Il savait tout, et malgré son habitude étrange de ne consulter qu’au snack fantôme d’une gare secrète en Moselle (France), il prenait ses vacances à Davos et enregistrait les discussions de ses voisins de table.
Par exemple La Chinoise: ça n’est pas qu’au deuxième flacon de saké elle eut confessé en anglais son achat récent d’un gisement de députés au parlement de Pékin, mais plutôt son engagement à faire offrir au secteur privé la reconstruction et l’entretien du patrimoine sacré religieux de France (Europe) — sous les encouragements vineux de ses interlocuteurs, un petit groupe d’assureurs distingués et un ou deux chefs d’états en exercice ou retraités. Un monument du genre, qu’il se repassait sur son dictaphone
Le coup des consultations dans la cafétéria fantôme de la gare fantôme de la SNCF fantôme d’un pion essentiel dans le rapprochement des europes (Grossbliedersdroff est en France (Europe) et Kleinblitterstroff en Allemagne (Europe) rendait extrêmement pratique les prises de rendez-vous de ses patients, qui le rejoignaient en général par l’aéroport de Luxembourg, tout proche.
Il ne facturait pas ses consultations mais demandait à ses analysants de lui rapporter des bricoles dont sa femme, qui travaillait pour Sotheby’s, obtenait en général un prix énorme.
Quant à lui, contaminé par le vocabulaire hygiéniste du kitsch médiatico-décervelant, il circulait en calèche (coach) et regardait affectueusement son cocher en imperméable de cuir depuis la galerie des bagages d’ou il aimait par dessus tout cueillir des fruits, des feuilles et des fleurs pendant que les chemins de traverse leur passaient dessous.
Les mosellans ignoraient à cette époque entièrement tout de leur vente à la découpe au privé, et encore plus que le profit de cette vente serait affecté à la reconstruction du monument cher à Victor Hugo.
Qu’est-ce qu’un mosellan sinon le monument de ce que l’on croit hétérogène à soi, par exemple étant New Yorkais on se penserait autre que Woody Allen, distinct de lui, pour découvrir un jour donné que jusqu’à un certain point, Woody Allen est New York, monumentalement, comme la Commune est Paris même pour le pire réactionnaire, Bismarck, un jour à sa grande surprise, lorsqu’il invente la Sécurité Sociale allemande, la prussienne, celle qui existe encore en Moselle et rembourse les mosellans à quatre vingt dix pour cent et pas misérablement à moins, comme en vieille France — Le mosellan est le monument définissant au mieux ce qu’est l’être, sa mesure, et pire, sa dimension, le monument est la dimension du temps, visible, tout d’un coup regardable tranquillement, comme à une montre bracelet. Une métaphysique pragmatique, pratique. Un SPHYNX qui file gentiment les réponses à Œdipe. Par pure bonhomie.
A propos de monument, un jour, son poteau Lucien Israël (mais était-ce vraiment amical ?) lui avait dit vous êtes bien philanthrope méfiez-vous de ne pas virer misanthrope.
-” Patron ! “, lui dit en ce moment précis le cocher, et c’est pure ironie car vu ses émoluments et le prix du fiacre le patron c’est plutôt ce cocher, qui le ruine… «Patron, vous m’faites penser aux arbres qu’on croise le long du chemin et qui semblent nous regarder passer. Ça fait combien d’années maintenant, que vous vous penchez sur les malheurs des gens? “
-” Tu es gentil de pas me comparer aux vaches qui nous regardent passer. “
-” Qu’est-ce qu’on a de si formidable, que vous vous intéressiez à nous comme ça? Vous avez vu? Le nouveau président il veut nous vendre à la découpe. Lui, au moins, il y trouvera son compte… mais vous? Quelle jouissance vous pouvez-bien trouver à nous analyser, comme ça, depuis si longtemps, et en me payant si bien que vous êtes presqu’à la rue? “
Tchekhov où Dostoïevski auraient insisté sur l’aspect physique du cocher. L’arrogance de ses yeux chassieux et minuscules, la blancheur du gras de son menton. L’insupportable hauteur de son front intelligent. Mais c’est du passé, et le manteau de cuir est boutonné jusqu’au cache nez, les lunettes sont fumées et le chapeau enfoncé, donc voilà interdite la moindre description du cocher — que de toutes façons il voit de derrière. Quand même, cet incendie d’une cathédrale, cette affliction comme d’un visage essentiel, urbain et évanoui…
-” Vous savez, Brocard, nous sommes tous tellement immenses. Chacun de nous une cathédrale. Et lorsque pendant mes consultations les gens atteignent à eux-même, tous, chacun, tellement immense que cette métaphore de l’Un qui fait la cathédrale est donnée au travers de ce qu’ils discernent soudain de ce qu’ils hébergent. Leurs songes hébergent une telle grandeur… “
-” Vous oubliez ce que ça vous fait lorsque vous vous regardez dans le miroir? Et ce que voient vos clients ?”
Et le cocher tend au dessus de son chapeau immense le petit miroir de poche avec lequel, depuis qu’il a lui-même été en thérapie à la gare lorraine, il aime parfois à rappeler à son seul passager ce que voient en réalité ses clients: sa tronche à lui.
-” Analysants, Brocard, analysants, pas clients. “
Les croupes de Thunder et d’Atomic ondoient musculeusement pendant qu’il les fouette un peu en se disant que, lui, son métier, il l’a appris jusqu’au bout alors qu’au fond, les psychologues, eux …
-” Bon, ça suffit, Brocard, arrêtez avec le miroir. Je ne supporte pas ma tronche… “
-” Encore un effort… «, chantonne Brocard… «L’âme est belle, la psyché, Die Seele. «
Et puis ils doivent s’arrêter au Contrôle. Trois officiers en costume gris tonnerre, une guérite, le long de la voie ferrée. Les questions habituelles, qui vont fâcher le patron, toujours irascible quand les blagues prennent un ton militaire. («Vous êtes sûr que vous avez fait votre psychanalyse jusqu’au bout? On dit pourtant que vous autres les psys, vous êtes bourrés de symptômes, non? Allez, avouez, vous n’avez fait ces études que pour pouvoir les garder précieusement, vos vices, pas vrai? Quoi? Vous avez dit quoi? Non mais, accompagnez-nous dans la guitoune, on va voir. «)
Mais pas cette fois-ci. Là, ils ont juste posé des questions doctrinales, canoniques:
-” Reconnaissez-vous que le système libéral tient mieux compte de l’existence de la Libido que l’apareil de réflexion marxiste? “
Sauf qu’ils lui posent la question à lui, lui le cocher. Alors il répond tout joyeusement:
-” Oui! “
-” Et c’est votre employeur ou votre client, sur la galerie avec les bouquets de fleurs? “
-” Mon employé. “
-” Qu’vous allez foutre en Moselle? “
-” Visiter le musée de Sarrebrück. “
Et hop fouette cocher.
-” Patron vous avez l’air d’un sinistre ! “
Et puis une demi-heure sans un mot. Et depuis ce jour là plus un mot.
Depuis l’enfance ils ont fréquenté ou cru fréquenter les mêmes buissons, parlé la même langue, regardé les mêmes fleurs de la cour d’ecole Jusqu’aux universités, et puis cru à des fesses, des sourires et des seins très parents, partageant parfois, quand ils avaient l’âge, très crûment, très poétiquement, très précisément, très intellectuellement, tout ce qu’il y a de qualificatif dans les échanges sur la naissance, la mort, la vie — et là, depuis, comme des gros poissons nageant côte à côte mais songeant tragiquement chacun sa mort.
Si vous les croisez, le patron à boutonné un manteau de cuir jusqu’au fichu qui le masque en dessous des grosses lunettes qui sont à ras d’un bonnet de pirate.
Quand le patron ou le cocher songent aux lieux traversés, il n’y a plus trace de comédie dans les discours qu’ils se tiennent, mais le rapport précis de ce que ces lieux ont entretenu avec la souffrance des êtres.
Ainsi lequel des deux songe à ses parents mineurs, décades enfournées à l’exploitation par le puits de mine, triste fraternité du salut qu’on échange au fond, à l’ombre, dans la langue de tous les mineurs du monde Germain, ce salut qui dit qu’on sait bien que si l’on retrouve la lumière du jour d’en-haut (auf) c’est à la chance (glück) qu’on le doit. Gluckauf !, c’était le salut de tous les mineurs, depuis l’Autriche jusqu’à la Moselle.
Lequel autre égrène en sa tête l’absence cruelle d’appartenance à aucun groupe qui caractérise l’être quand il est broyé ainsi, dans les camps d’hier, les lägers dont il sait chaque point dans l’empire germanique, mais aussi les lieux d’explosion de la tragédie depuis, et la liste n’est pas celle de Don Juan, c’est les lieux du Massacre, c’est la tragédie qui s’ecrit continûment et sans frontières des êtres inaimés par des maîtres que noie l’abjection de leurs meurtres glacés.
L’un sachant que l’autre sait fredonner par cœur le voyage d’Hiver.
Tous deux lecteurs assidus des poètes qui ont cru en un Bien, ont vu des flaques d’eau sale jaunir le reflet du ciel aux cours de banlieues offertes aux pas de la mise au pas des pires régimes, rêver de fleurs tristes, se souvenir d’amours formidables, ont perdu tout espoir et en ont acquis une vertigineuse et inexplicable beauté.
Comment avaient ils eu accès à la Thèse présentée par Antoine Seel, en 2000 à l’université de Tours: «Trois poètes d’avant la mort, ou ma mélancolie de la révolte, František Halas, (1901−1949), Attila József (905−1937), César Vallejo (1892−1938) «? Comment et pourquoi?
Le cocher ou son «patron «ou bien les deux, et se sachant mutuellement savants de cette poétique formidablement joyeuse quoique désespérée, ou l’ayant fréquentée sans penser à s’en parler l’un à l’autre? Conscients, forcément, du fait que ces poèmes, lus sur le carreau des mines abandonnées de la Moselle, y respiraient à l’aise autant qu’à Prague ou qu’à Budapest ou bien qu’à Lima…
Leur silence: celui de la mine en quelque sorte, générations d’accidentés qui se suivent dans la connaissance du malheur et de la certitude d’une imminence irresponsable de toute mort et de deuils innombrable je dis enfer et enfer puis bien dire et si l’allez voir le verrez encor bien pire…
Ce qui fait frontière entre qui a le temps et qui est asservi, frontière entre le monde heureux des désirs et le monde esclave des besoins, ce qui fait frontière entre des journées, semaines, mois, années de soumission mécontente à ce jamais-le-temps qui a aigri comme il aigrit aujourd’hui la Chine, fabrique la rapide destruction mitonnée en deux ou trois générations aigrelettes passées aux métiers de l’épuisement,
Zola donc, où même les plaintes mieux nourries d’Hugo le bien nourri, posés bien à côté des trois poètes, le tchèque, l’hongrois, le péruvien, traduits par Seel dans sa thèse de l’an 2000 à Tours, et quand bien même les espoirs et ferveurs communistes d’Halas, József et Vallejo se sont empalés sur la grimace atroce des dictatures dont ils ont chanté l’avènement en prenant les vessies pour des lanternes… le surgissement des camps et la tragédie des millions de mort de l’Europe, après leur chant, rend justice à ce qu’il y avait de justifié et d’adéquat dans leur indignation, et surtout de miraculeux dans cette beauté inattendue.
(Le cocher ne parle plus mais il songe, en fouettant Atomic et Thunder aux robes brillantes: on s´est trompé toujours parce qu’on était d’en-bas, sous la masse des huit milliards qui respirent et alors se taire. Se taire dans le même long silence que celui des familles qui n’attendaient plus jamais rien de leurs mots sauf passe-moi-le-sel… la poésie du blabla)
Ils s’arrêtèrent souvent encore bien entendu pour les repas — les chevaux se reposent devant le restaurant, pour les voir encore un petit effort révolutionnaire, si, si, plissez les yeux, devant les vieux restaurants combien se tinrent d’attelages et pour retrouver leur bruit plus difficile peut-être lire les descriptions des rues de Dublin dans Ulysses de Joyce — le patron et le cocher, bouffant d’un même silence que celui du trajet, s’écoutant la mâchoire (cette mâchoire des enfants des pauvres, qui s’assure joyeusement en faisant du bruit, qu’il n’y a plus lieu de craindre se faire piquer la becquetée par les frangins, autres de l’insociable sociabilité – Le cocher et le maître, en leur silence maudit, revenu malgré fortune faite.
Un peu comme le silence des journaux qui parfois se révèlent muets et quand on entend on se dit pourquoi se taisaient ils… un peu ce silence là, leur silence (du coach et de l’analyste) d’une mémoire des silences taiseux de certaines familles.
S’ils se repaissent du souvenir des poésies, c’est bien beau encore, allez ! Mais depuis qu’ils ne se parlent plus, depuis le Contrôle Politique aux Frontières de la Moselle Métaphorique, s’ils s’en repaissent n’est-ce pas comme de l’inutile mais clinquant souvenir d’un repas quand il n’y en a plus. (Descriptions par Charlotte Delbo de la longue énumération des repas d’avant la détention concentrationnaire par les prisonnières politiques autour d’elle)
La frontière n’est pas rien, qui laisse si souvent franchir son seuil par des arrogants venus périmer toute valeur antérieure en disant vous n’êtes plus, l’expérience d’une reprise en main brutale par les nouveaux chefs qui ont montré si souvent que le marquis de Sade n’était pas un fou à mettre aux asiles d’aliénés mais un triste observateur, aussi muet qu’eux, le divin marquis, oui, muet, au fond, du plaisir immense à rétrécir l’autre, celui de l’au-delà.
-” Jusqu’à temps qu’ils eurent anéanti au plus profond de mes mots la moindre conviction d’un Bien: ma langue, ma lalangue, par moi-même maudite comme langue impie, vulgaire, ennemie, sale autant qu’excréments, ah ! Malédiction que le mot est juste, pour représenter ce qui se ressent au cœur de celui qui ne tient de ses parents qu’une langue maldite, maudite, inestimée cependant qu’au vif de sa révolte il la retrouvera inestimable. “
Sur les images vidéo du massacre du Rwanda on peut voir encore le sourire immense et la joie fantastique des tueurs. Et en Germanie nazie les gardiens des camps surent comme étaient beaux les paysages alentours, dont la beauté (par exemple autour du camp du Struthof la sublimité des Vosges) devait s’aggrandir encore de la satisfaction sadienne d’avoir anéanti ceux de l’au-delà des frontières.
Frontières construites à la guitoune.
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Si l’enfant regarde la Passion à Pâques (à Strasbourg chaque année depuis pratiquement la naissance du Bouddha pardon depuis Jean Sébastien Bach qui nous est, pardonnez nous, une forme de Zarathustra, on joue une de ses Passions, et c’est comme un grand moment de vérification même si les protestants ont l’habilitation pour tout mettre en doute, pour douter de tout, mais lorsque devant vous un mur de cinquante chanteurs articulé les paroles de la Passion mises en génie par Jean Sébastien Bach, vous vous dites que, oui, ils ont appris juste avant les techniques d’embaumement pharaonique, ils ont appris comment vous découper post-mortem, ils dominent la technique pour vous faire une pyramide et ils ont appris et sont en train de vous réciter comment votre corps va rejoindre pour l’éternité (ils savent également, c’est dans le texte) vous flotterez là-haut vers la Voei Lactée, bref, ils savent sinon, n’est ce pas, ce ne serait pas aussi joli et ça n’aurait pas cette allure qu’on le vagues, aux bordures océans, lorsqu’imprudemment on leur confie nos corps et nos oreilles)…Si l’enfant regarde une Passion, à Pâques, on lui enseigne, certes comme on fit aux cultes égyptiens, une guerre du Bien (Osiris) et du Mal (Seth) — mais pour les besoins de l’empire romain ou de ses successeurs, le mal devient l’incrédule juif, celui qui demande en hurlant et en foules, la crucifixion de l’homme bon par excellence, fabrication de la guitoune: qui faut-il éliminer…
Quand ils se parlaient encore, le cocher avait dit au thérapeute:
-” Les peuples bons sont haïs par les propriétaires de leurs biens. La roture par l’hobereau Noble, le moujik par l’apparatchik, le fils du Ciel par l’empereur, le démocrate par son député… Les tchèques ont été vendus à Hitler lors des accords de Munich, prélude à la deuxième guerre mondiale. Ne parle-t-on pas aujourd’hui d’autres peuples héroïques, abandonnés aux affaires pétrolières, ne seront ils pas sacrifiés, comme a été sacrifiée la sublime beauté de Prague lors des accords de Munich? Ne serons nous pas vendus à la boucherie, quand il nous prendra d’etre généreux? “
Et le thérapeute avait fredonné alors la poésie de Frantisek Halas, qui pleurait la trahison de son pays, au moment atroce des accords de Munich qui sanctionnaient l’abandon de Prague par ce que les praguois avaient pris pour une France aimante et une Angleterre juste:
— «Il a été remarqué mille fois qu’ainsi l’empire romain se préparait la future Shoah, au moment de sa cathartique disparition — place relative de l’Europe et des empires, devenue si minuscule depuis 1945, pas vrai? Ne sommes nous pas la cible ultime, au delà du rétrécissement de l’Europe qui nous héberge, nous les inaudibles des limites, nous les pointillés des frontières, nous les trans-sens? “
«-Aussi mon cher, nous les mosellans savons-nous quelle frontière morale essentialise du côté romantique allemand de l’europe, du côté romantique tout court de la pensée tout court, le fait que le théâtre de la Passion protestantisée a scandé une invitation à la haine des incroyants, et des juifs nommément. “
-” Ah, répondait le coach, «ah en veux-tu en-voilà, de la vertu ethnocidaire ! “
-” Non mais est-ce que tu ne réalises pas que c’est ça, la passion la plus sublimement infâme et la plus viscéralement convaincante donc? “
-” En vérité je vous le dis, en vérité, mise en vertiges du meurtre par la rigoureuse écriture affective, sentimentale, quasi légiférante, celle de Johan Sebastian Bach, sans la musique de qui, (malgré son adhésion à la condamnation romaine de l’incrédulité rabinnique devant l’évènement christique), que serions-nous, sinon un jour sans pain? “
-” Explique-toi mieux, bougre ! “
-” Tu es sourd ou n’as tu pas d’oreilles? Soit un homme bon, soit un enfant qui apprendrait -et à qui on ferait croire au moyen du Beau — l’existence historique, avérée, d’un homme bon, d’un homme merveilleusement et héroïquement et providentiellement bon. Et soit, ensuite, un système de narration instituant, pour çe gamin assoiffé de quelque chose qui le rassurerait, que la mort de cet homme bon soit le fait, non d’une spécificité de la Nature… “
— «Tu veux dire comme dans les rituels qui se célébraient en douce mais quotidiennement l’assassinat d’Osiris-le-drôle-et-le-bon par Seth- l’incarnation de l’affreux moche et du mal, dans les temples égyptiens, pendant trois millénaires? “
-” Oui mais dorénavant, après le christianisme, cette mort n’est plus le fait de la nature, du mal, mais elle est est devenue bizarrement et d’u e Façon historiquement tout à fait fausse, le fait de la méchanceté d’une partie de la population, les juifs pas devenus chrétiens, la foule du bon peuple de Jérusalem: alors tu imagines, quelle justice voudra restaurer l’enfant devenu, par la généalogie de la Morale, justicier aux yeux bandés? “
-” Ah ! Qu’est-ce qui se dit depuis, en tout confin, qu’est-ce qui se répète aux voies persistantes de l’empire romain devenue Europe, qu’est-ce qui persiste des temps de la constitution d’une narration canonique du supplice de l’homme bon, ressuscité comme tout bon égyptien? “
-” Ce qui persiste de Rome et de ses supplices? Que l’enfant bien élevé saura, une fois devenu coach ou patron, sacrifier toute relation amicale à cette frontière muette là. Se scandaliser.”
Longtemps le coach s’était demandé – longtemps et souvent quand il se réveillait de bonne heure — pourquoi la libido des uns, nommément les nouveaux pharaons du gaz, du pétrole et des armes, s’opposait-t-elle si radicalement aux désirs populaires d’une Égalité entre tous? L’irrespect du principe libidinal par le système de Karl Marx, hypothèse plébiscitée par le coach, n’est-il pas aussi une façon de remplacer la Nature par un ennemi humain?
Quelle effroyable guitoune éthique, se disait-il, quel kafkaïen Contrôle Moral, quelle aveugle tentation justicière, de vouloir croire les héritiers (du gaz, du pétrole, de la vente d’armes) criminels mais surtout de pouvoir ainsi les liquider, en reproduisant immédiatement la circulation du pouvoir qu’ils incarnaient?
D’innombrables bienfaiteurs nécessitent l’assiette, l’équilibre de leur immense fortune personnelle, en face des peuples évidemment éblouis, leurs pouvoirs sont pharaoniques aujourd’hui. Deux mille ans après Rome, et rien n’a jamais été aussi simple que le monde informatisé du Net, en tous cas depuis que le système égyptien s’était ouvert, d’abord au monde grec, puis au monde romain, puis aux colonies traitées il y a si peu de temps, l’Afrique, l’Asie, les champs de coton, comme de nouveaux gisements d’incroyants.
-” Maintenant, avait remarqué le coach, l’Asie toute entière peut se convertir au mythe de l’immortalité de l’homme bon, séduite outrageusement, avant l’avènement du Web, par le surgissement de la guerre entre Abel et Caïn, devenus Karl Marx et le Ploutocrate, puis, une fois détrompée, mise au pas par l’organisation informatique du Commerce. “
Le maître, ne parlant plus voyait repasser devant lui, en perspective des poésies désespérées et belles d’Halas, József et Vallejo, la Mémoire des Camps, de Didi-Huberman, les phrases des anciens des camps, les phrases des nouveaux juste arrivés depuis la violence toute fraîche aussi, futurs parents taiseux qui refuseront de dire, au moment d’enseigner le Contrôle à leurs enfants, que les rivières, partout, sont rouges de leurs propres crimes et pas bleues comme des mains de parents passant dans des cheveux d’enfants encore arrogants, joueurs, jeux de mots jeux de marmots.