Se mettre en scène en écrivant des romans ou en filmant des fictions … ou bien faire des docus ? (. Comme on passe en été le torrent sans danger, Qui soulait en hiver être roi de la plaine, Et ravir par les champs d’une fuite hautaine L’espoir du laboureur et l’espoir du berger. …. Ainsi ceux qui jadis soulaient, à tête basse,Du triomphe romain la gloire accompagner, Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace, Et osent les vaincus les vainqueurs dédaigner )(Joaquim Du Bellay)
Toiser, mesurer le monde par l’effort documentaire, sans oublier que c’est par nos intérieures fictions qu’on le métamorphose, qu’on le métamorphosera, qu’on sera animé par le désir de tenter de le métamorphoser, miette à miette, pas à pas, sujet après sujet, un huit milliardième de l’humanité après l’autre.
En allemand on ne dit pas observatoire mais Sternwart, observation des étoiles, on précise « les étoiles». Ça met l’accent sur le détail observé plus que sur le geste de l’acteur observant, l’astronome.
Observer avec précision la réalité, sans vouloir la précéder de notre imaginaire si structurellement narcissique, c’est à dire sans mettre au premier plan ce qu’on voudrait faire de cette réalité, sans oublier de détailler les étoiles du ciel.
Moi qui aurais tendance à être dans la lune, ça me frappe au moment de revenir vers l’Observatoire de Strasbourg, ici, après quelques jours et quelques nuits dans une petite maison. (là-bas, ailleurs, en Charente maritime et ça n’y parle pas allemand comme ici) Là-bas j’ai eu le sentiment un peu exaltant d’être plus proche des étoiles que jamais. Et je crois que c’était simplement parce que les murs des pièces de cette maison en étaient restés intouchés, depuis les années voisinant celle de ma naissance.
Je ne veux pas dire qu’ils étaient plus anciens que ceux des maisons voisines dans ce hameau minuscule et silencieux, mais leur surface continuait de laisser s’y marquer crânement l’usure. La patine des vieux revêtements, jamais rafraîchis, jamais repeints, y trône de ses mille variations.
La mode qu’on avait, dans les années cinquante, d’employer dans les demeures agricoles (là, charentaise) des peintures un peu luisantes, laquées, apparaît du coup aujourd’hui dans une splendeur comparable à celle d’un texte japonais célèbre, qui exalte la beauté de l’Ombre ( Éloge de l’Ombre, de Junichiro Tanizaki)
Et les circuits électriques tout simples, la présence de pierres à eau plutôt que d’éviers en inox, de bûches à mettre dans les foyers pour chauffer seulement autour de l’âtre, les lits bien froids où rentrer avec une bouillotte, me parlent a l’âme comme sa douce langue natale.
Sans parler des tinettes extérieures, celles-là exactement dont tous les alsaciens réfugiés en 1940 dans le Sud Ouest de la France me rapportaient l’inconfort qu’ils y avaient enduré, quand quarante ans plus tard, dans les années quatre vingt, je commençais à être en état de les interroger sur leurs souvenirs de la guerre. Quarante ans plus quarante ans font aujourd’hui. Un calendrier qui me dépasse largement, au moment où je rejoins l’écurie.
comme si quelqu’un aujourd’hui me demandait ce que ça me fait de retrouver, sur la porte de la grange de cette maison, ma date de naissance et l’année de mes huit ans (alors que chaque été j’allais voir les nombreux paysans encore nécessaires aux champs en Savoie) notées à côté de « moissons »
En les murs reliquaires ce ne sont pas os que j’observais, mais proximité des étoiles, et la perception, comme un grand muscle respiratoire en mouvement tout autour de nous, de cette expansion de l’univers depuis quatorze milliards d’années (un peu moins) et depuis que tous les protons de notre matière tenaient dans un dé à coudre si j’ai bien compris.
Se réveiller parfois au milieu de la nuit et sortir en oubliant les chaussures dans la nuit noire en entendant les bruits lointains des bêtes, c’était une façon de songer encore à ceux qui organisèrent cette maison, de mesurer la réponse perpétuelle que demandait leur environnement : des bras, tout un monde capable de panser les bœufs et les chevaux, faucher, battre et faner, charruer : je soulève une vieille toile et dessous : le soc.
Avant de repartir de l’Ouest français, j’ai bien détaillé, dans la banlieue de Bordeaux, dans les énormes lieux de vente de produits domestiques Ikea, les origines des draps vietnamiens, des rideaux de bains pakistanais, des cotonnades Chinoises. Puis, avant d’aller au lit, après avoir traversé la France en avion, j’ai regardé un bref documentaire sur l’hyper-consommation de tomates élevées sous serres, hors-sol, par les européens d’aujourd’hui. La convocation pour ces cultures, de travailleurs sous-payés, sans papiers. L’emploi, pour leur transport vers nos non gourmandises pour ces non tomates sans goût, de chauffeurs routiers exploités et convoqués depuis les franges sans salaires minimaux, de l’Europe.
Ça a précisé le malaise ressenti le matin quand j’imaginais dans la banlieue nord de Bordeaux les modes de fabrication et de transport des tissus Ikea par l’hyperorganisation à main des hyperavides. L’avion m’a moins rapproché des étoiles que la maison du hameau, moins que le docu sur les tomates et les esclaves dont elles convoquent les camions pour livrer les tomates à ceux qui, comme moi, adorent en rajouter dans le frigidaire même l’hiver. Le docu s’est avéré aussi vrai que la vieille maison dans le hameau.
Devant l’origine des textiles dans les grands entrepôts du magasin scandinave je tentais de me représenter l’envers de ce presse-orange et que j’étais moi l’orange. Mais c’est en voyant, une fois rentré à Strasbourg, ce docu de cinq minutes sur les tomates dont notre fille proposait que nous en prenions connaissance immédiatement – que je comprenais clairement le lien des tomates cultivées hors sol, avec les circulations du pouvoir. Élire les tomates, conclusion du documentaire.
Et aussitôt la question de la circulation du pouvoir, toujours la même depuis que les fermes ont été vidées de leurs occupants par l’invention des machines et que les paysans soudain inutiles avaient du aller grossir d’abord les rangs d’ouvriers sous payés, puis ceux de la précarité urbaine, en venant de pays de plus en plus lointain grossir la grisaille sans étoile du panorama des lieux du ban.
Médée, le savoir qui rattrape le corps (Créon) du père de la brillante (Glaucè) quand l’homme-explorant (Jason) s’imagine pouvoir encore s’en retourner vers la beauté alors qu’il s’était tout d’abord soumis, pendant sa recherche de la Toison d’or, lui le chercheur, aux découvertes de l’inventive (Médée la méditante médiqueuse.)… mais non, le monde brûle.
La clarté du documentaire sur le drame de la production hors-sol des tomates, aussi bref qu’un repas de tomates cerises me fait l’effet d’un prêche virtuose dans un temple dont soudain j’accèderais aux bonheurs qu’il distribue à toute une fraction d’humanité, rangée sous la dénonciation par un nouvel Erasme des folies d’argent, rebelle soudain aux sourires gras et à l’aristocratie du clergé agro-industriel d’aujourd’hui. Je pense à Luther et aux révoltés du début du seizième siècle, au bonheur d’avoir raison qui saisit les protagonistes d’une disputation, au fait que le rapport à la toute-puissance donne le frisson à ceux qui la détiennent comme à ceux qu’elle écrase en leur offrant par les temples qu’elle leur construit, de quoi l’invoquer.
Mais puis je invoquer les tomates ? Est ce que je dispose de plus de pouvoirs pour changer les flux d’argent qui trônent en amont des lois et des armées, que celui qui était entre les mains des paroissiens protestants se détournant soudain de Rome pour aller vers Luther, Calvin, et aussi vers les guerres qui s’ensuivirent sans démasquer aux yeux de leurs victimes que leurs convictions tombaient à pic pour leurs nouveaux maîtres ? Ai-je plus de pouvoir, à moins de le prendre et de devenir instantanément un rouage dominant de plus, dans notre espèce si profondément hiérarchisée ?
Je me souviens de la ruée des berlinois de l’Est, quand ils ont pu détruire le mur qui les séparait de Berlin Ouest, vers les oranges des supermarchés bien achalandés, je me souviens de la pitié que je ressentais a 33 ans pour ces foules qui, plutôt que de sauter de joie a l’idée d’une liberté que je pensais consommable, couraient à ce qui avait le plus défiguré ma ville, l’esthétique du supermarché. Seuls certains, dans les théâtres de l’Est, restèrent à leur travail, mais ceux-là peut-être avaient des oranges et des frigos ?
De quoi me libérerais-je aujourd’hui…
comme je ne suis en prison que de ma structure névrotique, je ne sais pas trop quel vote me donnerait le privilège d’en goûter une libération, sans être privé du goût des fruits de mon organisation personnelle des plaisirs.
J’aimerais des prêches qui réuniraient les foules en joie, mais les temples semblent tous toujours affectés au conflit voire aux guerres, et quant aux cinémas, temples pacifiques, ils mettent en vis à vis un public silencieux de plus en plus rare, et des films qu’on peut regarder, et qu’on regarde d’ailleurs de plus en plus seuls, ou alors à quelques uns dans de courageux cinémas, ou alors sur des écrans de plus en plus petits qui seront peut être bientôt greffables dans le cerveau des enfants à naître, tomates ou pas, et pas pour en faire des hommes libres…
Suis sorti du film et attendre les autres pendant deux heures : heureusement une serviette en papier et un stylo au bar du cinéma : huit quarts d’heure. Sans nuire, jouir, est l’idée du premier quart, pas formidable, du bouillon aussi tiède que le film fui par ennui.
Ensuite pendant un quart d’heure je songe à quoi les enfants sont victimes entre eux, lors qu’affrontés à la puissante sauvagerie des autres enfants, des plus grand•es, tout heureux•ses d’exercer impunément leur domination. Je ne me suis souvenu d’une telle condition que lorsqu’à deux reprises j’ai été menacé de mort, adulte. J’ai ressenti à ces deux moments de frousse, en moi, toute la précarité de ma faiblesse, et le souvenir d’avoir adoré, de trois ans à treize ans, dix années consécutives, ma prosternation devant le Maître, celui qui était beaucoup plus grand, l’autre gosse- jusqu’au jour où hélas, ayant grandi, je n’avais plus de modèle pour continuer de rêver d’une grandeur à atteindre. Il était tombé devant mon propre agrandissement. J’étais devenu une forteresse.
L’idée d’harmonie se faisait jour pour moi, malgré les incessantes bagarres et défaites, au mieux lors des moments de soumission familiale à la croyance. Là, dans l’église, l’autre morpion ne pouvait pas se jucher sur moi pour que je prononce mes vœux de soumission pendant qu’il me cracherait un peu dessus – du coup j’ai d’autant plus adoré la musique qu’elle paraissait le lieu des félicités conjugables. Tous ensemble. Comme au foot.
Mais un peu plus tard dans l’existence enfantine, j’ai constaté que les concerts de musique de chambre, dans la salle Stravinski abandonnée depuis des décennies à la poussière, place de l’Emp…
pardon, place de la République à Strasbourg, permettaient également l’apaisement des distorsions de puissance : la modestie du métier de mon père ne l’empêchait pas de saluer les tycoons strasbourgeois d’alors, propriétaires alternativement d’une Bière ou d’une Banque. Voire d’un château. Mais mélomanes, tous ensemble. Musique soumise qui m’a permis de m’échapper ensuite vers les incroyables arithmétiques de Jean Sebastien Bach : c’est vrai que ça ressemble à un escalier : monter, monter, monter . Vers le grand frère, vers les clergés et leur ordre, vers les tours puissantes des cathédrales, vers le Tout Puissant. Et ainsi m’enflamme l’idée décolonialisée que 32 millions de pianistes chinois conquièrent les mondes. Pour un apaisement ? Ielles le font depuis quelques décennies déjà. Malgré la différence entre les sémantiques musicales de l’Orient de l’Occident et des moyen Orient et moyen occident (qui doit bien exister quelque part entre le Colorado et le Kamtchatchka ). Qui aurait cru, alors que nos divergences esthétiques sont vertigineuses, étudiées par un certain Daniélou.
Il fallait que ce soit un homonyme du cardinal Daniélou ! Comme si la nature ecclésiale de la réunion des publics sous la houlette de la musique avait, de la rappeuse nigériane à la championne des récitals internationaux, fonction d’unir chacun dans l’oubli des luttes pour l’espace vital. A la messe de mon enfance, l’autre morpion ne me disputait pas la place sur le banc. J’en étais gré au curé, là-bas, au loin. Au plan mondial ce serait évidemment, comme l’aurait dit Boris Vian épatant.
Cette voisine se sentait une dette mais l’extraordinaire : quand mon premier livre est sorti elle venait d’avoir un boulot, après des années de galères – et où ? dans le tabac de la gare, elle a mis plein d’exemplaires de mon livre totalement confidentiel, mais plein, en vitrine, dans le hall des départs : grâce à elle un peu plus tard Thérèse la conservatrice du Musée Ungerer saurait que j’avais commis un faux polar et grâce à elles deux éclaterait dans mon téléphone la voix de celui qui m’offrirait ensuite une promesse de joies interminables – ALLO C’EST TOMI – la voix du moraliste qui a croqué New York dans les sixties – donc le bien, c’est quoi ? Son livre pour enfants, les trois brigands ? Un argument pour se dire qu’on a raison et être de bons soldats ? Un rire de joie immense devant la beauté des ailes du papillon ?
Les quelques sous que je n’avais réclamé pas à la voisine ? La critique spinozienne ? Avoir des biens ?
Toubib … quelle autre direction possible, quand sans avoir encore rien analysé de l’idéologie ou plutôt de la phraséologie bourgeoise m’oeuvrant, je comprenais vers douze-treize ans que curé, ce job qui m’était apparu encore plus formidable que pompier ou pilote de chasse, ça supposait un sacrifice impossible de plus en plus impossible à envisager à mesure que montait comme une marée ma libido, à mesure que s’établissaient comme des horaires de marées, lorsque apparaissaient les astres attrayant•es d’un bonheur plus que probable. Les désirables faisaient gonfler mes désirs.
Je n’en aurais jamais parlé. Heureusement c’était un peu moins visible que le nez au milieu du visage mais à mon insu de petit adolescent tout ça se devinait si facilement que mes silences taiseux faisaient la comédie.
L’hypo-crisie porte bien les deux termes du lot qui m’échut, car la pudeur non. Pour être pudique il aurait fallu que j’aie plus de fierté et moins de honte. La pudeur est tragique l’hypo-crisie, la crise du gourdin hyposlippe : grotesque comme un concombre une courge une cucurbitacée – de comédie. Au fond mon hypocrise et celle de tant d’autres nous font comprendre en effet très très tôt qu’être un saint, au sens où l’enfant en avait lu, impubère, les images pieuses, ne peut que devenir à l’adolescence une épineuse et pinailleuse image d’Epinal. À quel bien adosser, pour qu’il soit bien assis, le Héros ?
Cette hypo crise orageuse je n’arrivais cependant pas à l’imaginer honnêtement celable, certainement à cause ou grâce à l’habitude enfantine d’être compris par les grands, l’habitude catholique que tout se dise, l’entraînement de la confession dont les deux termes du mot disent quelle exhibition du con et de la fesse …
à quatorze ans Michel Foucault et son travail sur l’historique des examens de conscience stoïciens puis néo-platoniciens, je les avais pas encore lus !
Mais j’avais bien subi l’œuvre et la phraséologie gréco-romaine des examens de conscience, métamorphosée par des siècles et des siècles du syncrétisme christique, ça continuait de tatouer au plus profond de moi la virilité, l’honneur, l’héroïsme, l’admiration pour le et les martyres, l’appartenance (si rassurante quand on a trois ans) à une foule puissante de fidèles, la beauté inhérente aux canons romains de la vertu : ce pare-brise (ma gueule) fut soudain vers l’adolescence, embrassé d’un palot fabuleux – et je me rappelle le caractère complètement inexact et inapproprié de ma gratitude pour la générosité du premier patin. Ma dame, victime comme moi pensè-je d’une soumission au serpent biblique, perdait toute mon estime en me donnant au fil de notre sensuelle promenade, le contact avec quelques morceaux de son corps. Mais c’est en mendiant que lorsqu’elle se lassait j’y revenais (encore un coup de ce langue-à-langue ! encore !) pour me convaincre que ce toucher avait été une appropriation. Alors je me haïssais déjà – puisqu’elle se dérobait – de mon désir que je prenais pour un besoin.- et sa lassitude je prenais ça pour une mise aux enchères opposée à ce que je prenais pour un appétit : l’habitude, certainement, de confondre autonomie désirante et gestion des besoins alimentaires. Sois propre, chéri, m’avait on dit quelques années plus tôt…
Dans libido j’entendais hideux bidon livide et en aucun cas ce cadeau glissé dans chaque maison des villes les plus grises, qui permet -Tomi dessinerait ça si bien, (j’imagine par exemple chaque petite maison de la cité Ungemach dont il était parfois voisin, retour d’Irlande)- qu’on y perçoive autre chose que les comptes de fins de mois, les odeurs de cuisine et d’évacuation, la liste des travaux à faire, l’appropriation, la location ou le squatt mais aussi les cris de jouissance orgastique. Se dire que dieu a déposé dans chaque demeure, dans chaque jupon dans chaque pantalon la possibilité d’un jouir c’est peu représenté aux cathédrales mais au contraire des panneaux avertisseurs genre freiner, stop.
Voilà c’est là le souci là le bât qui blesse l’âne bâté par l’exploitation romaine de ses transports amoureux, bâté pour un monde organisé mille, deux mille, cinq cent mille ans avant sa naissance et qui va bien draîner le désir pour ne plus en faire si possible et malgré l’extrême difficulté, que des besoins, les besoins selon lesquels une famille, société, tribu, nation, humanité – va interdire au sujet, entre deux révolutions, de faire la part des choses entre un monde des besoins et un monde des désirs – entre un monde des fonctions et un monde extatique du sublime rêvable.
C’est du boulot, il faut dire, d’arriver à arracher le sujet à tout ce dont l’orgasme partagé l’avertissait d’une possibilité d’existence ( pour ceux à qui on aurait pas encore fait le coup : ex dans existence peut être lu et a été lu mille fois comme le ex de extérieur l’existence serait une façon de se tourner vers l’extérieur, alors que vivre serait juste satisfaire les besoins du dedans, du bidon ) donc c’est vrai qu’il n’est pas facile d’arracher les gens à ce qu’ils découvrent subitement quand ils parviennent à lier la découverte de leur jouissance la plus formidable, la sexuelle, à la présence de quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes – c’est pas facile, à ce moment, de les enfermer quand même dans quelque chose, – même s’ils apprennent, en général, très tôt, l’orgasme solitaire – il faut bien quand même s’y représenter l’autre, l’orgasme solitaire pourrait trop facilement donner à l’individu•e l’envie d’un être-à-l’autre … qui suppose désir. Et donc pas simplement besoin. Mais avec cinq cent mille ans de domination du sujet par son groupe, il y a ce qu’il faut de méthodes au point pour détourner la fille ou le garçon de tout ce qui ne satisferait pas simplement aux besoins. On pourrait mettre ça en mélodie. Le titre de la chanson ? On sera tous des peine-à-jouir.
Mais pourquoi ? Comment vous ne connaissez pas le goût du deuil ?
La mort toque à la porte depuis bien plus que cinq cent mille ans justement : bonjour vous allez tous crever, organisez vous un peu.
La société s’empare terrifiée d’un risque d’innocence menaçant les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics et ne se préoccuperaient pas suffisamment d’être de bons rouages au service des besoins du ronronnement de la horde – agiter le spectre de la mort un peu plus que de raison n’est pas qu’une activité philosophique – ça peut devenir une rhétorique. Rappeler au sujet sa fonction en faisant sonner le glas.
La société des cavernes je suis sûr, déjà, y a qu’à voir la femme de la grotte Chauvet, pas franchement épanouie, totémique, sans autre visage que le double prolongement d’un bison et d’une lionne. Pas d’identité, pas d’amour. Mais aussi maternelle et enveloppante, aussi irrévocable et intouchable que les parois d’une caverne éclairée par les torches des aurignaciens. Un monde dont les formes font dieu, un peu comme la musique et les vitraux de l’Eglise fomentent l’émerveillement et le désir de les rendre intouchables. Sacrés.
Aux grottes des premiers hommes, la force du dominant, aux branches des arbres des premiers hommes, la vue parfaite des guetteurs… sauvageries d’un âge d’or des désirs ou non? Un âge d’or d’avant les pièces d’or en tous cas.
Quoique, après l’époque des cavernes et celle des branchages soit venue celle des murs, celle des cités et donc de la monnaie, pas de monnaie avant les cités : allons, résignez vous, humanoïdes évolués, pourquoi ne pas préférer un rassurant avoir-l’autre monnayable au monarque, plutôt que l’oiseau volage et bohème de l’être-à-l’autre des temps pré monétaires ? Les besoins d’argent ont cela de pratique qu’ils pourront masquer, une vie entière, quel désir on aurait pu se découvrir en se donnant du mal avant de posséder des biens.
Le monde des monnaies, le monde de la cité, c’est ce monde où il devient de plus en plus facile de prendre le désir pour un besoin, de prendre les obsessionnels avaricieux pour les sages de la Banque.
Et comme dit Boris Vian, le désir peut rentrer alors dans le bocal des possessions avec le chasse-filou, le repasse-limace et le ratatine-ordure et le frigidaire. Tout ce que tenta de fuir, dans une course vers un rêve, le mari tunisien milliardaire de mon amie Denise, qui vint l’enlever pour avec elle partir dans les premiers kibboutz en leur léguant toute sa monnaie. Qu’a donc voulu quitter Denise lorsqu’elle a voulu quitter Jérusalem et qu’elle a surgi, entre le campus universitaire et les H.L.M de ma consultation, nonagénaire et déçue par l’âge d’or, espérant en retrouver un précisément dans ce quartier du campus où elle avait étudié dans les fifties, ce qui me permit de lui faire visiter le musée et les œuvres de Tomi Ungerer avant qu’elle ne reparte, déçue par ma ville et non par ce qu’elle découvrait de ses dessins, terminer ses jours à Jérusalem ?
…la vague sollicitude que j’avais témoigné à la voisine qui sauva mon livre de l’anonymat absolu en le placardant aux vitrines de son magasin à la gare, c’étaient quelques sommes non réclamées, ainsi qu’agiraient, éthico-spasmodiquement, tous ceux des toubibs qui ont fait médecine quand ils ont compris que curé c’était un job où on peut pas savourer l’amour comme il pousse dans la culotte des humains ! – mais la réalité de ce bien offert à la voisine se chiffrait – un rendu pour un prêté – et se chiffreraient aussi les biens accumulés par Tomi – fourmi prêteuse et morale – ( tout se calculerait-il a l’aune de ce cadeau immense ensuite : grâce à ma voisine j’ai pu bavarder une bonne centaine de fois avec la pensée de Tomi, la radicalité de son rapport au bien et aux biens !)- un jour tu fleuriras qu’il me dit, le gars pour me consoler de mon insuccès littéraire permanent.
Mais le bien comme on me l’a rentré dans le citron c’est le catholique romain – et d’abord la musique, l’obscur du mystère, les parfums les architectures, les marmonnements incompréhensibles, la paix, le sentiment de pas être seuls, le sentiment de tribu, que les parents malgré leur soucis faisaient partie d’un groupe impressionnant capable de chanter tous ensemble et ça jusqu’à mes presque six ans à la Chapelle du carmel de Casablanca dont j’adore, dans ma mémoire, (pas quand j’observe la photo faite en y repassant en 2013), dont j’adore encore la couleur, intérieure à moi, du souvenir des carreaux.
J’ai évidemment du mal à me souvenir quelles rhétoriques pouvaient bien interpeller ce garçonnet de moins de six ans, hormis cette beauté que je prêtais, comme à autant de bonbons, aux verres colorés de fenêtres, aux grilles mystérieuses qui devaient bien cacher des carmélites à l’époque où j’y entendais caramel, et au visage du prêtre qui, lorsque je le regardais assez longtemps, se nimbait d’une auréole, mais sa sainteté faisait partie de mon processus d’accès à la virilité, et cette sainteté c’était le courage des martyres, dont je regardais les images colorées depuis ma place de nain quand ça durait trop longtemps, ces images étaient faites pour ravir et le ravissement me proposait de devenir aussi puissant que les géants éternels qui m’entouraient et me cachaient tout, sauf quelques reflets des vitraux-bonbons, sur les bancs, les martyres, modèles de virilité, il fallait donc s’identifier à eux sous peine d’être un déchet. Il y avait le blanc de leur héroïsme, il y avait la noirceur des traîtres et le nom de Judas, alors que j’avais cinq ans à peine, était déjà une insulte que, vu la foule présente dans la chapelle, il était plus prudent de ne pas mériter. Les vitraux auraient amusé, soixante ans plus tard, Denise la séfarhade tunisienne quittant Jérusalem pour retrouver à Strasbourg la ville de ses études.
Mais les fameux vitraux se sont mis tout seuls à la place d’un dessin de Tomi Ungerer par hasard au moment où je corrige cette ébauche en y posant des photos! (On voit le reflet de sa fille Mikhal!) En réalité elle ne les a jamais vus. Par contre la légèreté des lumières de son enfance a Tunis à elle, Denise Zeitoun, avant et pendant la guerre, ça, elle l’a écrit et j’ai pu le ressentir en la lisant.
Imiter les martyres a donc correspondu dans mes vœux projectifs de garçonnet, à l’imitation du parent. Être un athlète. Et sans avoir besoin de l’appareil inquiétant de la sexualité, sans être la moitié d’un couple car les saints et les héros ne sont pas du registre Roméo et Juliette , ni de Tristan et Yseult, ni de papa et maman. Le héros c’est l’enfançon de lamaman, fait roi, au fil du temps, de l’adulte qu’une partie de lui se pense devenue. Et il est d’une force surhumaine ce qui tombe bien pour contrecarrer le père, modèle international et universel inconscient mais patenté de l’ogre.
Être capable du martyre résumera l’idée d’avoir ce qui s’appelle déjà la foi, à un âge précédant toute lecture de tout texte qui étudierait le contenu de cette croyance. Une foi sans rien avoir lu mais pleine du savoir immense qu’il est nécessaire, pour pas crever, qu’il est nécessaire de prendre un rôle de héros-enfantin, ce David plus fort que Goliath, ce Saint Pierre, n’importe lequel, donné aux lions, écartelé, lapidé. Sinon ça pourrait chier. Et le ciment qui fabrique cette certitude que ne plus avoir la foi serait trahir la tribu protectrice, cette tribu si puissante qui fait se taire les parents (pas comme aux cocktails) pendant que le curé là-bas, est clairement nimbé d’une auréole tamponnant et double-tamponnant sa qualité de saint authentique, ne plus avoir la foi ce serait d’être exposé à la castration même si depuis Saint Étienne, autre martyre, le christianisme permet d’éviter la castration secondaire symbolique de la circoncision qu’avaient subi tous les héros mâles des débuts de l’affaire chrétienne, tous circoncis.
Mais bon, la réalité indiscutable de la toute-puissance d’un ogre continuait de se lire à l’inquiétude dans le regard des parents si tout d’un coup on avait la fièvre. Et christianisme ou pas le triomphe de la mort, comme dans l’épouvantable tableau du Prado de Madrid, le triomphe de la mort proposait encore bien fort dans les années cinquante de ma naissance des choses aussi inquiétantes que l’inquiétante étrangeté de ce wagon qui me saute aux yeux quand je découvre le tableau, au Prado. Un wagon et un camp de la mort.
Serait-ce cet effroi que j’entends lorsque d’authentiques adultes aujourd’hui observent avec haine, dégoût et certitudes confites la phrase, toutes religions confondues, ne pas avoir la foi, entendue avec d’autant plus de rejet et de peur qu’à cette foi on n’y connaît rien, s’en contre-foutant de la théologie, mais, sabre et mitraillette à la main, souhaitant rien plus que de participer à la troupe immense de ceux qui, par leur fidélité, continuent de se proposer comme les seuls garants du pilier de nos sociétés urbaines ?
L’héroïsme de la foi cependant j’avoue le ressentir quand je m’approche des menhirs et des dolmens je sais je suis grotesque cet état de choses a commencé lors de mes premiers passages en Irlande, où les dispositifs des pierres dressées permettent non seulement une forme de visée céleste et astrale et donc de la mathématique du temps mais parfois aussi de se trouver au devant de ce mareyement océanique que petit je regardais avec joie depuis la corniche d’Aïn Diab à Casablanca, en prenant le souffle du vent à mes deux oreilles pour la sollicitude d’une puissance dont je n’avais pas non plus idée d’à quelles lois elle répondait mais qui faisait une belle musique, une liturgie formidable, et pour laquelle j’aurais certainement été ravi d’être un héros capable de porter des menhirs comme les espagnols portent leurs statues sur des palanquins lourdissimes pendant la semana sancta à Pâques. Porter quoi ? Des pierres éternelles qui crevaient leurs yeux dans le paysage à force de cette éternité tellement opposée à nos crevardises de doryphores, des pierres à chérir dans le paysage des pierres dont se saisir un beau jour trouver comment fabriquer du paysage autour des cadavres du dolmen autour du pourrissement du corps des héros et du menhir comme autant de doigts tendus vers l’infini stellaire, reconstruire les grottes premières, obscures et tant chéries, et porter quoi, sinon ces morceaux d’éternité, se réunir à cent, à mille pour porter les pierres jusqu’au lieu qui un jour (comme à la cathédrale du Mans où un menhir était collé aux escaliers du portail) manifesterait la fraternité de l’homme et de ce désir d’éternité, cette confiance en l’éternité des pierres d’abord remarquées aux cavernes et aux éboulis glaciaires comme aux sommets vosgiens. Quelle fraternité ça souderait entre peuples des mégalithes, y a qu’à voir encore aujourd’hui cette solidarité entre irlandais, entre bretons, entre portugais, marocains, ces peuples de l’ouest encore enclins à prêter l’épaule pour hisser le savoir-temps,
Mais la culture des mégalithes précède celle des villes. Qu’est ce qui coïncide avec l’apparition des sociétés urbaines sinon la monnaie ?
Les héros porteurs de rocs ne connaissaient pas la monnaie, ne deviendraient pas les soutiens aveugles des banquiers. On peut se moquer de leurs traces, de cette adoration qu’ils vouaient aux pierres, à leur durabilité peut-être ? On peut au contraire se réjouir que déjà ils aient été préoccupés d’éviter la disparition complète de leur présent une fois qu’il serait passé, dans le futur, et en ça ils étaient déjà comme les historiens et les prêtres, dévoués à ce qui est mort pour dire la préciosité de ce qui, aujourd’hui vivant, mort demain, garde à leurs yeux la grandeur d’une dimension autre que celle, plus médicale, de la stricte disparition. S’adosser aux pierres éternelles, faute de théorie, ça repose.
Une vingtaine d’années plus tard que mes passages émerveillés et é-mère-veillant dans La Chapelle du Carmel, je lis l’Histoire des religions, de Mircea Eliade : quelque chose de la structure même du sacré m’apparaît en même temps qu’une peur immense.
Je suis à plusieurs reprises seul en forêt, je dors sous la tente, j’applique sagement le programme de l’héroïsme, au fond, scout.
Je n’ai trop rien noté de ma sexualité, pendant ces années d’adolescence tardive, rien par écrit de ce qui me préoccupe avant toute chose, la marée quotidienne et joyeusement gonflante du désir montant. Ni que cela risquerait de m’inféoder, si je tombais amoureux d’une porteuse de l’objet obscur du désir, comme époux, m’inféoder comme papa à un couple dont je continue de porter innocemment, inconsciemment, la certitude que le seul héros, le seul martyre et le seul aimé est : baby.
Être seul, dans les bois, la nuit, sous la tente. Se sentir adulte et vieux alors que je n’avais que dix sept ans. Dans les carnets que je retrouve : un alignement de grommèlements. Dans le souvenir : ces nuits de terreur, dans le glapissement des renards et les étendues des montagnes, entre les lignes du dévoilement par Mircea Eliade d’une structure du sacré.
Coupable en le lieu du cornichon. Coupable d’avoir égaré les certitudes du religieux, faute d’y avoir prêté suffisemment d’attention quand elles s’installaient en moi par les moyens de la rhétorique la plus simpliste, celle de la séduction toute puissante des vieilles institutions de la foi, celle de la culture musicale, des liturgies, des vitraux, celle de la morale – les certitudes du religieux ont ceci de particulier qu’elles n’ont presque jamais rien de métaphysique. Et je serais aujourd’hui aussi incapable de reconstruire la scénographie de ce à quoi je croyais si fermement que de retrouver ce qui faisait que j’aimais lire le club des cinq ou Bob Morane. Un goût très enfantin d’aventures très approximatives. Une consommation.
Je me souviens (je l’avais noté à l’époque, dans des petits cahiers), de ma terreur quand glapissaient les renards, petits ogres dentus autour de la tente, ou bien quand fougeaient les sangliers à grands bruits de grouins, pas loin – je me rappelle mon regret ces nuits-là d’une maison en dur.
Alors, dans les bruits du vent et les courses d’animaux, mon souhait se disproportionnait d’angoisses, je rêvais d’un hébergement, d’une forme de maman.
Et j’ai retrouvé, toujours dans mes notes de l’époque, quel plaisir je m’y racontais qu’alors j’avais eu, une fois terminées les longues nuits d’incertitude en forêts, de trouver au milieu de chaque hameau, dans chaque village – un refuge grâce au formidable réseau des églises, puisque dans les années soixante dix leurs portes étaient encore systématiquement ouvertes, on y croisait même parfois des gens, et au plus reculé de l’Auvergne.
La nuit, en forêt, au contraire, la peur générée surtout par la lecture si surprenante pour moi, du livre de Mircea Eliade sur l’Histoire des Religions, la peur de me sentir en train de perdre tout le re-Père qu’avaient été mes fois, dénuées de tout savoir et pourtant pleines de belles images- indifférent enfant que j’avais été à autre chose qu’au narratif des histoires bibliques : l’enfance s’évaporait, et cette peur je m’en souviens allait au point parfois de faire trembler toute la tente. Petit cerf tremblant sans le savoir, bien plus devant les dianes qui pourraient bien sonner l’hallali de son refuge aux jupes de sa mère, que devant les trois coups mystérieux annonçant la pièce de théâtre philosophique des dévoilements laborieux qui se feraient tout seuls, à mon insu pratiquement, occupé que je serai, après une enfance inattentive, par l’enthousiasme nigaud d’un petit papageno superficiel et apeuré par tout effort…
Mais pourtant pas peur au point de perdre complètement le vœu d’héroïsme, comme tatoué dans les premières années, par l’image des martyres chrétiens qu’on m’avait servis,martyres à peine retouchés par le christianisme, probablement, collant au modèle des héros antérieurs à Rome, antérieurs aux Celtes, ceux qui portèrent sur leurs épaules les mégalithes. J’ai tremblé sous ma tente, je réalisais la fragilité de ce que je m’étais raconté de ma religion – et pourtant je restais fidèle au modèle de l’héroïsme sacrificiel, prêt pour de longues et impitoyables heures studieuses dans l’étouffoir de la Faculté, prêt à être l’outil, le rouage qui ferait perdurer la cité en sa laideur croissante.
Prêt au martyre de transporter, avec mes contemporains, ce que sont devenus les menhirs au fil du temps puis des siècles des siècles : un fonctionnement social absurde rendu obligatoire par notre explosion démographique, parmi les tours des conurbations…
Si j’isole d’abord l’idée du martyre, parmi toutes les idées d’une éducation catholique, c’est parce que je parviens encore à me souvenir de mon enthousiasme naïf pour cette propagande simple visant à exalter dans l’enfant tout ce qui fera de lui un bon candidat à l’endurance et à la mort.
Le degré de complexité atteint, par l’union entre des sociétés de natures différentes au gré des régions et des époques, fait que le livre sacré ne tatoue pas les cerveaux qu’au travers de la thématique du héros, du martyre ou du soldat. Le livre sacré, celui des ancêtres familiaux de la Chine jusqu’aux livres sacrés du Machu Pichu, du livre des rois mésopotamiens ou à l’ultime propos, fut-il futile comme le spectacle contemporain,( dégoulinant, incohérent, baveux) du livre télévisé des écrans et des modèles façonnés pour les séries et les mangas – pas si multiples- qu’ils proposent aux enfants – le livre sacré comporte d’autres catégories que celle du martyre, certaines franchement philosophiques, comme les multiples avertissements chrétiens concernant la mort, avec parfois en option la résurrection à l’égyptienne, le jugement dernier. La Défense et l’illustration d’une autre catégorie qui me soit restée, c’est celle d’une maternité inhérente, tant à l’image de la reine du ciel égyptienne, Isis, que de la Regina Coelis romaine, Marie. Ça n’est pas rien. Le bleu du ciel, étoffe maternelle, ça n’est pas rien.
Et puis, outre les modèles de martyre, de mort, de jugement dernier, de maman céleste, bien entendu il y a eu aussi pour moi la proposition d’un père supérieur, appelé tel – et doté par le christianisme d’une grande sollicitude… la liste m’échappe des autres modèles, de ce dont j’ai été lesté, farci, gravé. Mais le supersage, le scribe, le mage savant avaient tous une allure de dieu le père.
Ayant parcouru Mircea Eliade pour découvrir quelque chose de la théologie, le vide mystique de la pédagogie pourtant sacrée dont on avait usé à mon endroit, me désemparait.
Je ne pouvais plus croire que je croyais, tel le Socrate moqué par Aristophane dans « Les Nuées ». Pourtant voilà : restais robuste et pratique en somme, utilisable pour ma société, toujours avide de martyres, de sainteté et, comme le précise Nietszche cruellement, de soumission. L’ivresse me demeurerait, puisque finalement seule l’étiquette du flacon avait été discutée auparavant. Comme si ce qu’on porte en grimaçant des mille douleurs de l’effort, par la puissance de ce qui fait l’essence de nos croyances, était une forme de perfectionnement des mégalithes : ne suffit il pas de contempler l’empilement urbain des immeubles de bureaux ?
On dirait un chaos, (alors que les pierres et les dolmens érigés il y a si longtemps, près d’un bois, d’une plage ou au sommet d’une colline, organisaient autour d’eux une magnifique orientation) -mais c’est l’organisation d’un pouvoir omniscient de régulation et de distribution, Manhattan ou Shangaï : l’image urbaine planétaire de menhirs qui disent la loi. Non pas la simple loi céleste d’un retour régulier des solstices : la loi qui rétrécit le monde parce qu’informatique, cette loi est celle de de la prise en compte de tout ; elle nous tient au pied de nos menhirs aussi fermement que si nous n’étions qu’une petite tribu.
La calculette internet est devenue championne dans l’art de rétrécir le monde à la dimension d’un village. Et les temples n’arrivent plus à dominer la skyline des cités, un peu comme en moi l’Histoire (la rigoureuse, voudrais-je croire, pas celle de ces historien•nes qui n’y voient que l’occasion de conforter le névrotique spasme de vouloir affirmer son propre roman, et qui sentent bien quel trésor la narration du religieux constitue en matière de magistère identitaire) – un peu comme en moi l’Histoire a remis en perspective les éléments du religieux. Ça ne dépasse plus. Ça ne dépasse plus comme des cathédrales, qui elles même avaient peut être poussé juste pour ressembler à des menhirs, pour être aussi rassurantes que ces pierres si aimables aux hommes premiers. Ce qui domine ce sont les gratte-ciels qui dureront moins que les pierres premières, et leurs logos déclinent la puissance de multinationales ou même de tycoons, mais en réalité hébergent un monde fou, éberlué par les instants qu’ils pense éternels, hébergent des populations tellement pullulantes qu’on pourrait écrire une bible chaque jour, que dis-je, chaque heure, rien que pour raconter comment ils ont passé leur journée, que dis-je, l’heure écoulée.
Dorénavant, comme le net peut dénoncer chaque comportement de chaque humain ou presque, ainsi que les participants avertis et précautionneux d’une Cour où tout manquement à l’étiquette serait immédiatement quantifié, il devient une évidence que nos maîtres, nos pharaons à nous, ils nous tiennent, et si pas sous leur regard totalement méprisant, au moins sous celui, automatisé, de leurs équations.
Est-ce qu’il ne nous faut pas déjà être beaucoup plus polis que cardinaux au Vatican ou courtisans à Versailles ? Est ce que le simple fait d’apprendre à se servir du clavier d’un téléphone ne nous comprime pas dans une gesticulation déférente ?
Est-ce que le net n’a pas rétréci la planète à quelques menhirs banquiers qui font paroisse ?
Et est-ce que, sur le chapeau pointu de ce magicien omniscient et hyper organisationnel que sont les informatiques, le cri guerrier des martyres de ma foi perdure – ma foi elle-même n’est elle pas en réalité intacte, immuable parce que statufiée par une nécessaire terreur – ne me suis-je pas contraint d’être plus croyant que jamais ? La peur d’être un traître un sans foi ni loi, une merde méprisée de tous et menacée par les pires qui s’en feraient un galon sans péril – s’est-t-elle multipliée aussi exponentiellement que l’espèce ? – bien sûr que non, le seul risque n’est jamais que celui sur l’Un majuscule égoïste de mon unité individuelle, que j’en crève ne ferait qu’une mort, une seule, la mienne, rien de plus.
Mais quelles sont les saintetés qui parviennent encore à atteindre mon désir absolu de solidarité, de fraternités, mon souci anthropologique d’appartenance, mâtiné du paradoxal vœu de pauvreté hérité lui aussi de mes soumises et décisives années d’enfance ?
Mourir pour la Sainte Banque ne propose clairement aucune sainteté. Mourir pour les biens de quelque singe humain qui en aurait, du bien, et qui se présenterait vaguement, outrageusement, cyniquement voire naïvement comme bienfaiteur ? Évidemment personne ne se bousculerait pour défendre les sous d’un banquier, sauf les mercenaires, troupe peu sûre même si toujours pullulante. Donc la question reste brûlante : comment pharaon peut il s’entourer d’une nuée de héros, encore et toujours, dans l’aujourd’hui, minoritaire hélas, des démocraties ?
Par l’Art ? Par l’art.
Les œuvres accumulées au cœur du musée au milieu de Central Park sont éloquentes. N’ai-je pas eu l’impression d’être un saint pendant que je passais des semaines à dévisager les œuvres enchâssées au milieu du quartier le plus cher de New York, comme en un temple ?
Quand on suit la trace de toutes les œuvres d’art du monde qui se sont réfugiées au cœur de l’adoration planétaire, les musées des grandes villes, comme le Metropolitan Museum sur l’ancienne île des indiens, à Manhattan, concentre à lui seul mille bibles.
Mourir pour l’art ? Voilà.
L’émotion qui nous balaie dans les salles du Musée, miroir tendu aux passions des passionnés autant qu’aux désœuvrements des badauds, naît devant cette gigantesque et mouvante mosaïque du musée, réceptacle de toutes les fois fidèles, croyantes ou convaincues de ne l’être pas – on croise donc et par ce fait même, aux sous sols du metropolitan muséum, Camille Claudel, son image amoureuse nue d’avant l’asile psychiatrique, nue comme l’humanité, (cette autre implorante amoureuse que torturent les dettes familiales et le Réel)…
Camille, enfouie de tout son désarroi au milieu de tonnes et de tonnes d’imprécations, de prières, d’œuvres d’art ou de déco, d’antiquités et de modernités, de formes et de magies infinies et indiscutables, soudain aussi massivement présentes que les vitraux d’une chapelle sous le regard d’un adulte retrouvant l’enfance, accumulées comme autant de joies muettes enfin exposées à de possibles regards.
Une vraie apocalypse, vraie de vrai. Ils sont venus, les touristes, venus de tous les coins de la planète y décrypter sans relâche les œuvres venues elles aussi comme eux du monde entier et en plus depuis tous les replis du temps passé, l’Imploration de Camille Claudel voisine, à quelques chambres, l’incroyablement ancienne imploration de la bufflonne Ninsun, sage divinité sumérienne de l’oniromancie, tendant son offrande à des regards tout aussi incrédules et tout aussi fascinés… et à moi-même tendant son gobelet puisque c’est cela que je pratique aux soirs de mes consultations depuis 1989, l’onirocritique…
Pendant que le regard banquier vérifie grâce au Net que l’erre de chaque gesticulation de la foule humaine soit unie vers les banques, l’Art de la Banque, lui, précisément, étonnamment, énigmatiquement, garde conscience et manifeste quelle est la puissance de l’Art sur le cours des choses et des valeurs, quelques soient leurs algorithmes. Puisqu’aussi bien c’est la rencontre entre le regard d’un puissant et la beauté d’une œuvre qui, faisant les cours de l’art, fait office d’étambot au gouvernail des valeurs, de manchon pacifique et de refuge directeur, permettant à l’espoir de rester caché tout au fond de la jarre des plaies que jette Pandore sur l’humanité, pendant que le cours de la Bourse régit guerre et paix.
Ainsi convaincu d’être martyres, fidèles parmi les fidèles, les pauvres naïfs visitent-ils aux musées ce qui fait et défait la cote boursière de l’instrument de saisissement du jouir de mille maîtres.
Ainsi les mille maîtres de nos guerres sont, eux aussi, dans une foi naïve, celle de se goberger d’une accumulation. Leur manque de créativité est proportionnel à leur savoir comptable. Ce sont comme deux vases communicants qui se siphonnent mutuellement. En vérité je vous le dis, seule la passion collective, la passion des peuples, pour les objets qui constituent leur accumulation de princes, leur collection de Picsou, leur spéculation, leur garantit qu’ils ne se seraient pas trompés. Ils ont ce besoin de nos martyres d’innocents aux mains vides.
Car prisonniers du drame commun, les pharaons sont incapables eux aussi, le plus souvent, d’avoir fait de leur propre désir la terrible étude.
Etude effroyable, précisément celle dont le religieux tente d’écarter le sujet depuis cinq cent mille ans, il n’est que de voir la Vénus de la grotte Chauvet.
Le rêve naïf de Freud, au décours de cette enquête que le sujet peut entreprendre, le rêve du Wo “Es” war soll “Ich” werden, ce rêve du siècle passé, que le héros de la psychanalyse pourrait, tel Saint Thomas, vaincre ses fois aveugles en des choix automatiques, par la splendeur d’un rétablissement de l’autorité de sa Raison enfin informée de toute l’étendue de son Inconscient – ce rêve joyeux a évidemment pris un peu de plomb dans ses ailes si belles. Parce que, c’est vrai ce que formulait Lucien Israël : l’inconscient est fait pour le rester.
Seul le cri des martyres du peuple informe les pharaons nos oligarques d’un triomphe de la sensibilité. La leur est purement gustative et ne saurait se permettre d’être morale, la morale étant le lot des soumis, l’éthique étant ce petit bout à jeter dans un reliquaire pour atteindre aux strates supérieures de la pyramide des hiérarchies humaines. Depuis la géhenne et la tour anonymissime au pied de laquelle chaque jour depuis 1989 je roule mes miettes comme un scarabée j’ai pour seul privilège ce qui en est le contraire, la joie partageuse des solidarités, qui fait le fond de toute beauté et dont les hérauts verront leur œuvre finir paradoxalement suspendue aux murs ou dans les coffres des princes.
Et donc une autre des images que ma raison raisonnante n’ait pu effacer des rouages inconscients qui me pilotent, l’image rutilante conservée depuis la Chapelle des carmélites à Casablanca, avec ses vitraux en bonbon-rouges-à-lèvres, c’est évidemment celle d’un paradis – antinomique des ces quadrillages urbains qui m’annihilent chaque jour.
Oui, d’une Jerusalem Céleste, pas terrestre comme celle qu’avait voulu fuir Denise Couca à cause des hommes avec mitraillettes qui traînaient au marché vous iriez au marché, vous, avec des gens qui se promènent leur kalashnikov sous l’bras ?
Denise, visitant le musée de mon saint (Tomi Ungerer, Saint Tomi), lui a rendu cette grimace. Savait-elle qu’il m’avait dit un jour oui mais si y a plus de religion y aura plus de temples ? Elle qui, lors d’un séjour comme jeune stagiaire enseignante en Irlande du Nord entendait avec ravissement les petits lui dire : Is It true, Ma’am, you coming from Holy Land ? – et qu’elle avait dû pour finir le leur décrire.
Lui, habitant du paradis à l’Ouest paradisiaque de l’Irlande bénie, il n’avait pas le désir d’une Jerusalem céleste, ni, comme moi j’en ai désir, de la cathédrale qui incarne un paradis au milieu de ma ville à distance respectable des bâtiments anonymes où j’exerce.
pas besoin puisqu’il habitait, lui, l’Eden (dont l’étymologie vaut son pesant de noyau d’abricot). L’étymologie d’Éden ? Une vraie révélation. Donc en fait voilà : les gens de bien se divisent entre ceux qui ont du bien et habitent loin du tumulte et de la puanteur des villes, comme les riches mésopotamiens, et ceux qui pratiquent le bien et leur servent de marchepied. Et à l’occasion voient en eux leurs Saints, et dans le fait qu’ils vivent en Éden la preuve qu’ils sont quand même mieux orientés qu’eux puisque l’Eden, c’est l’paradis…
Et en matière d’Irlande j’en connais un rayon, de paradis, mais le sien, celui de notre Saint à nous, Strasbourgeois, Tomi l’a protégé scrupuleusement contre les marées de constructions insultantes pour le sacré que je me raconte discerner à ces paysages et qui s’abattent depuis les années soixante dix sur l’Irlande. (Ça m’a tout de suite plus à la grotte Chauvet, ce respect qu’ils ont eu pour chaque relief et la probable lecture qu’ils ont eu, une lecture anthropocentrique, aux immenses rochers qui décorent Vallon Pont d’Arc – lire, il y a trente mille ans, un paysage comme un corps, comme un message, lire la nature comme une providence, et du coup ne rien vouloir en heurter)
Oui, ça m’aurait plus que les irlandais se soient attachés à la splendeur de leurs paysages aussi mais les années soixante dix ont permis que les petits bungalows « dénotent » un peu partout, et posent leur confort sanitaire joyeux un peu partout. C’est plus rigolo mais bon.
Une escouade de vrais irlandais, au sens de la véracité qui caractérise l’irlandais, de vrais Kerrymen, au sens où le Kerry contemple sans cesse l’amitié, l’a aidé à remonter, patiemment, l’espoir, face à l’Ocean, tout près de trois tours médiévales effondrées. En les regardant j’imagine la régularité de leur fréquentation de la messe et des pubs, lieux aussi intriqués que l’inconscient et le conscient et, si l’on y rajoute le spectacle de l’océan allé avec le Ciel, aussi intriqués que le réel, l’imaginaire, et le symbolique. Les ancêtres du symbolique, l’imaginaire de la cuite, des voisins et de la table du pub, l’océanique Réel. ( c’est plus joliment dit sur le site delcaflor,
dont le nom vient de l’ancestrale et symbolique maison d’un ami extraordinairement au fait de l’imaginaire et détenteur d’un violoncelle Réel :Delphine et Camille Florence, je crois, gravé au linteau au dessus de la porte de sa vieille maison, près des douceurs forestières du Petit Hohnack.)
Et maintenant que depuis 2019 Tomi s’est dérobé, une nuit qu’il lisait la correspondance de Nabokov, quel au-delà, (pour rester dans les objets du mythe égyptien de l’au-delà) ?
Le petit cimetière de la famine, à côté de chez Saint Tomi ?
Ou bien le souvenir du bonheur dont tel un démiurge il posait la surprise au dedans du pantalon ?
L’au-delà pour faire patienter les naïfs en les menaçant d’un jugement, ou bien l’au delà de l’Éternité de l’Instant, une des deux seules éternités dont parlent les manuscrits codés mais décryptés des prêtres d’Osiris ?
Ainsi voilà l’ancien enfant de chœur rendu à quoi sinon au fantôme de la liberté. Le sujet enfantin qui se croyait croyant sans rien savoir sait à présent qu’il ne sait rien mais se souvient d’avoir eu extrêmement peur en découvrant l’inexistence des contes à dormir debout inséré dans sa mémoire enfantine par lui-même, sans plus pouvoir imaginer pourquoi il a eu si peur, et qu’évidemment en rien il n’a déplacé le tissu, pluri millénaire, entré en interaction avec sa cervelle chaque fois qu’il se retrouvait devant le discours tenu dans les années cinquante et soixante, de ma naissance à mes quatorze ans, par le ton magistral qu’il (car j’étais lui et chaque fois que je suis un peu demeuré, c’est lui qui s’en accroît d’autant plus) croisait aux lieux dévolus au sacré – arrivé depuis Casablanca en 1962 dans une ville de Strasbourg où Albert le grand avait pu laisser son influence, et moi, peut être aussi effrayé que lui par la masse immense des automatismes de pensée et la difficulté à produire quoi que ce soit qui ne soit pas un obscurantisme, je regarde aujourd’hui au centre de ma ville un bâtiment roman et gothique et la tour qui le surplombe en dominant le centre de la ville, beffroi pédagogique, disant un savoir architectural et proposant mille énigmes dont je n’ai cependant plus aucune idée, ne serait ce que celle du savoir-faire des sculpteurs et des penseurs de l’époque.
Pour les idées empruntées par Ambroise à la République de Platon (la Tempérance qui surmonte la Colère, la Force la Lâcheté, la Prudence la Folie et la Justice l’Injustice) je me plais à les voir, ces vertus, non seulement dans les statues qui les représentent, mais dans les quatre tours d’angles qui s’élèvent depuis la plate forme jusqu’à l’octogone.
Où les huit escaliers aux marches minuscules symboliseraient ensuite, plus haut que les quatre vertus des quatre escaliers dits des quatre coins, les huit vertus aristotéliciennes, la tempérance, la continence, la justice, la libéralité la grandeur d’âme. Ça serait chouette.
Les huit escaliers traversant sept chapelles comme étaient sept les planètes dénombrées à l’époque, les planètes à l’incessant ballet incarnant au ciel ce qui change, ce qui bouge, à l’opposé de l’Un figuré par l’étoile immobile et polaire, ce sept que traversent les huit dispositions transcendantales d’escaliers symbolisant les vertus, incarnerait le monde changeant que traversent les candidats à une rencontre ultime tout en haut avec l’unique, ça serait très chouette aussi et on pourrait gloser à n’en plus finir, patiner là dessus comme des champions sur la glace éblouissante de nos délires et dans le vertige approprié des siècles qui s’enfilent depuis le début de la construction de cet interminable escalier, tout ça bien soyeux comme de la bonne neige.
Mais bon c’est uniquement un sketch qu’on se raconterait et on pourrait dégoiser tout c’est c’qu’on veut en matière d’hypothèses sans risquer d’autre démenti que le sourire placide de ceux qui savent (les médiévistes un peu sérieux) qu’on n’en sait plus rien de rien, sinon que les architectes de ce genre de pari étaient plutôt des intellectuels que des terre-à-terre d’ailleurs y a qu’à voir. On peut pas dire que leurs architectures soient matérialistes.
Tout ce plaisir spéculatif des hypothèses… pour pouvoir se jucher de nouveau à la fois sur la terrasse d’une cathédrale et du coup un peu comme sur les épaules de l’enfant naïf que j’fus, çui qui croyait sans savoir quoi, pour pouvoir me raconter encore et encore une aventure de Lilliput au royaume des géants éternels qui cernaient l’interminable enfance première : on monterait à quatre ami•es les escaliers en se racontant que chacun•e des quatre incarnerait une des quatre vertus, et surtout sans s’avouer que ce serait régressif. (Est ce que la vérité est une vertu me demandè-je en regardant la tourelle d’angle nord est Est-ce que la vérité est une vertu se demande Thomas d’Aquin en bouquinant Aristote. Est ce que cette tour qui contient deux escaliers dont un des deux s’interrompt en route pourrait incarner autre chose que ça, la duplicité des vérités, aimè-je à me dire)
Pour dire la vérité on clignerait des yeux d’horreur en regardant ce qui entoure maintenant la cathédrale, mais peut être à tort car pourquoi éviter la vue, à quelques kilomètres de la balustrade, d’une muraille contemporaine de bâtiments bancaires moins disant ? Si on était encore dans l’enthousiasme des bâtisseurs, encore en 1419, nos laideurs n’étaient pas les mêmes, on kifferait peut être à mort les façades de métal et de faux ciments roses en treillages ? Toute cette population de gens dont on saurait qu’ils n’ont pas la peste puisque nous voila en 2023, et même qu’ils ont trouvé le traitement ? On trouverait ça bien. En me regardant les gars de 1419 seraient abasourdis de m’entendre leur dépeindre ma façon d’envisager les travaux à entreprendre selon moi pour continuer une architecture monumentale, bavarde, protreptique et lacanienne. Ils courraient vers les immeubles banquiers et s’achèteraient des lofts pour y prendre leur bain.
Tirant avantage sur les gars de 1419 et même sur Bock le savernois de 1550, je leur demanderais de m’écouter sous peine de ne pas leur indiquer ou trouver des bières à la pression dans un périmètre rapproché. Alors, que si ce que je pourrais pérorer, pour leur dire qu’à l’image du tableau de ce protestant de Bock (quand il peint ses bâtisseurs la cathédrale est protestante depuis un moment) les humains, génération après génération, fondent leurs inconscient sur le constat qu’ils réalisent, pendant leurs six premières années de vie, de tout ce qui leur est perceptible des manques de la génération qui les éduque. On peut vouloir ou pas le représenter en architecture, soit. On peut se dire qu’il n’y a guère d’importance à figurer ce qu’a été réellement la foi enfantine, cette scrutation permanente de la vie menée par des parents gigantesques autour d’un enfant lilliputien pendant un temps interminablement long.
Leur manque-à jouir.
Le manque à vivre dont ils témoignaient lorsqu’ils regardaient avec angoisse nos fièvres et nos rougeoles de gosses.
Le màque-à-savoir, enfin, dont ils nous faisaient part et qui nous fit, à un âge donné, leur demander interminablement et ça c’est quoi et ça et ça et ça ?
Et du coup chaque génération est lancée vers la satisfaction d’une réponse à ces trois manques de la génération précédente, en fonction, en plus, de son intrication à l’invraisemblable hiérarchisation des rapports humains, une vraie tapisserie mais évolutive d’une décennie à l’autre. La nuit pendant le sommeil les rêves se dressent géants. Y lire, comme à l’envers, de quel bois la cité se chauffe. Et vers quelles déplorations Camille Claudel nous entraîne à sa suite, dans cette nuit de la raison qui dicte pas à pas notre course invraisemblable à l’abîme de la vérité la plus trompeuse.
Debouts sur le spectre atroce de l’ensevelissement de tout désir architectural d’un dire, aphones, aphasiques, muets devant les silences bétonnières de l’industrie du logement par ensilage des foules de la société pourtant clairement du spectacle, privé de toute cosmogonie, fut-elle lacanienne, quantique, ou simplement romanesque, les hérauts du dire d’aujourd’hui sauraient ils, si quelque pharaon l’exigeait soudain d’eux, représenter une forme de logique collective de la logique des tâtonnements de ce qu’on pourrait appeler comme le fit Foucault la biomasse ?
L’image artistique serait celle d’une petite troupe soumise à la mode comme à un essentiel infiniment sérieux. On pourrait schématiser l’image d’une humanité, guère plus importante à quelques milliards aujourd’hui qu’à quelques centaines de milliers pendant l’aurignacien, mais lancée, petit caillou dans l’cosmos, avec à chaque génération nouvelle les six premières années de vie de chacune et de chacun pour forger un état des lieux du désir à mettre en tension, ensuite, une vie de catastrophes durant…
le recours au mot caillou risquerait de susciter l’idée d’une fronde. L’avantage alors reviendrait au double sens du mot, l’arme ou la rébellion.
mais cependant que je blablate, les voisins ont recouvert leur belle façade arrière, de briques, qui bavarde évoquait depuis cent ans les architectures du nord de l’Allemagne, par la noirceur d’une couverture isotherme, sous le drapeau d’un déchet de plastique amené aux branchages ici d’un vent pollué, aux débuts de la dernière pandémie couronnante, et deux ans avant que la guerre d’un bond ne se rapproche vampiresquement depuis la Syrie jusqu’à l’Ukraine.
La grande ville thésaurise. En finançant des musées pour ceux qui, distraction de visiteurs en quête d’identités, y consommeraient des objets en complète contradiction avec l’inattention dont témoignent leurs quotidiens et leurs logis — mais dont l’accumulation en des lieux adaptés feraient… quoi…, hein, quoi de plus au fond que le prolongement, idéal ô combien mais à quel titre et en quel sens, les musées feraient prolongement des propositions alléchantes que les agences de voyage organisent?
Sur le poème du Parménide et sur l’enfance duParménide, ce seize novembre deux mil sept.
Dans mon cerveau devenu salon de bowling de la métaphysique (tirer sur quelles quilles.?), la substance de la réunion est donc ce matin une réflexion quant à ce «retour sur le Tout «- retour à la divinité, la Dikè, le chemin de vérité, la visée «juste «- tout ça, métaphysique donc.
Décembre 1978. Un individu portait mon identité, avait vingt deux ans, se sentait libre d’avoir seulement rejoint au quatrième étage ce que sa mère appellerait encore aujourd’hui, malgré sa démence sénile, une chambre de bonne, et que son père, s’il vivait encore et avait eu le bon goût d’atteindre le cent trois ans que ça lui ferait, aurait nommé pareillement, n’ayant jamais franchement voulu retourner à cette langue allemande.