemment que dire d’une évolution de l’humanité si après autant de millénaires on reste sans outils qui émettraient la moindre hypothèse nous assurant que l’on soit en route vers autre chose qu’un perfectionnement de l’Horreur et que l’Âge d’Or serait foutaise ?
La  «triple antenne » avec laquelle chaque nouveau-né va palper puis extraire du monde ambiant pendant une dizaine d’années éternelles la substance de ce qui, toute sa vie, lui « donnera le moral » ou pas (c’est à dire véritablement sa tension vers un Bien infiniment personnel) – cette triple antenne, selon la philosophe psychanalyste Colette Soler à la claire pensée, est sensible à trois manques repérés par le génie einsteinien de tout marmot – cette antenne triple évalue, dans le mur dressé devant elle par la Toute-Puissance parentale des premiers ans, trois manques, et Soler dit :
-manque-à-jouir.
-manque-à-savoir.
-manque-à-vivre.

On peut, si une telle classification faisait sens, la prendre comme grille de lecture de la constante modification de l’humanité…. constante ?
Evidemment s’il devait s’avérer qu’il n’y en a pas, de  progression, si, inlassablement, l’humain se retrouve depuis ses débuts devant des manques en suspension éternelle… s’il ne s’est agi que d’un va et vient toujours dans la même soupe…

Pour un écrivain , il y aurait bien un avantage puisqu’alors s’atteler à la tâche de décrire la Condition Humaine, mais dans l’hypothèse scabreuse d’un Eternel Retour de la même eau sous les mêmes ponts, ce serait le privilège vain mais glorieux, de faire une oeuvre à validité définitive. Grand train de l’écrivain. Statue et marbre. Habit d’immortel.

Bon, et puis on a le droit d’en douter et il me semble que l’observation plus fine des conséquences, déjà vérifiables, d’une mise en tension historique de chaque humain par sa propre dette attestera du contraire.
D’une vertigineuse quoique peut-être vaine propulsion de l’humanité, visant un objectif.
Lequel, vers quoi est lancée notre grappe humanosimiesque, suspendue à sa goutte d’eaux polluées et à sa motte de minerais précieux ? Je suis fasciné à l’idée qu’on puisse pressentir même le début d’un commencement de figuration de la direction qui aimante tout ce bastringue.


Ainsi, et en se glissant parmi sa génération, l’humain, en même temps qu’il prend une conscience aiguë de la place précise de chaque primates parlant, de chacun de ses contemporains par notre invraisemblable sens hiérarchique, ainsi chaque humain s’est forgé sa petite pente à lui. Vers quoi grimper, que fuir, que vouloir.
Évidemment, plus grand le nombre d’humains partageant des « pentes » voisines de son inclinaison, et plus ça teintera dans la Masse – au point qu’on peut espérer ou craindre et en tous cas quantifier un mouvement résultant, une révolution, et pas forcément une annihilation réciproque de tous ces émois. Ah, si Foucault avait su ça ! Clairement il était plus calé en philosophie grecque qu’en psychanalyse.

L’idée que le progrès tienne à une résultante de la palpation de trois manques n’est pas très clairement celle d’un progrès éthique aux divers sens pris par un mot si souple. L’humanité serait lancée dans l’cosmos juste pour… régler son compte au manque de jouissance ? c’est flou, et en quoi les modes successifs des réponses générationnelles au manque-à-jouir permettraient-ils de caractériser ne serait-ce qu’un peu la direction approximative de notre errance, de ce dont s’excuse si souvent Foucault lorsque dans son Cours, pour être clair, il se répète, savoir un piétinement fastidieux – c’est bien trouble aussi.

Victor Braun 1934
Victor’Brauner 1934.

D’abord il m’apparaît impossible de parler d’un progrès équivalent entre les trois modalités : si le  « manque-à-savoir » a pu (et encore faudrait-il être sûr des modalités qui feraient de ce manque supposé un des piliers de la structuration de l’inconscient) paraître faire évoluer l’humanité dans le sens d’un progrès, que penser du  « manque-à-jouir » et d’un progrès dans nos  «manque-à-vivre»?

Le jouir humain aurait -il progressé en cent mille ans, autant que, par exemple, la connaissance ? Les connaissances ne se seraient elles amplifiées que comme l’appendice le plus décent du manque-à-jouir ? La jouissance de l’homme contemporain serait-elle plus ample par le simple fait de l’accumulation d’un héritage collectif – en un mot l’humain•e qui a du bien jouit-il plus que l’innocent•e des débuts caverneux ? Jouit-on plus aujourd’hui du fait des musées, du capital, des héritages, de la mémoire des périodes passées ?

A l’expérience je trouve pourtant hyper pratique cette division en trois modalités de perception du monde parental par le futur adulte. Le procédé des trois chapitres c’est de toutes les manières toujours élégant. J’évite, paresseux, de me demander si, de la naissance à l’âge de six ans, on ne palperait pas d’autres « manques » parmi tout ce qui fait cette Dette transmise précieusement de génération en génération par le vivant. Foucault avait fort à faire de son côté et certainement pas trop envie de devenir l’exégète de Lacan, pendant les quelques années où il a continué son travail de recherches et de cours, après la mort de son collègue en sciences de l’être …

Mais la réponse à la question de Foucault quant au mécanisme d’appropriation, génération après génération, d’une tension vers les lendemains de l’humanité, il me semble bien la retrouver dans le travail de Colette Soler : seulement voilà : qu’en déduire ? Et la paresse me reprend…

Feue Christiane Beck, se tenant le genou , Saint Avold.
Christiane Beck et un manteau à Saint Avold.

Mais ai-je le droit de paresser ?


Les trente années que je viens de consacrer en partie à la psychothérapie, en m’aidant de la notation par les patients de leurs rêves, me remplit la mémoire d’un dossier extraordinaire quant à la façon dont les dettes familiales s’y déploient, quant à la réception, par chaque sujet, des trois manques dont parle Colette Soler.

Et c’est bien évidemment à cause de mon travail que je reçois celui de Foucault, celui de Lacan, celui de Colette Soler comme le désert la pluie.

La connaissance humaine n’aurait-elle progressé qu’en fonction du manque-à-jouir ? Ça reviendrait-il pas à dire que l’homme de bien, le philosophe, l’ami du savoir, ne serait que cellui qui a du bien ? Le vrai problème c’est qu’évidemment nous avons pratiquement tout oublié des années premières, celles pendant lesquelles se forgeaient en nous même la représentation des manques fondateurs de nos aînés – il est impossible de se contenter d’interroger nos mémoires propres.

L’avantage de ma paresse étant d’éviter peut-être de découvrir que j’aurais pallié un manque par l’autre, et que mon désir d’écrire ne serait là que pour masquer par une jouissance déviante ma crainte quant à celles qui seraient plus compréhensibles : prendre son pied plutôt que la plume et raconter des histoires distrayantes plutôt que partager des interrogations auxquelles certainement tous les lecteurs avisés de Foucault ont déjà répondu.
Et le manque-à-vivre aurait-il pas pu augmenter nos longévités plutôt que la masse démographique monstrueuse du monde pullulant de vivants pas forcement très viveurs… ? Vivre à sept milliards est-ce que c’est franchement plus que si on s’était quégnié à chacun une bonne petite truffe de deux cent ou deux mille petites années même en rabiotant sur les bissextiles ?

Les Lumières, le fantasme des Lumières dans l’Europe de despotes qui commettront les pires crimes qui soient en la jetant, prédatrice hors-concours, sur le monde entier… les lumières de l’enfant ? pareil, non, pour cet enfant éclairé et qui deviendra fauve même s’il se croit innocent, complice de l’horreur administrée par cette multiplication inconsidérée de la biomasse – sept milliards de destructeurs des forêts où prospère … où prospérait, plutôt, un monde d’une beauté si parfaite -pensez à la danse nuptiale des paradisiers !- qu’on ne voit pas quel progrès on puisse y apporter en matière de jouir et que les plumages insensés des espèces disparues sont si peu insensés et si pleins de sens qu’on peut se demander quelle drôle idée a eue le primate de se perfectionner le cerveau.

Feue la Professeure Christiane Beck.


Mais peut être que les dettes accumulées par les milliards de bébés en cours, là, maintenant, à ce moment où j’écris, vont continuer de se hisser jusqu’à un équivalent mental de cette sublimité du paradisier ou des papillons ? Qu’est ce qui nous fait chérir les fleurs sinon le projet d’en approcher intérieurement ?

L’espèce serait ainsi, génération après génération, en route, dans le cosmos, vers le parfait, vers un invraisemblable parfait. Dans une insondable imperfection qui ferait justement rêver.

Feue Nicole Bonaventure et Feue Christiane Beck, radicalement amies.

Structurés en tribus planétaires, un des tissus du manque à vivre que les petits humains découvrent à leurs tribaux géants est la pulsion qu’ils ressentiront plus tard parfois, vers les savoirs historiques, tissu scénographié par les mémoires collectives du groupe humain auquel, pensant parfois sincèrement y appartenir, les petits humains délègueront une fois adulte le fantasme de leur identité. Tribalement historisé, le passé se tient bien tranquillement devant nous, on peut le regarder – et le passé que les tribus nous proposent de regarder comme nôtre (même si, européen, je ne me demande jamais à quelle tribu j’appartiens, ma tribu n’a pas même de nom, quand tous mes interlocuteurs africains ont encore mémoire de ce qui fut avant les frontières coloniales, ces peuples dont ils savent toujours les langues, au point qu’ils m’ont renvoyé à une nouvelle compréhension, par exemple, des sobriquets étranges caractérisant encore aujourd’hui chaque village, chaque ville germanique… comme autant de tribus qui ne se savent peut-être pas telle par honte des génocides … Strasbourg, tribu des Meiselocker. Et cet air entendu des charentais des bords de la Boutonne quand on leur dit qu’ils viennent d’un Bel Ébat dans les palisses ! La tribu des buveurs de pineau ? ) Le passé des tribus se tient devant nous, carrément surélevé par les estrades de ces patrons couturiers pour naufragés identitaires … Alors que l’avenir est derrière, invisible, libre de toute accroche mais faussement psalmodié par les peu crédibles oracles qui voudraient s’en servir pour nous asseoir dans le jus des identités tribales qui, précisément, nous interdisent toute individualité propre ….

Cette trame historique raconte à l’enfant ( celui que nous fûmes ou bien que sont en ce moment où j’écris les enfants de cet instant présent), avant même qu’il lui soit possible d’écouter mais juste, bébé, d’entendre -raconte la trame historique des ancêtres imaginaires et tisse évidemment déjà pour l’enfant une histoire vocalisée des manques canoniques du groupe de ses pédagogues et allaitant•es. C’est toujours ça de pris, comme boussole.

Célèbre tribu d’André Nabarro.


André Nabarro (Arts Déco 1968)


Si je ne me reconnais dans aucune identité tribale c’est que je n’en viens pas si clairement… Au contraire de la tribu, les familles resserrées comme fut la mienne, ces biotopes parfois amoureux, impriment dans ce cas (évidemment exceptionnel comme toute préciosité) sur chaque enfant une tendresse qui n’a pas à se répartir comme elle doit le faire dans les familles moins limitées, quand l’activité parentale se répartit sur une horde de pions conçus en urgence absolue, en urgence maîtresse. Là les gamins sont conçus, immémorialement comme assurance-vie, aux temps de terreur – alors qu’au nid secret des petites fratries (sororités ?) ah, comme l’atmosphère semble y bénir l’amour de deux parents pleins de connivence réelle. Parmi de tels petit groupe, trois, cinq,  « petites familles », celles où peut encore prévaloir une intimité, le sentiment de perfection fabrique forcément moins le sentiment d’un manque, dans le cerveau du mouflet. Je me représente un peu comme ça les images bucoliques de l’excessif bonheur agricole d’un  «jadis » de contes de fées : ils seraient si bien, ces gens heureux de la petite famille fragile de ceux qui ne fondent pas de tribu, qu’ils se contentent de répéter des gestes immémoriaux, labourer et cueillir, transmettre aux enfants que tout va bien et que c’est vraiment pas la peine de bouger – peut-être que cet état aura été la norme dans les jadis les plus antédiluviens, peut-être est ce à cause de ça qu’ils n’inventèrent pas la psychanalyse, ne se ressentant d’aucun manque, on peut rire mais est ce que ce n’est pas là en quelque sorte ce qui a fait des millénaires de chasseurs-cueilleurs, y a-t-il plus beau temple que la Grotte de Vallon Pont d’Arc, avec ses instantanés ramenés d’un dehors qui fait pleurer quant à la magnificence et à la puissance qu’eut à leurs yeux un monde neigeux, une course de mammouths et d’aurochs, une femme au sexe inscrit dans les jambes d’animaux totémiques, sous et dans le corps d’une lionne, sur un stalagmite plus vertigineux que les colonnades du Parthénon par son inscription dans les volumes naturels de cette grotte adorée elle-même en tant que source du Sens par ses formes ?

Femme, Grotte de vallon Pont d’Arc.

Au delà de ces quelques situations – la tribu, la famille nucléaire – l’enfant qui prépare ses désirs ultérieurs d’adulte, est aussi devant le manque en soi – celui dans lequel il se trouve, lui, et qui est manque de ce qu’aurait dû lui apporter le grand, son géant ou sa géante parentale – il ne s’agit plus pour lui, là, d’enregistrer les manques structurant la société des adultes comme lui la perçoit – mais de se sentir tatoué, fouetté, endolori par les nombreux manques qui se peuvent révéler au fil de ses années de dépendance et d’immaturité, du manque de lait au manque de voix en passant par toutes les catastrophes et la liste est encyclopédique ! Alors pourrait surgir le désir de s’approprier le distributeur de ces objets manquants – dérober au père ou à la mère la mère ou le père, vouloir remonter à l’effacement de toute douleur par l’apparente plénitude de l’appropriation d’un•e des deux géant•es parentaux. Hitlérisme de l’âme en gestation vers ses prédations ultérieures futures, quand se dressera en place d’un manque de la Mère une pulsion de dévoration du monde. L’Hitler, c’est à dire l’homme sans empathie, celui qui jouit de posséder et s’exaspère de ceux qui à ses yeux font semblant de jouir d’aimer l’autre sans avoir à s’approprier de lui le moindre objet, marque son époque de façon si dominatrice qu’on l’oublie moins que la foule des justes ses contemporains et opposants. Denys de Syracuse le tyran fait vendre Platon pour punir son estime du Bien philosophal. L’industrie de la consommation pornographique des corps consomme plus d’énergie que toute autre sur l’internet. Et quand Rémi Bonaventure, horrifié par l’aventure nazie, croit apercevoir une éclaircie dans le Communisme, les procès staliniens le font rapidement déchanter et il planque ses livres communistes dans un petit enfer de sa bibliothèque.

Rémy Bonaventure.

Si disparaît le Rival culpabilisant dans cette configuration de la prime enfance, si meurt lepapa, ou Dieu, ou Mère, ou toute déclinaison envisageable de cette effigie première que fut la maman, vers quelle pente future se presse le minot sinon vers l’envie toujours d’effacer le géant inquiétant, l’autre de l’Autre,  Océane ou Ogre, Océan ou ogresse ?

Enfin il y aussi, mais au terme des années de gestation de l’inconscient du sujet, la découverte justement de l’autre – quelle est cette première personne que l’on envisage autrement qu’un•e géant•e géante ?

N’est ce pas souvent la grand-mère, un instituteur, une voisine ? Regardé•e avec stupéfaction comme identifiable, avec soudain la compréhension des plaisirs qui la ou le meuvent. Mamie buvant son café. La tasse. Le fauteuil derrière elle. Le tableau qu’elle regarde longuement. Le moment même où s’éteignent au fond les mécanismes de la fabrication de l’inconscient gigantesque tramé par les six premières et éternelles années au pays des géant•es. Le surgissement de l’autre marque-t-il le début de la fin d’une éternité enfantine ?


Cary Planchenault, Modèle de l’être-à-l’autre.

Et enfin alors seulement surgit ce sentiment de l’Un – vers quel progrès tout ça mènerait il l’ensemble humain, Parménide y travaillait déjà et certainement les peintres de la grotte Chauvet aussi… Mais non, en aucun cas précisément cette palpation du Réel par l’imaginaire d’un enfant, d’un million d’enfants, ne pourrait justement s’illusionner et penser un Manque de l’Un… fut il l’unique, l’insécable, le premier à la fois comme dans la prose du divin Empédocle.

Quand je dis « et enfin le surgissement de l’Un » c’est tragi-comique. Comme on présenterait une boule de cristal, une potion magique, un pendule d’hypnotiseur – pourquoi le Un arriverait-il enfin sinon pour avoir pris ses moires et ses ailes de papillons séduisantes dans les discours les plus séducteurs et donc captieux, du Parmenide à Spinoza pour ne pas parler de la chicane qui le rétrécissait, cet Un, en l’étant de l’instant avant que Levinas le réouvre à l’être à l’autre en sa dualité fondatrice – comique parce que les trois valences identifiées par Colette Soler dans son étude minutieuse des contradictions et évolutions révolutionnaires du propos lacanien, parce que ces trois valences ne simplifient pas l’invraisemblable différance entre les milliards de morpions qui opposent à la dette dont ils héritent, déjà infiniment multiple selon le hasard du lieu et du groupe humain où ils surgissent, leur infinie diversité. Quant à moi, en trente années d’écoute, certes flottante (mais quand même!) , il ne m’est jamais arrivé d’entendre deux personnes rêver de semblables rêves. Ce qui laisse bien comprendre que l’inconscient est plus caractéristique encore, et c’est une évidence, que mettons une empreinte digitale.

Sept milliards de postures différenciées vis à vis de centaines de milliers d’origines bien différentes, et là dessus cette question de l’évolution du rapport au Bien posée par un Foucault qui précise dans son séminaire de février 1983 combien pour l’analyse grecque antique du sujet, même une société parfaite et idéale ne laisserait pas l’humain libre de la nécessité de se doter d’un gendarme de la sexualité…

L’apocalypse du Bien dans le regard d’un maître bienveillant comme Spinoza, qui commence l’Ethique en proposant qu’on se débarrasse de la libido, c’est la scie qui grince au début des Lumières comme, au soir des séminaires de Foucault, la nouvelle pour lui inaudible qu’un virus viendrait cibler en premier ce qui réveillait précisément, son désir. L’invention d’Aides par son compagnon, après sa disparition, a sonné je m’en souviens le début d’une révolte contre l’impossible aveu dans lequel était alors (comme dans les sociétés militarisées d’aujourd’hui, comme dans les millénaires du monachisme égyptien préfigurant ceux du monachisme romain) l’homosexualité – que seul le secret permettait de transporter au sein de la société. Aussi le moment où Foucault interroge la nécessaire clef de voûte morale sexuelle à une société qui pourtant serait déjà  parfaite et répondrait à la topique utopique – aussi est-il vertigineux, pour nous qui avons la chance de l’observer depuis le sommet des quarante années qui nous en séparent – ce rappel par le philosophe de la préoccupation déjà platonicienne
du libidinal qu’avait étonnamment d’escamoter le genial sommet de l’Ethique de Spinoza, mais devant laquelle ne se détourne pas la psychanalyse pourtant si redevable a ce penseur.

Vivre, jouir et savoir plus amplement, plus amplement que la génération précédente.