Anatole Coizard de l'océan maudit

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Aux immortels, leurs co-rêveurs gratinés.

-«Mais pourquoi on aurait à vivre entassés ?», a dit Laura.

«L’homme que mène la raison est plus libre dans la cité, où il vit selon le décret commun, que dans la solitude, où il n’obéit qu’à lui-même” — Homo qui ratione ducitur, magis in civitate, ubi ex communi decreto vivit, quàm in solitudine, ubi sibi soli obtemperat, liber est.» Spinoza, De Servitute Humana, Proposition LXXIII.

Skelligs Manhattan

On the twenty fourth of August 2017 I returned from France to the remote isles of Skelligs: I admired the usual pictures from the basic boat trip around the rocky ermitage (no landing) — seasick in the vicinity y of the two immense teeth, center of a world. Omphalos. Navel of the world. Secret passage between two subtle worlds.

Banquet banques et patatras. (La misère parle rarement d’amour)

Car, se disait Raoul, il en va d’aimer comme des attractions de tous ordres.

Ainsi les anciens grecs, qui ne manquaient pas de se projeter orgueilleusement dans la nature, ne voyaient plus que l’homme pour mesure de toute chose. Programme si juste, au fond, programme si vertueux au final, programme si aveuglant, dans ses débuts, à son aurore, programme à vous faire prendre les lanternes du cosmos pour des vessies trop humaines. Et, ce que remarquait Raoul au moment de s’attaquer aux débuts de la philosophie, ces grecs anciens trouvaient, du coup, quelque apparence amoureuse au ballet des planètes, quelque accord érotique entre les différentes humeurs dont ils se racontaient qu’elles présidaient à leur état de santé.

Y A -T-IL DE QUOI, PAR DELÀ LE SEXE?

PROLOGUE.

Escaliers d’un bateau. On entend un concerto pour piano de Mozart. Un majordome, seul, avec sur son plateau un énorme verre de Spritz.

L’infréquentable Princesse Gentille-Pas.

Aussi loin que s’étendront les jours, les années et les siècles, tellement loin que c’est tout simplement même pas possible de prévoir quand, et pourtant méfiez-vous, car vous allez voir que ça pourrait être maintenant et tout de suite, surgira le règne de l’immense magnifiquement rigolote et pourtant quand même fabuleusement belle Princesse Gentille-Pas, la fille qui fera s’ouvrir de surprise, qu’est-ce que je dis, de stu-pé-fac-tion, presque chaque jour, qu’est ce que je dis, presqu’à chaque seconde, les beaux yeux de la Reine Pas-Polie, sa mère pourtant habituée à avoir fait plein de bêtises elle-même et pas des petites, et pas seulement quand elle était petite et je vais pas toutes vous les raconter.

Vers chez Büchner

On m’a dit qu’ailleurs les gens étaient plus gais. (Écrit en août 1978, lors d’un travail comme veilleur de nuit à la clinique chirurgicale B. Non loin de la faculté de médecine que Büchner, tous près de mes aïeux, hantait.)

L’armoire du Candidat Gauleiter Mar.

L’armoire à Mar
(1982) Peut-être les ombres vont-elles jusqu’à
penser que je les fuis mais c’est inexact et tout
d’abord elles sont si fragiles, elles ne m’ont jamais réellement inquiété au contraire, je n’ai pas cherché à les trouver impalpables ou mortes, qu’elles soient ombres humaines ou plus indistinctes encore, élémentaires, j’ai flatté leurs apparences, longtemps même et sans regret – cette course qui me préoccupe à présent n’est pas pour s’échapper quoique parfois se mêle de la peur aux sentiments qui me font courir, sauter de côté, reprendre, crocheter mon itinéraire.
En pleine ascension il me semble enfoncer dans de protectrices profondeurs. D’entendre sans cesse mon propre halètement me signifie plus un désir d’utiliser ce souffle que la crainte de le perdre.
Même si cette avancée doit mener, je le sais, à une éclipse, ce n’est pas pour cet évanouissement que j’emprunte et reconnais les dédales d’un discret sentier de montagne à hêtres géants.

L’obscurité qui m’environne et réverbère les bruits de mon pas, de ma respiration, ne m’isole pas, j’ai présentes à l’esprit de façon de plus en plus aiguisée les formes qui déterminent ma vitesse, qui me remplissent tout entier. A la recherche d’un accroissement je scrute le souvenir de ces formes, qui longtemps ne m’avaient pas laissé le moindre choix, impératives jusqu’à ce que je leur réponde assez et qu’elles cessent de me torturer, que l’apparition de mes désirs ne m’inquiète ni ne me surprenne plus. Ainsi entre les talus, dans le chemin creux plein d’ornières faites par des glissades de troncs écorcés, je savoure la trace précise de leurs visages, des attitudes hiéroglyphiques qu’elles savent prendre et affiner, jambes déjetées, cambrures, démarches et accroupissements obéissants qui déploient notre commune certitude, j’en ai la conscience de plus en plus précise. Je m’étonne de voir si bien convoqué cet érotisme sous la nuit tranquille dont le silence n’est probablement qu’augmenté par mon pas, je vois la tendresse des jambes agenouillées dans une forte proximité, ce visage affolé qui se relevait, manifestait sa soif ; il n’était question pour elle que de s’ouvrir plus, d’un degré de rencontre inespéré, elle se voyait écorchée et capable de me ressentir sans la protection de sa peau, un contact sans bornes, elle l’avait voulu en me laissant lui choisir ses habits, je la revois qui suivait le décuplement de notre jeu, qui riait de confusion.
Malgré moi je me retourne et scrute entre les fûts l’espace noir, sûr du vide de la forêt. Des lambeaux de phrases étrangères, ectoplasmiques, m’accrochent et font autour de moi les parois d’une tour que je gravirais.
Je ne fuyais pas les ombres mais leurs silhouettes affleurent dans les courants d’air parfumés des palpitations sous-bois. Le ciel et les planètes, je les vois aussi comme des parois qui protègent mon esseulement, je caresserais pour un peu ces lignes d’étoiles.

Pourquoi les lieux me sont-ils tellement familiers, grandes croupes de montagnes sous l’encre d’une nuit fraîche, avec l’odeur insistante des bogues noircies de châtaignes et l’esprit des genêts au bord des chemins herbus ?
De la salle à manger, elle était passée à une pièce écartée, elle s’était changée lentement. Les achillées en vastes touffes encadrent mon saisissement douloureux de la voir obéir, je passe indifférent aux grandes fleurs blanches.
A l’approche de la clairière, au passage entre les stèles taillées d’une vieille porte, pendant la traversée ensuite du long jardin exubérant et quasi forestier, j’entends que mon halètement est devenu critique – je la vois, ma pensée choisit cette brune aux yeux verts dans ce moment étrange où elle avait décidé de m’attribuer un pouvoir, étonnée de son acquiescement elle sentait que j’allais devenir furieux par l’adéquation que mon alchimie tâtonnante obtenait de son corps.
J’enregistre néanmoins ce qui m’entoure, une sorte d’accord donné par les ifs et les buis échevelés à ma venue solitaire, je veux être souhaité par l’ombre qu’accentuent leurs massifs – leurs qualités vitales me sont d’autant plus sensibles que je les utilise pour aller plus loin dans cette reviviscence intérieure et ses développements capiteux. Ma concentration, je ne la destine qu’à moitié à l’analyse de faits déjà vécus, surtout je savoure de les avoir vécus, j’apprécie qu’ils soient maintenant une partie de moi, avec les révélations qu’ils transportaient, les énergies qu’ils utilisaient, le principe jouissant qu’ils délivraient et dont je sens l’intensité me frapper à nouveau si fortement que je dois un peu m’appuyer au tronc rugueux d’un poirier, ma main

surprise d’un contact réel le néglige ensuite, puis je titube d’images entrecroisées dont l’unité est d’être miennes, les gestes que je recompose à l’envers de ma rétine ce n’est pas l’autre qui les accomplit mais moi-même, dans une liberté impossible.
Je la distingue parfaitement dans ce rougissement subit qu’avaient eu ses joues, exacerbée d’impudeur et pourtant intimidée en découvrant l’imminence d’un autre paroxysme qu’au vrai elle avait déjà dû imaginer, rêver depuis longtemps. Je la revois animée sous l’onction de mon sceptre, infiniment plus génital que mental, selon les échos d’elle auxquels elle décidait de l’adresser.
Soudain, anéanti, j’ai juste la force de pousser la porte d’entrée de la maison et d’en traverser le vestibule aux très vieux pavements.
Les fragmentations de ma mémoire m’atteignent déjà moins, simple contemplation intérieure des poses qu’elle avait adoptées ensuite.
Sous les tapis un plancher un peu craquant perpétue son odeur séculaire, celle de la pièce tendre où je pénètre lentement sans me préoccuper des gravures, des paysages et des natures mortes, ni de la tête de sanglier, des deux poêles en fonte, encore une fois c’est la demeure qui m’accueille, qui soutient la fragilité où je suis réduit, qui étaye ma démarche hésitante.
Si j’accourais ici c’est qu’après l’éclatement et encore haletant je désirais m’y jeter dans un des fauteuils en velours lie-de-vin et garder malgré leurs cernes mes yeux ouverts sur la grande armoire de la Renaissance, en face de mes jambes étendues.
Et pourtant ma course n’a-t-elle pas abouti à une forme d’exil, n’ai-je pas été lancé ici par imprécation ?
Ce qui me satisfait n’est-il pas d’avoir apprivoisé le noir ?
De voir danser les onze colonnes torsadées de l’armoire comme le rituel de soumission d’un ennemi très sûr ?
L’espace est d’une solitude qui se désire elle-même, ne peut déterminer que des jouissances mentales : je tends la main vers une bouteille de vin tuilé.
Comment puis-je accepter ce baiser du vide, sans fantasme ?
Car je ne mets pas de nom humain sur le chant discret que les lisières, au dehors, gémissent, ni sur la rumeur des ruisseaux qu’en ouvrant les fenêtres je finirais par percevoir. Depuis longtemps je n’attends plus qu’irrue de l’obscur la ferme précision d’un corps, je retrouve exactement et uniquement, je me contente du léger grain de la lumière flammée, du silence et de l’odeur de vieux bois et de vieilles cires, de l’exhalaison des toutes jeunes femelles d’encre qui sont, sur les gravures, étendues au sein de clairières et de marécages.
Sans guetter l’illusoire force des choses inanimées, je remarque les multiples visages de grotesques chauves, bouffis, souriants, à la moitié supérieure de l’armoire, qui sont séparés par des guirlandes de fruits, fruits dodus et même éclatés parfois, des fruits destinés à les faire rire encore plus, à consoler par la panse leurs défaites de vieillards qu’on ne convie plus aux bacchanales.
L’armoire me protège à peine et je n’ai pas encore bu de vin, j’ai juste porté assez haut la bulle du verre et senti les premières odeurs.
Si quelque chose a changé soudain, c’est ma façon d’écouter le silence depuis les oreilles de bois de l’armoire qui se renseigne elle aussi sur le caractère absolu des forêts environnantes, elle sait combien est échevelé, convoité, ce qu’elle renferme,

livres énormes imprimés aux alentours de la date en marqueterie du fronton, leur odeur terrifiante ne s’échappe qu’à l’ouverture des vantaux lourds.
Il y a là dedans des caractères anciens, planches théologiques, inquisitoriales ou alchimiques, qui invitent, par le biais de la représentation de multiples démons, à l’introspection, guet attentif des douceurs du gouffre – si quelque chose est modifié, c’est cette flamme grandissante d’un cierge dont, certainement, je n’avais pas d’abord remarqué l’existence et qui à présent sur ma gauche s’allonge sans mesure en éclairant d’ivoire ma main tombant de la tête rapace d’un accoudoir.

L’oxydation amoureuse de la Maison d’Ernol.
(1984)Une fissure s’agrandit, lentement, le pâle visage d’un vieillard inquiétant m’y fait des signes narquois.
Ce n’est pourtant pas l’armoire, avec ses colonnes en vis de pressoir, joyeuses des veines colorées d’un bois précieux, qui me rappelle l’existence de Mar.
Quoique quatre têtes soutenant les colonnes mineures du haut soient emblématiques, comme lui, par leurs bajoues, d’un empire muet, précautionneux, averti.
Monsieur Mar, octogénaire mosellan, convoquait une obscurité semblable à celle qui m’environne, en sanglotant soudain au détour d’une narration que j’avais crue saillante – l’éventualité était rarissime, ne se produisait que lorsque nous étions seuls, lui face au vide, approfondissant son passé. Autant que l’usurier messin, les visages en bois de fruitier disent combien le temps me chargera d’ambiguïtés, de choses inavouables, cachées, de gens absents dont la présence me déconfirait – leurs traits un peu mongols évoquent une histoire dont les livres savent peu, le passage des huns, en terres rhénanes.
Les yeux de Mar avaient eux aussi des brides, celle qu’ont les nombreux descendants du Suédois convoqué ici par la peste la guerre de Trente ans et Louis XIV, menés jadis par leur roi Gustav Adolf.
L’œil de Mar disparaissait en minaudant et en se plissant, quand il surgissait après avoir un peu fait attendre le visiteur, accueillant, de sa profusion mobilière, de son entassement de marqueteries et de secrétaires anciens, de miroirs. Celui qui était venu là pour quémander un prêt ne pourrait avoir,, en regardant cet amoncellement de trésors cirés, brossés ou lustrés par la gentille Marlyse, le réflexe salvateur de se poser la bonne question, avant d’être happé par un contrat usuraire sous seing privé :

le passé charrie-t-il plus de survivance que de mort ? Peut on vraiment apurer une dette ?
Au vu des quatre visages de l’armoire il est clair pour moi que Mar, ancien industriel, trois siècles après eux qui furent commerçants rhénans ou soldats, en était tout autre chose que la résurgence. Les styles fabriquent des époques dont aucune ne règle les dettes de la précédente.
Pendant les nuits cernées de forêt bavarde qui le faisaient au mieux se livrer, je ne parvenais pas à savoir ce qui, réveillé par ses anecdotes, le poussait à gémir, larmes et pouffements : coups de fouet injustes et trop violents issus de ce que j’avais pris pour simple pénombre ou au contraire, loin de toute magie, dialogue avec ce que son corps refusait d’oublier.
Car il ne voulait pas avoir sous les yeux sa propre image, qu’il trouvait certainement manifestation trop crue, directe et honteuse de son passé – il ne se regardait jamais dans les miroirs, ou prétendait en tous cas ne pas le faire. Mieux valait éteindre la lumière et ne plus se savoir là, je le surprenais le soir dans sa cuisine sans aucun éclairage alors que le couloir était illuminé.
Il se tenait par exemple devant un plat de châtaignes et pendant une partie de l’après- midi je devinais qu’il avait dû remettre des bûches dans la cuisinière. Quand j’arrivais il tirait d’abord un clafoutis du four et me le proposait, sortait une assiette et des couverts. C’est après seulement qu’il réalisait l’absence d’éclairage.
Sa cave était elle soutien de nos repas communs, conserves rangées pour plus d’une existence niant la maladie et l’âge très avancé d’Aloyse ?
Sous la cuisine il m’avait fait voir quelques barriques, les mirabelles et les cerises dans leurs pots de verre, les pommes mises à vieillir, les hautes piles de boîtes en fer. Il marchait lentement au dessus de ces dédales de réserves et d’un œil rallumé me faisait réaliser combien les fruits dont il s’était nourri étaient révolus, à quelle vitesse il les avait transformés en énergie et en excréments.
Même le travail lui paraissait chose vague, il valait mieux penser à ce plat de choux et de marrons, ces haricots et ce civet du lapin tué l’avant–veille.
Au contraire les quatre visages aux fronts torturés soutiennent chacun une colonne torsadée, la puissance émanée de leur réflexion. Mais quant à eux, ils sont fichés dans la porte, inexpugnables, protégés au dessus par l’avancée carrée des bases de colonnes, voisins à l’extérieur, de l’extrémité basse d’une frise de feuilles et de fruits mélangés – pommettes jointes aux cous par une arabesque décidée, grasse, puissante.
Ce qui assure leur pose ? Un savoir très pragmatique, des règles utilisables mais qui se moquent de la vérité pour asseoir un réel profitable.
Je me souviens que dans une ombre très semblable (pas seulement troublée par le cierge qui, au moment de vous parler, brûle à côté de mon fauteuil) les yeux de Mar discernaient un déchirement cruel, les défaites de son passé lui rétrécissaient la pupille, inexplicables malheurs dont il ignorait encore le fil directeur. En lui j’ai pu m’ancrer à un temps déjà incroyablement révolu lors de nos rencontres, la Première Guerre, avec ses promenades d’un artilleur en uniforme allemand, jusqu’aux Alpes Italiennes.
Ainsi comme les êtres mi-végétaux des portes de l’armoire, il avait connu les canons.

Au dessus de leurs têtes, ces volutes seraient évocatrices de fumées terribles, concrètes. Y restent, inscrits, les calculs de flèche, de portée, l’observation des coups tirés. Ensuite, dans les hameaux traversés, quels vestiges d’existence, quels corps disloqués à enjamber, dont le souvenir burine le tour de leurs vastes yeux et inquiète leur front, d’autant que c’est parmi un spectacle possible de leur éventuel destin, ces cadavres, qu’ils découvriraient par après quelque bouteille épargnée, un tonneau de harengs, un jambon fumé encore suspendu à son clou.
Enfin Mar de la sorte mangeait, ça lui était encore possible sursis, et d’un grand éclat de rire il me montrait dans la cuisine peu éclairée son cher plat de haricots, source d’un tonnerre plus intestinal que canonnier, fous chauffrez fotre lit krâtuit affec ça, tiâple de chosses – se voyait partir en fumées, éclater comme la bonne poudre, métamorphosé en gaz fétides – une odeur forte qui lui était une sorte de garantie. Inquiet il se repose sur cette germination, ces mouvements du ventre, la particularité des odeurs qu’ils suscitent. Les aliments viennent se ficher comme une foudre à l’endroit exact de la détresse, de la frustration, de l’absence. Dans leur lit, repu des épais gâteaux, des plats les plus lourds, l’arbalétrier et l’artilleur tendront leurs jambes et se renverseront sur un matelas aussi ventru qu’eux en laissant pétarader cette Sainte Barbe, ainsi que les pactes renouvelés d’alchimistes éloignant toute mort. Les quatre vieillard à gueule ouverte de la portière en bois ont peut-être pensé à des plaisirs amoureux anciennement morts déjà et restent sans plus rien croire – Mar, lui, feint encore se venger des femmes enfuies, absorbe goulûment des nourritures en remplacement des fêtes érotiques, voudrait à nouveau quelque chose d’aérien, mais de sous ses couvertures s’échappe une odeur terrible, sabbatique.
Son visage ne se figera jamais dans la noblesse des quatre personnages qui paraissent au fait également d’oxydations mais en tirent un sérieux accentué, autour d’un énoncé de leurs lois vitales closant le visage, soutiennent leurs colonnes trépidantes.
Suis-je, à cette étape de la nuit, chassé du pays de l’altérité, suis-je à l’abri de l’usure des amitiés, par la précision, le caractère tellement défini de mon existence ? Ces quatre bouches ouvertes, ces lèvres dégorgeantes dont on s’attendrait à voir gicler le blé d’u moulin, le vin d’un foudre, ont-elles été sculptées dans le bois pour tempérer l’inquiétude des collectionneurs de livres, des graveurs et des théologiens qui ont dû au fil des siècles tourner autour du meuble précieux ?
Ont-elles si vite agi sur mon esprit avec le rythme de leur succession et la richesse décorative au milieu de quoi les bonhommes se trouvent insérés ?
L’utilisation à fins artistiques de leurs visages gras suggère que la maturité se trouverait en fin de route, que plus on a le temps de manger, et plus on s’allume, même si on est loin du temps des affections amoureuses, le visage prendrait un caractère resplendissant, comme ces toits de cuivre que la pluie, les ciels gris, amènent à une fluorescence éclatante.
Mais on ne saura pas si ces rires proviennent d’une connaissance régnante de l’amitié, de l’amour, des bacchanales et des tendresses, ou bien d’une descente éperdue, renouvelée, vers le fond des meilleures caves, vers les fruits et les viandes cuisinées… Ce rire, dont on dit qu’il est généreux, juste parce qu’il donnerait « à entendre », ces quatre rires partent, muets et horizontaux, passent au dessus de moi,

franchissent le silence que je sens peser à mes épaules, me laissent sans interprétation, dans le lit absurde du mutisme des dieux.
Car le corps d’un ami mort, visage tourné sur la litière de la morgue, les yeux clos, habillé comme à la ville, juste aspergé de parfum par une femme désespérée, presque prêt à se redresser pour aller boire un cocktail en écoutant du piano dans ces bars qui sont si proches, le corps d’un ami mort ne ressemble ni de près ni de loin à un fruit que l’on aurait fini de manger – mais la réaction dont on apprend alors qu’elle a cessé, comment y croire, durant presque un mois resteront des effluves qui n’ont rien à voir avec des souvenirs, comme des paroles juste prononcées, fraîches et actives.
De cette énergie disparue je comprends que certains peuples aient cru qu’étant d’origine solaire il convenait qu’on la laisse, en lançant les barques funéraires vers le couchant, rejoindre sa source – parfois quand encore rouge le soleil rase à plat et perce les rideaux je prononcerais, reconnaissant, le prénom du mort, capable d’évoquer en tous cas cette matière étrangère à chacun de nous deux, qui prenait forme au fil de nos échanges, et dont la création m’a bien semblé, après coup, être une fin en soi. Mais l’efficace des mots disparaît avec la présence qui les proposait – laisse, il est vrai, des paillettes brillantes, quand je filtre ma mémoire.
Vertige, par la richesse de ces réseaux amicaux disparus. Nous étions ensemble, nous parlions – que disais-tu ? A vingt mètres, chaque homme n’a l’air que d’une idéologie en mouvement, après un ou deux ans de proximité au contraire, des effluves souterrains se rejoignent, travaillent et dissolvent, on sent des grandes cavernes remplies d’air et de lacs, des rapprochements non manifestes, et si l’autre était avant tout un faisceau d’idées, conscientes ou non, elles vibrent indépendamment de leur énoncé possible, cela les habite et les exponentialise – qui étiez-vous, un parfum, un délire, une corolle et des nuits ?
Quatre rires magiques en face de mon vertige :

Pour nous, tous nos amis sont morts, disent-ils, et depuis longtemps.. Nous
sommes quatre signes, et non le souvenir de quatre vieillards. Nous représentons l’affection de celui qui nous sculpta pour les vieux bien nourris, peut-être aussi pour les esprits car sous nos colonnes nous avons quelque chose d’inhumain.

Ah ! – Quitter le règne des années qui fuient, des mémoires qui s’effritent, des intelligences limitées, voir l’envers des cartes.

En face de l’actualité réelle de mon présent j’essaie de ranger mes souvenirs mais quel ordre impénétrable.

Et chaque évènement nouveau de ma vie d’amitiés me surprend même un peu dans ce travail d’archivage : c’est quelqu’un qui sonne à ma porte, j’y cours débraillé, j’arrive devant l’amitié naissante, l’amoureuse – et si j’y regarde vraiment, cela ne me rappelle rien. Il y a probablement de quoi suggérer aux quatre esprits de rire, ils me savaient occupé comme un boutiquier, occupé à ordonner l’impossible capharnaüm, la substance mercurielle et fragmentée, fuyante. Et à chaque instant le réel livre ses tombereaux d’éléments disparates, mes rayonnages n’étaient pas seulement prévus pour le millième d’une telle commande.

Tout au plus le sommeil me laisse-t-il en mémoire un rêve aussi précis qu’une architecture et il me semble avoir tout appréhendé d’un cas de figure. Un peu comme si d’un moment j’avais déchiffré les hiéroglyphes, comme si une situation, une circonstance s’était ouverte à la façon des portes monumentales dans un temple du Nil. Par contre je ne sais plus très bien au réveil quelle matière me constitue, si je suis unique ou multiple, si je ne suis pas les racines d’un des chênes qui nous regardent passer et trépasser. Dans le rêve était marquée l’arcade qui me relie aux péripéties, me soufflant comment j’aurais bien pu les recevoir, toute la chaîne enfin.

En levant la tête je vois que je ne soutiens aucune colonne veinée : ce qui pliait ma nuque, ce qui éloignait ma tête du dossier de velours, c’était l’avancement de la nuit.

Bribes.
(Mar) à quatorze ans il s’était laissé ravir une « femelle » par son frère aîné. L’évènement avait eu pour lui de l’importance. Il aimait raconter comment plus tard lui était venue sa vengeance, et pendant qu’il racontait cette autre anecdote on se disait qu’il ne voulait pas y croire, qu’il voulait surtout parler d’humiliations et de punitions. (Le frère qui rentre quelques années après une guerre – mais laquelle ? – après des années de prison – et qui retrouve, je crois, le cinéma familial vendu, qui fait une scène.) C’était raconté d’un ton égal, avec un semblant de rire où il pensait se souvenir qu’en d’autres époques, devant d’autres publics, il y avait eu du comique.
( anecdotes où Mar racontait comment il avait surpris Maier, un vieux moche, et la jeune et jolie ouvrière, qui se retrouvaient régulièrement dans les piles de cartons de l’usine, je ne sais s’il parlait de son usine de tricotage de jersey industriel, de son usine de gelée « Maggi » pendant la guerre, ou de quoi…)

Noté avant 1984:
(…) « à cette époque n’est ce pas che m’occupais encore de l’usine, à Montigny, et un chour, Grüssmayer, c’était mon factotum, il fient me foir et il me tit, fous safez, patron, le contermaître, Gust Maïer, et bien la petite Dorothée, il la baise tant qu’il veut – ça che ne poufais pas croire, hein, le Gust Maïer il était moche comme tout, hein, vraiment, et vieux et tout, mais che fous chure il était horrible le pauvre, et che ne poufais pas le croire – la Dorothée c’était la plus jolie de l’usine. Je me dis c’est pas possible.
Et Grüssmayer, mon factotum, il me dit, écoutez, puisque vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à aller voir, il fait ça dans les cartonnages.
Et pis moi ch’ouplie l’histoire, hein, ch’afais autre chosse à faire que ces konneries et tiâple te chosses. Mais, le lendemain, par hasard, ch’étais au premier étache de l’ussine, là où on entrepossait les cartonnaches, et tout d’un coup, « tac tac tac », ch’entends quelqu’un qui monte l’escalier en fer. Che me tis : attendons un peu mon gaillard et –hop ! – à tout hasard che me klisse entre deux ranchées de piles de cartons. Et qu’est ce que che fois, c’était elle, la Dorothée !
Pas deux minutes passent que téchà foilà mon Maïer qui arrife et ils ne perdent pas de temps – ah non !
Tout de suite che les entends : Pouf ! Pouf ! Pouf ! Tes frais cochons et che me tis bande de salauds, fous allez voir. Che m’approche tout toucement chusqu’à la rangée de cartonaches derrière la leur, ch’attends un peu et, au moment où les teux étaient vraiment – (Pouf ! Pouf ! Pouf !) – occupés, houp ! je pousse les cartons – n’est ce pas les feuilles de carton, elles sont posées l’une sur l’autre, comme ça, elles glissent, hein, et pendant qu’ils sont empêtrés là dedans, mais ensevelis, moi, che tisparais.
Le lentemain che croise le vieux Gust à la cantine : ch’étais afec mes deux molosses, en passant tefant lui, che tis, comme ça : alors Gust, che chwis inquiet pour twâ, on m’a dit que tu avais failli t’étouffer hier ? Ah ça il afait compris Gust, il a pouffé sa soupe et il a chuste tit, oh bon, ça fa, patron, ça fa, hein, ch’ai compris. »
Mais le fait de narrer, le plaisir des anecdotes, son visage qui revivait l’ébouriffement de la surprise, ses joues qu’il gonflait avant de pouffer un gros bruit sensément coïtal et, enfin, son air de considérer tout cela comme des enfantillages – les scènes s’écrivaient, les lieux – probablement Hagondange – prétendaient à un tout petit début de sacralisation.
Acteur de scènes érotiques, je me suis habitué également à en être le spectateur, j’ai senti l’approche d’un souffle plus puissant, quand tout quittait l’ornière des banalités et des facilités, quand la jouissance venait à nouveau du mélange des êtres.

Observer, déjà, cette femme que caresse une autre : malgré son désir de garder contenance, elle plisse les yeux, puis son visage s’exprime librement, elle perd pied, vibre, cherche une impudeur, une exposition de son désir – une mèche lui barre les yeux : fixer pour longtemps l’image de son visage entièrement occupé à engloutir une verge.
Oui mais, qui étaient ces femmes ? La distance dans laquelle je les tenais me permettait d’en faire des personnages mythologiques – juste soumis à ma soi-disant puissance.

Se détendre c’est perdre, non pas l’orientation, mais c’est ne plus se diriger : quand la fantasmatique se vide, quand le corps des femmes ne me dit plus rien, je ne suis ni désorienté, ni immobile, mais le mouvement ne répond plus à aucune tension – est- ce d’être parvenu à quelque chose déjà ? D’avoir accumulé les situations, d’en avoir observées plusieurs se déshabillant pour moi dans la même journée ou en même temps, d’avoir senti si proches ces gestes qui, quand j’étais adolescent, ne s’offraient jamais à moi si facilement alors même que j’aurais pu les chérir,

d’avoir dirigé des corps de femmes l’un vers l’autre en savourant alors le repos de leur plaisir ne niant plus mes désirs et les exacerbant, ces deux amies stupéfaites des traitements que je leur infligeai – comme s’identifiant dans un miroir en constatant tout ce que l’autre acceptait, reconnaissait immédiatement grâce à et malgré l’outrance du traitement. Et pourtant je n’avais l’impression, moi, que d’être devant le Portail.
Tenu à l’extérieur des vrais moments, où tout s’emballe.
Ma frénésie venait aussi d’une reconnaissance, je sentais des motifs, des schémas : cette nuit où Christine était attachée grand ouverte sur mon vieux lit pendant que presque sur elle je fourrageais Marie-Angèle qui, presque continûment, se tournait vers son amie pour l’embrasser. Tony, qu’elles prétendirent le lendemain n’avoir pas vu, était alors occupé à introduire en Christine d’étonnants objets de cuir noir qui la faisaient hurler de plaisir en dodelinant de la tête – pendant toute cette nuit nous entendions les meilleurs compositeurs et ils passaient sur nous comme pour nous encenser. En les reconnaissant, distribués par l’aléatoire de la radio, j’avais un cri intérieur pour Bach, pour Brahms et pour Mahler.
Leurs deux corps se déplaçaient, disponibles et désireux de continuer, à traverser l’appartement, passaient devant mes objets quotidiens, les tableaux, une bougie allumée.
L’impression d’être arrivé, d’être un arrêt de l’espace et des sociétés.
Leurs deux corps : un peu enivrée d’orgasme, Marie Angèle n’avait pas réalisé tout de suite que c’était sa petite amie qui la pénétrait de caoutchouc noir et luisant et, lorsqu’elle s’en fut aperçu, elle trouva seulement à dire :

« Je m’en fous. » en continuant à jouir.
Le début avait été vraiment rituel.
Christine et Tony ayant quitté la pièce blanche où je troussais Marie Angèle, nos quatre flûtes à champagne, vidées, par terre, autour des fauteuils.
Le fauteuil jaune dont je m’étais approché soudain, brisant la discussion trop tendue, renversant assez rapidement Marie Angèle sur le parquet et sous l’œil réjoui de son amie Christine.
Tout cela nous allumait comme, petits, une fête de Noêl.
Car très vite j’avais, en entendant dans ma chambre des bruits métalliques, interrompu la fourre classique à quoi Marie Angèle trouvait grand plaisir, et je l’avais portée, malgré ses protestations, à côté où, comme je m’en doutais, Tony l’incorrigible avait déjà attachée Christine au radiateur, habillée – lui présentant ça comme un jeu –pour nous choquer, avait-il dû dire.
En tous cas une fois Marie Angèle allongée sur mon lit je reprenais notre fourre, cette fois les yeux rivés sur ceux de Christine, et demandais à Tony qu’il la défringuât. Elle acceptait, ravie de se dire que je ne bandais dans sa ravissante et ancienne camarade, que de la voir détachée puis désapée, puis portée jusqu’au lit où Tony entreprenait, nous poussant sans vergogne, de l’attacher aux quatre pieds. C’est pratiquement sur son corps que je reprenais Marie Angèle, leurs visages se voisinant je croyais les pousser à s’embrasser et elles le faisaient avec surprise et plaisir, pendant que Tony, accroupi comme un souffleur de braises allumait la fleur trempée de Christine à l’aide de plusieurs manœuvres que je ne prenais pas le temps d’observer, heureux certainement de la plénitude qui s’offrait et me guérissait de mille et une frustrations entassées à chaque recoin des studieuses années écoulées.
Je réalisais combien j’avais eu soif d’un pareil instant, et les mouvements musicaux d’un quatuor poursuivaient leur réflexion, libéraient nos quatre esprits.
Vers quatre heures Tony repartit dans les Vosges mais passa d’abord avec moi dans son appartement citadin pour me donner des cigarettes et du chocolat.
De quoi donner un nouveau départ à la suite de ma nuit.
Quel tranquille bonheur au moment de reprendre seul mes petits escaliers de bois et de fer, de besogne petite-bourgeoise, sachant que derrière la porte, dans mon lit au sommier catastrophique, elles m’attendent toutes les deux pour reprendre cette première nuit chaude de l’année.
Aucune fatigue ne nous effleurera.

Et surtout cette nuit totale qui nous a environné.
Qui environne, comme une laque, comme un silence terrible fait de l’ensevelissement des citadins, autour de notre activité renouvelée, des péripéties de nos corps affirmés, cette nuit, comme un grand cadre de bois sombre et précieux, cerne notre sujet : le déroulement de scènes à la fois impromptues et prévisibles. Ainsi que le geste de peindre donne un résultat qui modifie par son aspect définitif le projet initial où ne se trouvait que la conscience de ce résultat sans sa matérialité, laquelle matérialité coulait sur moi pendant qu’à mes ordres s’accomplissaient, dans ce lit où nous demeurions trois, des gestes oniriques, un accord de femmes sans jalousies. Ou plutôt aux antagonismes occultés par le plaisir présent.
Tout commence à chaque fois comme un acte notarié qui nécessiterait des gestes immédiats. ( Des conditions mises à un héritage et cet héritage ne serait pas autre chose qu’une maison chérie où longtemps on a pu déambuler sans jamais savoir ce que ce serait d’en être le maître, l’occupant majeur : pour un tel héritage on serait donc prêt à tout.)

Le corps à corps rempli d’indices, de traces, une direction s’instaure presque : encore un peu et l’absurdité, le néant, vont s’effacer dans un hurlement :
-Par là ! Par là !
Etrange : les portes ne s’en refermeront jamais, le mouvement s’affirme incessant, le désir inassouvissable. Le puit, sans fond.
On comprend alors qu’il convenait d’y mettre les formes, que des dispositions précises sont prévues. Que pour poursuivre en s’accroissant il faut recourir à une sorte de géométrie.
Parfois et sans que l’on s’en fut aperçu, il se produisait un glissement dans l’ordre des gestes, le visage d’une femme était trop incantatoire, un bras qui s’étendait subitement adoptait de fastes parallélismes avec l’horizon, avec des lignes d’étoiles, avec les courbes des montagnes où se déroulait notre embryon de fête.
Je me rendais bien compte que cela développait, sinon une signification, du moins un efficace.
Certes un portail s’était ouvert.
Et de l’intérieur s’échappaient les échos d’une splendeur. Je regardais mes petites nuits mineures et à peine licencieuses et je pensais aux grandes bacchanales puis, devant la précision et le côté extrêmement structuré de ce que je pressentais, je pensais aux sabbats.
Malgré l’endormissement et la quiétude de nos rues, malgré l’inutile apparent de toutes les découvertes humaines, je pensais que là, du côté de la fuite des femmes, il y avait une course sérieuse à entreprendre qui pouvait avoir de très étonnantes conséquences, sous le simple rapport de nos idées, de nos savoirs, de nos certitudes. A priori ce que je croyais d’abord remarquer, j’avais pu tenter de le baptiser « dissonances ».
Les désirs réciproques, une fois la nuit avancée, ne s’embarrassèrent plus, chacun s’affirmait, affirmait sa puissance sur le plaisir, Christine surtout paraissait se repaître du pied incessant de son amie, elle en rajoutait à plaisir, pendant que Tony l’attachait, la déliait, lui recomposait sans cesse d’autres postures, provoquant à chaque fois chez elle un sentiment de l’extrême.
Mon plaisir, pendant que j’entendais la diffusion d’une pièce d’Alban Berg, était d’autant plus décuplé que j’avais pensé d’abord devoir passer cette soirée, seul et angoissé.
La solitude n’était pas un vain mot pour moi. Je m’étais déjà mis à table pour écrire malgré la douceur stupéfiante de cette première chaleur de printemps. Le téléphone avait sonné. Les deux femmes, pratiquement inconnues, avaient passé leur journée à l’étang, leurs voix au téléphone m’avaient paru comme un bouillonnement de la ville. Quoiqu’elles se soient déplacées toutes deux d’une pièce à l’autre sans que le jeu puisse s’arrêter, je remarquais en dehors du halo des abats jour, ce vieux miroir cerné d’un cadre noir et ouvragé, ce rectangle dans la surface dorée duquel les sursauts de Marie Angèle paraissaient plus tranquilles qu’au regard direct quand elle voyait Christine la caresser si profondément.
Autre assonance, nouvelle à ma main, apportée là par Tony, la rencontre entre une lanière de cuir et une recrudescence du plaisir, elle allongée sur le ventre et les mains liées aux chevilles, moi assis très près de son visage et jouant avec une réduction de chambrière, tressée de cuir noir : elle, le regard soudain fixé, la bouche un peu ironique, en profitant pour refuser ce que je lui demande de faire avec une intentionnalité que je crois noter, noyé de plaisirs successifs – le désir ébauché d’être contrainte, un vouloir-obéir ?j’esquisse un premier petit coup sur les fesses, et j’obtiens un refus, une dénégation de la tête, accompagné d’un pâle sourire, d’une attente blanche qui me débloque bien – je frappe jusqu’à ce qu’elle obéisse, c’est-à-dire que mes claquements vont à la précision, l’intensité, le vouloir faire mal – au lieu même de sa jouissance – qu’elle ressent comme un orgasme forcé, comme une dissolution de toutes les douleurs morales et affectives qu’elle a pu endurer ailleurs – puis cette obéissance tendre – j’étais habité par l’étonnement.

(…) Les livres ont l’air plus vieux que les tableaux, cet âge apparent c’est peut-être l’aveu de la structure qui en est responsable, cette structure de la pagination, des caractères et des blancs, on la reconnaît tout de suite et on la sait préexistante à la date d’impression.
Ainsi une bacchanale du Titien paraît avoir eu lieu cet après-midi alors que les minutes d’un procès en sorcellerie semblent appartenir à une nuit du Temps, quelque fraîcheur qu’eussent encre et papier – une odeur la nie, par l’épaisseur des textes on sent une avance précautionneuse, tissée, drue, matérielle, qui requiert, pour la naissance d’une idée, l’utilisation de caractères dont le style, la police, sont plus anciens déjà que l’auteur des lignes.
Certes tout cela s’estompe à la révélation d’actualité des idées qu’exprime la lecture, on contemple, alors, les feuilles.
Restent cependant les dizaines de millions d’autres pages qu’on n’aura pas lues, dont on ignore la langue mais que l’on sait consacrées au même sujet – comme des murailles qui ne défendent qu’elles mêmes.


Miroir des chevreuils.
-le thé marque lentement les parois de mon bol à demi vide, entre les piles de cours et les crayons éparpillés, les comptes bancaires, la grande bouteille d’encre que m’avait donné Bib il y a deux ans.

Les taches de thé sont pâles et suivent des lignes, comme des sédiments géologiques, sur ce bol blanc de faïence anglaise dont l’élégance m’est chère surtout parce qu’elle laisse la pensée monter, droit fil, symbole d’existence ressentie et savourée, alors qu’à l’époque où j’étais allé habiter à Ernolsheim, la ferme était meublée par d’autres, le village était frileux dans son matérialisme et ses enthousiasmes destructeurs de vieilles maisons respectables, il me semblait tout naturel de quitter ma table et, pour quelque grandeur d’âme, m’échapper par le dos bossu des rues vers cette première poussée, en face de la plaine, de la montagne et de la forêt que j’abordais parfois franchement de travers et à rude pente, vite soufflant sous les châtaigniers puis dans la forêt d’épicéas et de hêtres jusqu’au premier sommet et là, épuisé, victorieux dans l’anonymat et l’anachronisme, je contemplais la vallée gigantesque qu’il cachait, par derrière, je m’écroulais dans la fraîcheur tremblée des herbes d’altitude humides, je me souviens des étapes de cet enfouissement dans l’altitude, les racines auxquelles je m’agrippais par une nécessité qui me les rendait complices, puis les chevreuils qui paraissaient voler, enfin dans la vallée contemplée cet écho tonitruant du merle chanteur –hurleur devrait-on dire.

Tout en bas derrière moi il y avait le village, maisons autour de la rue principale, maisons sommées d’antennes dont en un an de résidence je n’ai connu que six intérieurs.
En choisissant ce village j’avais pensé que le voisinage des montagnes suffirait à l’élever, je croyais y retrouver la saveur que les femmes prennent quand elles vont d’une clairière à l’autre et que leurs yeux reflètent la douceur des paroxysmes, la surprise d’une certitude toujours imprévisible, celle de l’atmosphère des perspectives saisonnières où chaque demeure est un réceptacle d’heures lentes et exquises.

Je croyais renouer avec des souvenirs pareils en frappant, à la fin Juin 1979, au portail de mon futur propriétaire, Mar, et au fond, malgré toute l’ignominie qu’il ma imposé et distillé par la suite, je me rends compte que la plus splendide part villageoise je la dois bien à ces meubles entre quoi il vit et qui furent ma première impression, cadre extraordinaire du vieillard tonique et un peu rond dont l’accent rhénan semblait à l’aise dans son entassement d’armoires précieuses, de cabinets à jouer, cette statue grandeur nature de Saint Antoine qui m’avait prévenu au premier passage que malgré les bras grand ouverts dans l’entrée il ne serait pas question d’accueil tendre, d’innocence.


Aloyse aurait pu être sculpté en bois et même en pierre, gargouille dont la puissance niait le grand age par l’évidence d’une lubricité bruyante, confirmée dans ses desseins par cent réalisations déjà acquises ; Mais tout cela noyé dans le décorum du village rhénan, le seul cérémonial sérieux étant de s’asseoir devant de tristes tartes et de ronger son frein en l’écoutant susurrer des anecdotes rapidement sempiternelles.
Plus tard j’ai eu loisir de retrouver souvent la trame de son visage sur les multiples grotesques sculptés grimaçants sur les panneaux des armoires de la renaissance. Notre première rencontre m’avait rempli de jubilation car après m’avoir longtemps retenu en me forçant à consommer un clafoutis de cerises dont j’ignorais encore que ce serait un évènement bien doux que de le voir réapparaître neuf mois plus tard, Aloyse et sa seconde femme m’avaient mené, à une centaine de mètres plus loin, dans l’unique rue principale, aux chambres qu’ils me loueraient l’année durant et dont le mobilier néo-gothique, récupéré d’un ancien camérier papal, semblait dans l’ombre attendre la venue d’un hôte enfin rêveur, les bahuts, consoles et vaisselier masquant avec deux grands tableaux ( une marine, un scribe en turban) et un miroir, le papier peint fausse briques plus conforme hélas à l’esprit du village.

Ouverture chaotique de l’armoire.
Puis, avec douceur et comme si elle ne pesait rien, la porte droite tourne, sur ses gonds gris, menée par le buste de femme qui en orne la serrure.

Alors le rire, mon propre rire, celui d’être enfin soulagé de l’inquiétude : si aucun cri ne me vient à la gorge c’est que ce mouvement spontané de la portière, j’étais probablement assez fatigué pour en attendre la venue. Par l’attente de sa venue. Rire, de ne plus avoir à envisager mon dépérissement, de me sentir unifié à un autre règne – le mien, celui où la libre évolution de moi-même existe, où ce qui se manifeste autour de moi ne désigne pas ma mort mais mon apparition.
La porte s’interrompt à mi-ouverture et afin de marquer ma satisfaction je porte à hauteur d’yeux mon verre de bourgogne. C’est un air d’une autre qualité qui rejoint mes lèvres, une atmosphère pour les yeux, une respiration pour la pensée où il n’est plus question d’êtres disparus mais où tous se tiennent vivants prêts à l’approche, amènes, tendres, les œuvres ne gisent plus sans leurs créateurs – et les œuvres jusqu’à la préhistoire reculée.
Les deux visages cariatides de la porte tournée ne voient pas mon verre levé, à présent ils regardent ailleurs et je les vois presque complètement de profil.
Sur chaque plateau de l’armoire se trouvent serrées l’une derrière l’autre deux rangées de livres, vieux pour la majorité de plus de deux siècles – la flamme de la bougie souligne la complexité de leurs dorures, fait luire aussi les simples peaux de truie, atténue l’importance des différences de format – et marque bien la profondeur des plateaux en n’atteignant pas les planches du fond – cette porte une fois ouverte il me paraît qu’en fait derrière moi un battant extrêmement protecteur vient de se clore – et tout de suite j’y crois.
J’y crois, que majestueusement la portière en bois massive viendrait de s’ouvrir, sans l’intervention du moindre coup de vent. Vivante.
Je regarde mon corps, ma peau de jeune mec qui ne perdra dorénavant pas en douceur – et mon rire, mon propre rire, éclate, explose, me secoue comme des sanglots.
Un signe, donc ! Un signe qui m’interpelle depuis moi-même et garantit mon existence, sa qualité, qui s ‘aperçoit de moi, justifie mes mesures et aussi, cette dimension qui me sépare de l’infini, celle de mes métamorphoses successives et de leur terme.
J’enfourche cette temporalité nouvellement sacrée, j’enfourche mes instants et je suis étonné de la solidité que l’ouverture subite de la portière de l’armoire leur reconnaît – et je ris d’être confirmé par un signe, moi qui m’étais toujours refusé à voir, dans l’armoire sculptée et ses cargaisons de livres, des symboles mais bien, justement, des signes. Même dans l’étonnant et large traité d’alchimie où les rares planches truffées de symboles ne me faisaient réellement plaisir que parce que, derrière le roi symbolique, apparaissaient de douces montagnes dont je savais bien, vu le lieu d’impression du livre, qu’elles étaient ou Vosges, ou Schwartzwald. Plaisir encore parce que lesdits roi et reine, tout symboles alchimiques qu’ils se prétendissent, se retrouveraient couchés, une centaine de pages plus loin, l’un sur l’autre, signalant par leur pose moult sentiment du graveur.
Et ainsi lorsque je traverse les châteaux détruits du milieu des bois puis-je sentir fort proches de moi les sensations de leurs anciens habitants, ces hommes dont l’encre au cœur des livres est encore fraîche comme au sortir de la presse. La blancheur du papier, elle aussi, me bouleverse quelquefois et je tourne les feuillets, sans savoir traduire les caractères grecs, hébraïques, gothiques, sans parvenir à plus que la reconnaissance de quelques mots dans les textes latins et allemands, mais rempli de reconnaissance par la consultation de milliers de pages – le français surgit quelquefois et tout devient encore plus simple, le prénom du petit Jean qu’on interroge longtemps et qui raconte devant son juge idiot et sous les stimulations débiles d’un bourreau, tout ce qu’on veut lui entendre dire des sabbats, des postures qu’y adopterait l’officiant, de la noirceur des hosties diaboliques – je vois se dérouler ces onirismes anciens, ce signes d’antiques frustrations qui menèrent mille et mille femmes aux bûchers de la phallocratie chrétienne.
Et quand je ressens le rire des trois esprits majeurs de l’armoire, j’ai l’impression qu’avec leurs trois hautes colonnes c’est moi qu’ils encadrent.
A eux trois ils complètent les quatre visages plus petits des torsades, ils font ainsi sept.
En signe des sept planètes, certainement. Des sept barreaux de l’échelle initiatique des chamans, qui d’une planète l’autre, devait mener au ciel des étoiles invariables.

Rire céleste, mais au sens propre du terme, rire surhumain.
Soudain et affreusement on réaliserait, au moment où l’on se serait éloigné de chez soi… Bûcheron, par exemple, si l’on s’était réfugié près d’une clairière ancienne afin de manger le soir, on entendrait subitement vrombir au dessus de soi.
Peut-être, pour appréhender l’idée même des maléfices, se contenterait-on de voir passer, pesamment la bulle hérissée d’armes d’un hélicoptère militaire ?
Qui parlerait mieux à nos esprits immédiats.

Si nous avions été plus subtils, plus envolés, nous attendrions au contraire des images du répertoire de l’impossible.
Un cri, humain,jailli d’au dessus des feuillages, un hurlement strident qui franchirait la clairière, serait immédiatement suivi d’un bruit de galop.
Là-haut. Dans la nuit naissante, où l’étoile la plus brillante est encore à peine manifestée.
Rire céleste ( l’armoire a-t-elle cette réputation parmi les ésotéristes ?)
Je sais qu’un rire énorme m’entoure, me donne l’illusion de flotter et se dédouble dans le flux des chambres successives de mon rêve.
Sa joie me paraîtrait pour un peu le responsable des postures dérisoires que je me vois adopter.
Des milliers de fois mille fois millénaires, les conséquences d’un passé inconnu sont notées en moi, plus tranquillement que dans un livre, plus à l’abri que dans un souterrain, les yeux clos je feins les dénombrer.
Croyant consulter mes mondes antérieurs je m’aperçois bien que c’est moi, qu’on feuillette. Je me sens agi par des expressions inlocalisables, sans étymologie possible, composite d’un moi-même qui a été diffracté d’une hérédité sans faille.

La nuit est sans lune, les lisières noires. Aucun reflet sur l’armoire, hormis la flamme du cierge.
Les sentiers, on le devine, se perdent au dehors entre les troncs massifs – avant de m’endormir j’ai bu un verre de Chambolle dont les parfums se sont rajoutés à l’emprise énorme et redoublée de ceux des forêts et de ceux de la demeure.
Mar aurait conseillé de se méfier. Qu’on évite de se retrouver expulsé vers d’infernales douleurs, vers des sensations inhumaines.
Il n’aurait, quant à lui, pas osé boire un verre en un tel moment.
Il ne serait jamais venu ici non plus : avec cette haine pour les héros qui lui avait fait accepter de gérer l’usine de gelée alimentaire, à Metz, sous l’occupation allemande : il m’aurait suggéré d’abandonner toute démarche prétendument individualiste :
-« Mettez vous dans une baignoire, sur le fentre. Plantez fous un cikarre tans le cul. Fous aurez l’air d’un sous-marin. »
N’aurait pas retiré de jouissance par l’organisation des forêts, des coulées subites d’odeurs, ni de l’ordre qui régit la salle où je suis endormi, des sept têtes souriantes ou des onze colonnes en bois veiné.
Face à cette abstraction, il eût plongé sa tête dans le sable.
Au dehors de mon sommeil une aube nocturne s’élève, mêle son plomb dorénavant à la transparence de l’air, et des arbres étendus omniprésents (comme des bancs de nuages) sur l’autre versant de la vallée que commande une grande baie par où la lune, ayant juste dépassé d’irrégulières cimes de sapins, frappe mes paupières fermées.
Ma tête bien tenue au dossier de velours.

Je sais qu’un rire énorme m’entoure.

La lanterne lunaire transforme toute la perspective en le parc festif d’un château, dédie des lisières demeurées obscures à des amours phénoménales.
Sa lueur touche par auréoles irrégulières la cire de l’armoire close qui s’est transmuée en le manteau d’un personnage terriblement attentif, immobile, que cette apparition de la joie rend extrêmement sérieux.

L’ondulation du rire muet que fait claquer la lune à l’intérieur de la grande pièce, convoque le passé réel des lieux, dans toute son échelle.
Sous ce rire chaque partie de mon corps se souvient. Qu’elle fut autre. Animal, élément, tout un code écrit en rouleaux entre en phase avec ces ondulations joyeuses, au dehors de moi, et n’a besoin ni de mon éveil, ni de ma conscience pour sentir.
Des milliers de fois mille fois … à dormir devant cette armoire emplie de l’odeur des livres consacrés à Satan, au Dionysos malmené par les chrétiens, dont les cornes caprines et enchanteresses ont dû se soumettre aux imprécations des inquisiteurs et devenir les signes du Mal… A laisser mon front proche des trois têtes qui soutiennent les trois principales colonnes – fuselées celles-là – en pressentant qu’à avoir bu tout mon saoul, tout ce code génétique d’acides aminés et de bases, réalise peut-être combien je donne une finalité à son trajet caché, discret, qui me relie à des sphères assurément inconnues, ce texte, ce code peut-être le plus ésotérique, mis en mouvement par cette nuit qui n’est pas même un point, baigné simplement du rire lunaire.

Le rire – on peut faire courir en ronde tous les personnages – symboles de la vie de Mar et leur opposer des personnages plus analysés, par exemple ceux qui m’entourent, et que je tente de ramener à ce qu’ils signifient – le rire devient alors un rire de contentement
Mais il y a aussi la matière laiteuse, l’opale du matin, une félicité qui va de chambre en chambre – qui flotte sur le petit déjeuner et l’instant de la promenade-
Au lieu de la promenade en forêt, je peux en faire une dans les livres, ouvrir l’armoire.
Et si c’étaient des éclaboussures de lune sur un silence gigantesque et crispé autour de lui-même ?
Un réveil, donc – et un livre qui tomberait au sol. Théâtralement, l’armoire se serait ouverte
Au dehors de mon sommeil une aube lente s’élève, mêle son plomb à la pâte rouge et révèle la transparence de l’air, des arbres étendus omniprésents comme des bancs de nuages sur l’autre versant de la vallée que surplombe la grande fenêtre par où le soleil, ayant juste dépassé ces cimes irrégulières de sapins, frappe mes paupières fermées, ma tête bien appuyée au dossier de velours.
Je suis un étranger dans ces pièces que la maison protège à flanc de montagne : cependant je les connais depuis une dizaine d’années, leur propriétaire a changé entre temps, sans toucher à la disposition intérieure ou si peu, ainsi de ce cierge qui a bien dû, quoique je n’en eusse prévenu personne, être laissé là pour la venue de quelqu’un qui saurait.

Il est identique à ceux qu’utilisait Philippe Schwoerer de son vivant, la réserve en a été renouvelée par l’héritier.
Nous avons essayé plusieurs fois d’invoquer Philippe, soit dans le sérieux d’une solitude, soit dans la naïveté dune réunion de nos pensées, sans émoi devant la persistance du mutisme, de l’abandon, du vide – sans croire vraiment à l’absence du passé pourtant.
…peut-être soulagé de ne pas le voir réapparaître – et le silence renforcé par le murmure presque inaudible des torrents, par le chemin que se fraient les sangliers en forêt et qui rendrait un tel évènement spectral, ténu, presque plausible.

LE PASSÉ-REVENU, grammaire infernale.

Car il faudrait alors se payer l’horreur de contempler un « passé revenu », un Philippe qui pendant toute cette mort n’avait rien eu le temps d’apprendre, quant à la métamorphose du vivant. Revenir en arrière serait au Monde extrêmement fastidieux, par l’infinité d’horloge à rebrousser.
… Par ici les balcons d’un vieil empire dominent en lui tournant le dos le plateau lorrain.

J’ignore quand la langue a pris sa forme actuelle.

Aux chapiteaux d’anciens cloîtres je vois des physionomies radicalement différentes des actuelles, presque mongoles. Quant à l’érotisme des grandes femelles drapées aux sculptures des portails gothiques, il a quelque chose de slave, dans leurs yeux rien qu’à demi bridés !
Cependant toujours a dû courir ici l’idiome comme le ruisseau dont la résonance atteint les chambres depuis les vallées boisées.
Peut-être le Rhin a-t-il charrié des alluvions de paroles. Des vapeurs que l’on a crues mortelles, entreposées plus tard chez les commerçants dans ces armoires lourdes dont les colonnes torsadées exprimaient une ascension trépidante, lente certes mais qui s’espérait définitive.
Sur chaque aspérité des panneaux mobiles et des côtés fixes de l’armoire, têtes gutturalement ouvertes, des yeux forestiers phosphorescents de nuit, des silhouettes diaboliques – une profusion de ces signes de paroles, expressions dorées que majore la gigantesque flamme du cierge.
Malgré les efforts d’un office national forestier latin, les essences vosgiennes demeurent résineuses et quoiqu’on puisse en tenir pour la sublime légèreté des essences de lumière, c’est encore le règne vaste et protecteur, philosophiquement sage, des épicéas, des sapins, au pied desquels les blocs de pierre rouge se taisent toujours – comme autrefois – sous l’ombre courent des mystères de longue haleine.

Ces secrets ne font nul détour, tendus vers l’expression de leurs conséquences, les aboutissements théoriques d’un empire où la lune, tant sont par les terres germaines puissantes les nuits, la lune est virile ( DER Mond )
Ultime avancée mais magistrale, de l’Europe Centrale, elle se tourne vers son origine plus loin que la plaine rhénane, (noyée pour l’heure d’industries superficielles, qui déroutent les esprits les plus fragiles mais disparaîtront de leurs propres toxiques).

Malgré cette orientation fluviatile du « Rhéos », viennent parfois de marches plus occidentales encore des visages lunaires, français de Vieille France, qui avaient oublié l’opposition autoritaire des sommets vosgiens et les trouvent spontanément à l’exacte mesure de leur corps en goguette : ceux là s’étonneront de trouver ci des forêts carolingiennes, où telle façon, pesante, du parler français, ne soit pas rebutée par des bois au sein desquels l’impossible mélange du lourd et de la grâce est tellement habituel.

A force de penser aux vibrations, on en trouverait jusque dans l’objet le plus stable.

Ma paume un peu crispée sur l’accoudoir a-t-elle invoqué Aloyse ?

Est-ce que son visage ressemblait trop à celui des grimaçants de l’armoire ? Sa maison au pied du Windsberg était close aussi, sans que les serrures y eussent tenu telle proportion qu’en l’armoire.

Le ciel souvent gris, peut-être, du même gris que l’étain argenté, jouait-il aussi le rôle d’une rassurante fermeture.
En descendant du sommet de la montagne derrière Ernol, on saisissait l’indistinction des toitures, des tuiles sombres et du mouvement serpentin des faîtes vus d’en haut. Comme autant de vieux volumes reliés de peaux inconnues. Dont les pages, même parcourues, même scrutées à la loupe, même découvertes en un magnifique état de conservation qu’aurait autorisé la qualité d’imprimerie, le papier, resteraient pour l’éternité indéchiffrables.
Ainsi la petite ferme en longueur d’Aloyse, large sur la rue de deux ou trois fenêtres à peine, renfermant une quinzaine de meubles répertoriés aux inventaires nationaux, laisse croire au moment où s’ouvre la porte sur l’obscur brutal, à l’accueil d’un Saint Antoine polychrome aux bras grand ouverts – indéchiffrable en réalité – richesse factice et réelle promesse de ruine à celui qui viendrait là pour emprunter. Indéchiffrable.

Mes archétypes s’ils existent, sont anachroniques, désamorcés par la foule nouvelle, par la joie des bistrots où seule la machine à pression pour la bière fabrique les chimères. Cette vieillerie ne fait pas le bruit d’un canon, ça grésille, pianote comme un crachin à la superficie des dialectiques sérieuses – se taire, pour fuir le simplisme de ces vibrations érotiques surannées que tout de mon désir de joies nouvelles, refuse.


12 Septembre 2005. Le village d’Ernolsheim apparaît quelquefois par la fenêtre de ma voiture, lorsqu’une ou deux fois par an je vais voir l’abbatiale de Neuwiller.

Quant à la matière en soi du vieux Mar, elle vient de faire résurgence : deux lettres m’ont surpris, difficiles à décrypter du fait de la maladie de Parkinson de leur auteur.

Elles arrivaient d’une maison de retraite inconnue, dans le nord des Vosges : « L’asile du Neuenberg ».
Elles étaient de la seconde femme de Monsieur Mar, Marlyse, celle qui époussetait si bien les meubles. En les déchiffrant, j’ai découvert, sous l’opacité de la dysgraphie, une pensée alerte.
En réalité un de mes confrères médecins, rencontré à un stage de formation continue, lui avait parlé de moi, lui avait dit que j’écrivais et disposais d’un texte sur son mari.
Mi contente, mi inquiète à l’idée qu’on parle du défunt, tout de même ancien collaborateur de l’armée allemande, elle me rappelle dans sa première lettre le tribut terrible payé par les allemands ( l’Alsace était annexée à l’Allemagne pendant la guerre) à l’élection d’Hitler.
Et je sais, en 2005, ayant quand même un peu mûri et appris, combien le nord de l’Alsace, d’où elle est originaire, avait été sensible aux sirènes du folklore aryaniste et combien il est aujourd’hui effrayé par l’immigration. En voyant la lettre de la seconde Madame Mar, je ne suis plus l’étudiant nez au vent, francophone ignorant de la force des guerres ethniques ou sociologiques, croyant encore que la qualité des individus les souderait en une communauté d’idéaux, et qu’elle ne les éclaterait pas au contraire en mille factions soumises à l’abjection suicidaire d’une lutte à mort.

Par exemple la mort de tous les morts sur quoi se sont fondés les deuils des années de jeunesse de cette Madame Mar. Mais bah ! Le temps qui vient de s’écouler, les années soixante dix tout entières ont été occises, et les quatre-vingt ! …

Tous les contemporains de Mar ont disparus, absorbés par le fleuve impitoyable de cette usure qui n’est pas prêteuse.
Les adolescents ont adopté depuis déjà dix ans les piercings de nombril, de langue, de lèvre, de nez, de nuque, les petites bourgades entourant Ernolsheim sont des lieux où circulent les dealers.
Comme il y a maintenant le « web », en retrouvant le cahier avec les notations accumulées sur Monsieur Mar et cette impression de le retrouver que me donnent les grotesques sculptés aux armoires Renaissante du musée de l’œuvre Notre Dame, j’ai voulu en savoir plus sur son usine, à Chatel Saint Germain, ou à Montigny lès Metz, et dont il aurait sous l’annexion assuré la gestion, y faisant de la gelée.
Je me suis évidemment demandé si c’était bien des cadavres d’animaux qu’on lui livrait pour en faire le broyage !
Depuis ma rencontre avec Mar, j’en ai croisé, des témoins d’apocalypse !
Par exemple le rwandais qui a fait l’école de journalisme à Strasbourg et qui, de passage après le génocide pour un stage d’été aux droits de l’homme, m’avait –tiens, lui aussi ! – raconté moult anecdote lubrique sur la sexualité, qu’il trouvait raffinée, du Rwanda.
Pendant que j’écris l’abandon du sous prolétariat de la Nouvelle Orléans sous les eaux du Mississipi dévasté par l’ouragan Katrina, entre en résonance avec la façon dont, depuis cinq ans que la planète est en guerre larvée, les spéculateurs du monde développé abandonnent les prolétaires en spéculant sur leur besoin de première nécessité : le logement, le pétrole, la nourriture.

Monsieur Mar certes, je m’en souviens, s’émerveillait de tous les tickets alimentaires dont il disposait à profusion, lors de l’annexion. B.O.F. : Beurre œuf fromage.


La lettre de Marlyse, du Trois Mai Deux Mil Cinq.
Cher Monsiieur Pfersdorff
Merci Monsieur Pfersdorff de votre gentille lettre qui m’apprends des choses que je ne savais pas…
La maison où vous étiez était ma maison paternelle où j’ai passé mon enfance avec un frère jumeau et une sœur après l’école primaire on allait en classe à Saverne au cours complémentaire mon frère y travaillait pour accéder à l’école normale ce qu’il a réussi bien avant son âge lequel il était le plus jeune de toute la classe et bien en avance sur les autres il adorait d’étudier dès son plus jeune âge il était toujours dans les livres et quand l’école normale de Strasbourg a été évacuée à Cap Breton en 39 il était avec. Nous on était occuper des allemans donc on avait pas moyen de l’avertir du danger qu’il courait en revenant chez nous et il est revenu avec le dernier train des réfugiés qui revenaient en alsace on ne pouvait pas l’avertir ni par courrier ni lui envoyé de l’argent et ceci était sa perte
Il a été enrôlé de force par les allemant et il a été tué le 1er Mars 1945 à l’âge de 20 ans comme 12 jeunes gens de Ernolsheim
Ma vie de jeune fille se déroulait en deuil ;
En Juillet 1950 on a inauguré le monument aux morts et le soir ma mère a fait une hémiplégie paralysante ce qui la tenue 4 années au lit le 12 Juillet c’était .
A Pacques elle est décédée en 1954 et mon père est mort trois mois après elle d’un blocage des reins c’est cela qui a été ma jeunesse rien que des deuils
Après je me suis engagée comme garde de nuit à l’hôpital de Saverne comme l’école des infirmières n’existait encore pas à Saverne et que j’aurai du me déplacer tous les jours sur Strasbourg j’ai fais l’aide soignante et j’ai travaillé comme garde de nuit pendant 15 ans en chirurgie générale en réanimation et en salle d’opération on était une équipe à part et c’est moi qui avait les clefs des toxiques en poche cela m’a beaucoup plue et les années ont passés toujours sous une grande responsabilité qui m’incompait après j’ai fait votre connaissance etc Maintenant k’ai le problème de Parquinson ce qui m’handicape et ù’empêche de fonctionner normalement de fonctionner normalement pour écrire pour marcher et toutes veillez excuser mon écriture
Cordialement
A vous Mar Marlyse


Lettre du 11 Juin 2005 ( extraits)
la première femme de Monsieur Mar était née Claus (…) son père travaillait comme huissier et logeait à Metz (…) venait voir ses parents deux fois par an à Ernolsheim (…) puisque en ce temps là leur usine n’était pas bombardée et démolie ils avaient une usine de filature et tissage qui employait dans les 600 ouvriers avec une belle maison de maître à côté de l’usine alors comme l’usine a été bombardée par les allemands et eux les propriétaires ont dû fuir comme tous les ouvriers et les allemands ont confisqué leur usine. (…) pour y faire une usine d’alimentation les machines de tissage étaient enlevées les allemands occupaient la maison de Monsieur Mar n’avait même plus le droit d’y rentrer dans la maison ils ont encaissés les dommages de guerre ont vendu l’usine et la maison et les meubles de valeur qui y sont restés ils les ont logés chez Kintz Louis en location . C’est aussi simple que cela et comme Monsieur Mar ne savait plus où se loger il est resté dans son usine comme gérant pour un peu surveiller les toitures et tout étaient en ruine donc la reconstruction … M et Mme Mar sont pour de bon à Ernolsheim
(…) ils ont vendus leur propriété à Metz ou ce qui en restait en dommages de guerre.
Alors ils ont repeint leur maison à Ernolsheim en rajoutant les balcons en faisant dégager les poutres c’est eux qui ont mis les balcons et construit une serre dans le jardin comme Mme Mar adorait les fleurs je lui aidait pour les plantations moyennant monnaie après la guerre la vie set devenue chère et ils ont donc payé (…) pour remettre cette maison en état Mme sa mère est décédée et son père aussi ils sont enterrés à Ernolsheim tout comme m et Mme Mar
( note en marge ) Je voulais seulement vous dire que les gens sont jaloux alors ils cherchent et ils cherchent par tous les moyens de s’introduire meme par les toits
!22 s. Eux qui avaient un camion qui fonctionnait au Gaz oil ils ont ramenez tous leurs meubles et belles choses qu’ils avaient dans leur maison en location la première ferme quand onr entre à Ernolsheim (..) ce n’était pas de tout repos il fallait faire la navette entre Metz et ils passaient par Drulingen et les petites routes pour échapper aux troupes allemandes qui eux sillonnaient (…) c’était une énorme débâcle (…) Monsieur Mar a vendu la caravane et l’Austin au garagiste de Dossenheim… pendant les vacances les Mar avaient la gentillesse de m’emmener avec eux cela me faisait des vacances formidables (…) et la caravane et l’Austin 13 chevaux (…) et comme j’avais les dépendances chez moi c’était pratique (…)les gens d’Ernolsheim s’imaginaient que Monsieur Mar était inactif il travaillait (illisible) avec un collègue ensemble comme représentant toujours dans son métier jusqu’à sa retraite qui n’était pas énorme il cotisait pour leurs 600 ouvriers mais pas pour lui donc
(…) alors le malheur voulait que Mme Mar est tombée malade(…) et elle a encore vécu trois ans (…) et elle est décédée en 1964 et nous nous sommes mariés en 1970 on a encore eu 20 ans ensemble et de belles années mon mari est décédé il avait 90 ans (…) alors en résumé M et Mme Mar avaient perdu tous leurs biens à Metz l’usine existe toujours à Chatel et ( illisible) près Metz je ne sais pas ce qu’on y fabrique j’ai héritait de la maison Mar et Monsieur Mar 8000o f aux impôts(…) j’ai donc
travaillé à Saverne pendant quinze ans à l’hôpital pour subvenir à nos besoins et comme je plantait les légumes et que je cueillait les fruits cerises pommes poires fraises framboises j’allait en forêt chercher des myrtilles je cuisait mes confitures moi même et comme on avait une cave très climatisée parce que assez profonde mes pommes se conservaient jusqu’à la saison suivante prunes et tout ce que l’on a de frais à cueillir et à rentrer comme j’avais des raisins à Monswiller on allait en chercher pour en faire des jus de fruit les arbres étaient à moi ma sœur a hérité les prés et les champs donc on avait suffisamment de produits pour se nourrir on se débrouillait bien pour vivre aisément (…)


BRIBES.
Ce n’est absolument pas un oubli de l’au-dehors, mais au contraire un effet de sa puissance : le souvenir de tous ces chemins.
Où je ne me suis presque jamais engagé en promeneur mais en bête. Mû pas l’inquiétude.
Forêts inquiètes.
J’ai immédiatement, dès les premières visites, été obligé de voir ce que le dédale propose, tour à tour rempli d’une bénignité aérienne ou des pires imprécations de l’aube (gris de chine, quand la lumière épuisée des fins d’hiver décourage les fanfarons ).
Je n’y ai jamais été pour rien, par inaction. Il se passait toujours quelque chose. Longtemps d’abord la forêt des grands sapins, je l’ai traversée sans trouver de murs pour y demeurer. J’ai dormi une fois sous des tôles renversées, sous le perron de fermes closes.
Puis plusieurs années après une ferme s’est offerte en modifiant la signification des forêts alentour, des perspectives.
Puis il y a eu encore d’autres murs. Chaque fois, au moment de m’approcher des fenêtres, pour constater que derrière se trouvent les clairières, les fruitiers et la saison, les étendues noires ou vertes, les lignes chevauchantes des sommets – mon cœur est serré – mais si je reprends les sentiers, l’absence des sentiers, la déambulation entre les troncs énormes, éparpillés, les froissement des ronces, l’eau qui s’infiltre depuis les fougères trempées, l’éclat des animaux terrés qui s’échappent subitement, la nuit qui tombe et demeure si longtemps, qui réveille les majeures odeurs – la nuit qui reste, la nuit qui me retrouve – avec l’ossature des arbres rendus à leur essence libre – loin des projets humains – des arbres-arbres.
La fatigue, la sensation d’existence invisibles, le sensation en elle-même, innommée, qui fait tourner la tête, avec le désir de sentir mieux et l’oubli rapide de ce qui a été senti – ni bruit ni forme, un désir plus qu’un sentiment réel, un état de l’être plus qu’un aboutissement de l’attention, et de cet état, obtenu grâce aux odeurs des sous- bois, des chaumes, du ruisseau qui gicle sur les rochers, la possibilité d’un mouvement autre s’énonce, libératrice. Accroissante… De temps en temps je me lève et m’éloigne vers les fenêtres en laissant une porte entrebâillée sur les reliures de l’armoire, je traverse le reflet que fait la bougie sur les vitres irrégulières pour observer, sous les étoiles, les lisières.
Autant de silence, en ai-je jamais contemplé tant ?
C’est possible de sortir, marcher jusqu’aux pentes d’arbres et de pierres erratiques amoncelées sous les branches qui sont recouvertes de cent espèces de mousses et dont la légende est galvaudée moellons éboulés du Pont que préparaient une Nuit les sorcières, éboulé sous le choc d’un premier rayon solaire, le travail n’étant pas achevé à temps. L’eût-t-il été, union des sommets accomplie, de quelle domination se seraient-elles prévalues ? (Travaux nocturnes de leurs désirables corps ensorcelés, regard sur elles de l’homme du Noir, incessamment sexué et bachique ? Cette année le mois d’Octobre a été chaud comme jamais, c’est-à- dire qu’il y a eu une saison intermédiaire, un longs temps de douceur – qui les aurait menées vers la clairière – qui leur aurait prescrit d’abord de danser – des retrouvailles avec l’Attention – qui aurait eu la force de faire tourner autour de lui les femmes du village d’en bas, laissant leurs corps à des gestes irrévocablement convoqués par les branchages en leurs formes, par les mousses en leur suavité, par le nu des troncs.)

Ce septembre 2008 je croise par les forêts et les bruyères le merveilleux Docteur Kempf, il est porteur d’oracle foudroyant : Madame Mar me dit-il, qu’il voyait atteinte d’une quasi paralysie parkinsonienne, mais ayant toute sa tête, s’est pendue par accident, en glissant, il y a quelques mois, dans les barreaux de lit destinés à la protéger, en sa maison de retraite du Liebfrauenberg.

CE SEPTEMBRE 2022 : je vais a un vide grenier a Ernolsheim..

Ne trouvant pas la tombe d’Aloyse Mar dans le cimetière de ce village où d’ailleurs je n’arrive plus a reconnaitre sa maison et où le meublé qu’il m’avait loué est devenu un restaurant, je me jette sur le net en rentrant a la maison. Je type  »Aloyse Mar ». Et tout d’un coup, quarante et un ans après , je réalise comme il a dû me haïr et rire de ma connerie, comme les femmes rencontrées pendant mon séjour dans ce village ont dû être stupéfiées de mon ignorance à l’endroit de leur réalité.

L’Hôtel du Rhin

Ce n’est pas l’exceptionnel qui me surprendrait par son évocation, parce que les journaux le relatent sans discontinuer; ce serait bien plutôt qu’il me touche personnellement, que je découvre la carte au trésor, les indications qui manquent, un flacon d’immortalité.

Certains d’ailleurs ont réussi à opter définitivement pour l’exceptionnel, sont allés vivre dans le sublime, paysages de chartreuse, palais à Venise, et ils sont là, satisfaits au sens de la plénitude, je crois que vraiment l’exceptionnel ne les surprendrait pas non plus par son évocation.

A propos…

À propos de La Soublime Enquête…

Comme tous les enfants gâtés, la proximité des adultes m’a longtemps paru suffisante à l’acquisition de leur pouvoir. Ce goût de la sidération n’est-il pas a la source de toutes les grandes extases. La paralysie m’a saisi et, avec elle, le goût d’une odyssée.

En résumé…

La Soublime enquête, comme son nom l’indique, se moque du polar — car ce texte n’en est pas un — et en même temps, dès le début, dans une villégiature où vraiment ce serait bien d’avoir un chalet, voire une simple chambre d’hôtel, se moque un peu du sublime. C’est que le flic, je veux dire mon représentant au fil du fleuve de mon encre (fleuve.: l’enquête sera longue, et je la relirai souvent, rêvant que le lecteur aussi s’y baigne), le flic doit travailler, doit payer, doit obéir…

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