Suis sorti du film et attendre les autres pendant deux heures : heureusement une serviette en papier et un stylo au bar du cinéma : huit quarts d’heure.
Sans nuire, jouir, est l’idée du premier quart, pas formidable, du bouillon aussi tiède que le film fui par ennui.
Ensuite pendant un quart d’heure je songe à quoi les enfants sont victimes entre eux, lors qu’affrontés à la puissante sauvagerie des autres enfants, des plus grand•es, tout heureux•ses d’exercer impunément leur domination. Je ne me suis souvenu d’une telle condition que lorsqu’à deux reprises j’ai été menacé de mort, adulte. J’ai ressenti à ces deux moments de frousse, en moi, toute la précarité de ma faiblesse, et le souvenir d’avoir adoré, de trois ans à treize ans, dix années consécutives, ma prosternation devant le Maître, celui qui était beaucoup plus grand, l’autre gosse- jusqu’au jour où hélas, ayant grandi, je n’avais plus de modèle pour continuer de rêver d’une grandeur à atteindre. Il était tombé devant mon propre agrandissement. J’étais devenu une forteresse.
L’idée d’harmonie se faisait jour pour moi, malgré les incessantes bagarres et défaites, au mieux lors des moments de soumission familiale à la croyance. Là, dans l’église, l’autre morpion ne pouvait pas se jucher sur moi pour que je prononce mes vœux de soumission pendant qu’il me cracherait un peu dessus – du coup j’ai d’autant plus adoré la musique qu’elle paraissait le lieu des félicités conjugables.
Tous ensemble.
Comme au foot.
Mais un peu plus tard dans l’existence enfantine, j’ai constaté que les concerts de musique de chambre, dans la salle Stravinski abandonnée depuis des décennies à la poussière, place de l’Emp…
pardon, place de la République à Strasbourg, permettaient également l’apaisement des distorsions de puissance : la modestie du métier de mon père ne l’empêchait pas de saluer les tycoons strasbourgeois d’alors, propriétaires alternativement d’une Bière ou d’une Banque. Voire d’un château. Mais mélomanes, tous ensemble. Musique soumise qui m’a permis de m’échapper ensuite vers les incroyables arithmétiques de Jean Sebastien Bach : c’est vrai que ça ressemble à un escalier : monter, monter, monter . Vers le grand frère, vers les clergés et leur ordre, vers les tours puissantes des cathédrales, vers le Tout Puissant.
Et ainsi m’enflamme l’idée décolonialisée que 32 millions de pianistes chinois conquièrent les mondes. Pour un apaisement ? Ielles le font depuis quelques décennies déjà. Malgré la différence entre les sémantiques musicales de l’Orient de l’Occident et des moyen Orient et moyen occident (qui doit bien exister quelque part entre le Colorado et le Kamtchatchka ). Qui aurait cru, alors que nos divergences esthétiques sont vertigineuses, étudiées par un certain Daniélou.
Il fallait que ce soit un homonyme du cardinal Daniélou ! Comme si la nature ecclésiale de la réunion des publics sous la houlette de la musique avait, de la rappeuse nigériane à la championne des récitals internationaux, fonction d’unir chacun dans l’oubli des luttes pour l’espace vital.
A la messe de mon enfance, l’autre morpion ne me disputait pas la place sur le banc. J’en étais gré au curé, là-bas, au loin.
Au plan mondial ce serait évidemment, comme l’aurait dit Boris Vian épatant.