Albert Et Suzanne B.Rentrant dans la vieille ferme tu retrouves, entassés partout, les vieux outils et les chapardages multiples de l’Albert — qu’il fut pauvre ! … pour aller sans relâche aux décharges alentours Puy-Chenin, Puy-du-Lac, Charente maritime, près les canaux réticulés qui cernent la Boutonne d’eaux affleurant les prés, les vaches, les ragondins, les écrevisses et les mulets et les carpes, alors: quoi à voir, cette histoire de ruralités disparues, avec le centre du mal, l’ennui qui saisit la Banlieue planétaire et Mégapolique, depuis Saint Petersbourg jusqu’à Dallas, d’une furieuse envie d’ivresses, de fanatismes, de paradis artificiels ou de Mort?

Albert Et Suzanne Bastel.

S’égrènent sur une porte au grenier de chez feu Albert B. à coté d’un proverbe grivois par lui griffonné (L’amour naît dans la culotte d’un garçon et se perd dans un cotillon) — les dates des moissons qu’Albert, après ses parents, à rentrées là, et où il n’aurait jamais pensé trouver cette semaine, six ans après la mort de sa veuve, neuf ans peut-être, après la sienne.) trois lits dans les trois parties du pailler où il griffonnait solitaire ses récoltes. Quoi, à voir, ces fredaines bucoliques cernant mon tranquille petit déjeuner sous les rosiers, avec l’orgie pétrolière qui fonde et accroîtra sans attendre des massacres gigantesques aux villes maudites du monde comme il vient

Sur une porte des paillers d’Albert Bastel.

Sur une porte des paillers d’Albert B.Morts, les quarante mille enfants sans nourriture du Nigeria, morts, ceux que les armes du progrès assassinent partout, morts comme les lapins du clapier au bout de la rue de Puy-Chenin seront morts demain… mort l’Albert mais si présent aux murs de sa ferme recueillie par mes hôtes comme un temple du Temps des harmonies rurales (harmonie, ces jalousies entre voisins? Ces replis de chacun sur sa chacunière ?) — celles qui observent qu’une maison doit être léchée par la lumière tout le jour, d’abord sous la treille ensuite vers le figuier, le soir du côté des acanthes, que le puit déborde d’eaux qui ne demandent qu’à ruisseler aux épaules des belles. Harmonie de l’homme sous un seul roman.

Quelques uns des mille objets récupérés par A.B.

Quelques uns des mille objets récupérés par A.B.Quoi à voir, le roman d’Albert B. l’accumulateur de vieilles ferrailles, quoi à voir avec le désespoir des gamins que j’ai vu à ma grande ville, grandir en prisons de bétons, loin de tout paysage, dans l’étouffoir des barres de banlieue, bannis de toute Providence et aujourd’hui accrochés au cul des milliardaires leur balançant quelques aumônes pour en faire leur milice, pour leur laisser snifer de l’Eden, de la tragédie, pendant que, damnés pour n’avoir jamais rien su des providences paysagères, ils travailleront, mercenaires sans le savoir, au progrès des grandes fortunes qui les traitent comme jadis Albert ses lapins?

Joies simples et enthousiasme du plébiscite populaire.

Joies simples et enthousiasme du plébiscite populaire.Le sourire d’Adolf était si champêtre, dans ces années quand l’Albert était gamin, et il est gravé comme le maître à penser des quelques pharaons qui nous organisent la foire aux massacres. Quoi à voir? Massacreuse-batteuse d’une misère planétaire qui possède, progrès par rapport aux morts du Biafra (ex- province pétrolifère du Nigeria) en 1969, les moyens d’anéantir l’humanité, maintenant. Jean-Luc Nancy le pointe, ce 18 Juillet: «il faut aussi penser ce qu’exister peut vouloir dire d’autre que faire rouler des camions, des machines, des entreprises. Et pas seulement en récitant la devise de la République française. Car chacun de ces morts est écrasé par les camions, les machines, les entreprises. Et par l’insuffisance ou la négligence de nos pensées. Il ne s’agit pas de nous accuser plus que d’accuser les fanatiques, les terroristes et les terrifiés. Il s’agit de passer outre toutes les formes de réflexes conditionnés. Car ce qui est en jeu est l’exigence inconditionnelle d’un monde possible

La batteuse d’A.B.

La batteuse d’A.B.Ce d’autant que les camions, les machines, les entreprises, portent aujourd’hui une force d’anéantissement de toute œuvre. Par le nucléaire ou par le Net.

«Aux approches du désir les meules bleu de ciel s’étaient l’une après l’autre soulevées, car mort là-bas était le Faneur, vieillard masqué, acteur félon, chimiste du maudit voyage.» (Fenaison, in «Fureur et mystère — seuls demeurent, 1938−1944, René Char)