Anatole Coizard de l'océan maudit

Catégorie : Éternité de l’instant

Le vieux s’est éteint.(Octobre 1975)

Le vent se promenait comme il voulait sur les causses argentés. L’herbe se courbait partout, au sommet des minuscules collines rondes, dans les creux, les plats, entre les pavés d’une doline abandonnée.

Une maison toute seule se tenait au fond d’un de ces creux, son toit gris était presque masqué par les nuages, elle paraissait marcher contre le ciel et les longues étendues.

Un très vieil homme en sort, lentement il marche. Tout paraît silence dans ses gestes. Ses yeux clairs, pleins d’horizons infinis. S’arrête à une centaine de mètres de la maison, entre un buis et un genévrier. Contemple l’avance de la ferme grise aux toits de lauzes.

La journée passe.

Depuis un chemin d’écart est apparu, marchant, un homme plus jeune. Dix neuf ans.
Barbu. Migraineux. Quels espaces cotonneux l’ont relâché, l’ont abandonné. Il fuit mais ne sait déjà plus quoi. Sa migraine lui fait trouver diabolique l’apparition furtive du soleil. Son reflet sur les cailloux et les risées argentées dessinées par le vent entre les herbes correspondent aux élancements de sa douleur. Il aperçoit la vieille demeure. Observe, proche d’elle, une chapelle en ruine.
Le vieillard est revenu vers la porte et sans un mot ouvre à l’arrivant l’espace d’une salle à manger médiévale, voûtée, où une demi douzaine de personnes, hommes et femmes, sont assis ou en train de cuisiner, mais regardent tous le feu.
Il ne sait pourquoi il se raconte qu’ils y voient se reconstruire les ruines éboulées qui entourent la ferme. Il le dit au vieillard qui, opinant toujours en silence, le tire à nouveau par le bras au dehors puis, en boitant, l’entraîne précisément vers la chapelle détruite.

Elle n’a plus que quelques voûtes en suspens. On dirait qu’elle marche, à pas sourds, dans le gris, vers un lointain inaccessible à l’œil. Aux souffles indistincts que semblent gémir les broussailles, elle répond, à intervalles, par un mugissement. Les nuages, descendus très bas, rasent le sol en inquiétant le nouveau venu par leurs fuites. Le vent les accompagne à l’horizon où il les façonne en volutes extraordinaires.

Olmet, 11 Mars 2025, quelques instants après l’angélus de La Chapelle Saint-Judes.

A deux ils gravissent la colline, et contemplent l’enfilade calme de dizaines d’autres petites collines dont chacune, selon qu’elle est couverte plutôt de buis, de genévriers, d’herbes ou de cailloux, possède un chant différent, une autre plainte, des confidences propres à elle et l’ensemble de toutes ces voix s’élève, recouvre de gravité le causse.

Le carrosse d’une fille d’or passe dans la cour de la ferme, elle fait envoler d’immenses cheveux, rit.

Personne ne l’a regardée ni vue par les fenêtres ou depuis la colline.

Son carrosse est déjà reparti au fond des Causses.

L’homme demande alors au vieillard pourquoi sa maison est tellement esseulée.

Mais l’autre se tait encore plus. Son front ressemble, cela est soudain évident, à celui de la ferme, pierres plates noires qui, du toit, accrochent quelques volutes de brumes, et comme sa belle masse grise, plus il se tait, plus il paraît parler au ciel.

Sitôt qu’on l’avait vue les nuages paraissaient tissés par elle, lui faisant don de la grandeur et du mystère. Ses fenêtres, aussi muettes que le vieil homme, posaient leur regard sur la cour encore détrempée et qui était tout à la fois le parvis, la place publique, la rue et le jardin.

Au pied de la colline voisine, crevant le ciel de son œil d’eau et de pavés, il y a cette lavogne où se reflète l’allée de chênes qui a poussé en lieu et place de la nef éboulée de la chapelle.

Les habitants sortaient tous ensemble, habités, pensa-t-il, en chacun de leurs mouvements par une monotonie – femmes et hommes rejoignaient le champ derrière la lavogne, s’y courbant, s’y relevant, comme programmés par un esprit qui serait celui des causses.

Il observe des feuilles mortes coincées depuis la saison précédente entre les éboulis de la chapelle.

Sa rêverie se suspend lorsqu’il remarque, au milieu de leur lit épais, que le vieillard s’y tient et que précisément son habit a les couleurs de cet automne qui revient.

-« Vous êtes le roi des feuilles mortes du passé ? » lui demande-t-il.

De la gorge de l’autre s’échappe le même bruit que font les feuilles agitées par le vent, ses yeux paraissant taches de pluie, son sourire disparaissant dans les rides d’un arbre.

Soubrebost, dans la cupule de la pierre aux neuf gradins. 29 Juillet 2019.

-« Mais je vous vois, vous savez, je vois vos yeux d’homme !»

Il remarque surtout les arbres et les buissons du causse faire un ballet autour des bâtiments, la terre courant sous le vent, la lavogne clignant son œil solitaire, et les poumons du vieil homme respirant à présent au rythme d’une lente animation adoptée soudain apr la matière étrangement molle des cailloux des champs alentour.

Il se détourne, la chapelle ne dit plus que la plainte d’une ruine faite de pierres mortes, la lavogne sourit tristement.

Alors il s’éloigne sans savoir quel âge il aura quand il reviendra.

La Couvertoirade Septembre 1975. Henri Ucheda.

C’est l’hiver, que le bleu des neiges du soir refroidit encore.

Le bois rouge de la porte sourit à l’un des habitants, au moment où il sort chercher de quoi nourrir le feu. La porte est complice, elle regarde dehors, son dos dans la maison, voudrait peut être s’arracher de ses gonds, s’est peut être faite belle pour les causses où règne un grand froid.

Trois ruisseaux ensablent la roue d’un vieux chariot. La fille d’or en jaillit, si elle joue, si elle s’amuse, c’est en courant et en disparaissant encore.

Le vieil homme est assis dans la neige, de chaumière il n’y en a plus, n’y en a pas, on entend les ruisseaux, et les larmes d’un inconnu caché par les buissons de genévriers, de thym, d’origan. Puis, à mesure que la nuit avance, ses plaintes se muent en un immense rire de plaisir, qui semble celui du vent.

Depuis la lavogne on aperçoit la chapelle. Qui marche toujours résolument dans les bourrasques. Puis on voit ré apparaître la ferme et tout autour d’elle une cité entière, des murailles, une église sur des rochers.

On entend le chant énorme des arbres.

Le caméléon la camélionne est aux champs ce que René Char est à Rimbaud.

René Char disait à Rimbaud dans Fureur et Mystère , « Tes dix huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sur le couteau de leur précoce guillotine…

Pendant le début des phrases prononcées en scène par Elsa Agnès – et je la voyais « jouer » (vous verrez pourquoi les guillemets après ) pour la première fois, j’ai eu un vertige rhénan, j’ai vu – je vois encore, au surlendemain de la représentation dans la salle Topor du théâtre du rond point des Champs Elysées – je visualise à l’envers de toute chronologie la silhouette mythique de Rimbaud rencontrant celle de René Char – et du coup Paris semble ré-exister. Vibrer d’un moral qui me redonne un désir moral.

D’ailleurs avant de rentrer dans le théâtre du rond point j’ai croisé dans un petit square des Champs Elysées, une africaine, masquée, qui revendiquait son banc où je venais de me poser pour lire – elle dort aux Champs Élysée et le texte d’Elsa Agnès parle en réalité aussi d’elle enfin je veux dire du destin, des abimes, elle fait plus qu’en parler puisqu’elle l’a écrit, dans son texte mis en scène par Anne Lise Heimburger… Dormir au long des avenues comme cette dame, voire écarquiller les yeux depuis un péage de l’autoroute du monde pour se glisser en tous destins, celui d’êtres aussitôt vus, aussitôt suivis par mon âme épuisée d’aisance, comme si saisir les portraits qui s’encadrent brièvement en ces tableaux que font tous les pare-brise de tous les véhicules du monde était l’issue précipitée, en cette rigueur de caserne qui est celle des péages et de cette péagière que dépeint pour finir Elsa Agnès, comme si se saisir et se laisser happer par tous ces portraits était ce sans-issue qu’impose dorénavant l’accélération du monde. Tenir dans ses bras comme un nounours, comme un oreiller consolateur, comme un public médusé, les sept milliards ou plus que nous sommes. Devoir de romantisme. Pour aimer. Malgré la rumeur automobile de l’avenue, des péages, des impasses et des oligarques péagiers qui nous fouettent à bombes nues pour accélérer leurs gains.

Ridgewood. Dead End. En attendant qu’un amour pose dans l’encadrement du pare brise.

En général c’est comme ça : Paris est, après Marseille, la seule ville d’un romantisme digne de Schuman et de Kafka et cette fois ci parce que les cris d’Elsa y sont une prosopopée.

Ça m’énerve souvent que Paris soit presqu’aussi romantique qu’Obersteinbach.

Hans Baldung Grien 1515 (Musée de Bâle)

Obersteinbach

Mais si les écrits d’Elsa Agnès sont sous nos yeux issus et tissés de ses voix et personne physique, ce paradoxe d’être actrice sans que ce soit pour du jeu et de jouer en actant sa pensée propre, je m’aperçois, chapitre après chapitre, décor après décor, gestes et gymniques, chants et danse furibarde, que ce ne sera pas à corps perdu. Rythmique galbée partitionnée par la géniale rigueur d’Anne Lise Heimburger et de Silvia Costa l’un-peu-vénitienne, les tenues de l’actrice autrice vont me poursuivre, noli-spectateur-me-tangere, dans une penderie géante en toile, où empiler et jeter les tenues successives du Caméléon et tout d’un coup d’ailleurs, quand elle se drape toute bleue, je lui vois visage de lionne, de Léone, de Caméléone mais

Il y a quelque chose d’amusant dans le fait de faire mille kilomètres pour voir une pièce de théâtre c’est le transport j’ai pris bien entendu la malle poste depuis Strasbourg et, pour entendre des chevaux hennir, j’avais avec moi un traité piaffant de fraîcheur, un livre de socio philosophie que m’a fait découvrir Circé, celui de Hartmut Rosa (Luxemburg ?) et grâce à lui le train s’est transformé en aventure puisque ça m’interpellait, son texte, là où je travaille au quotidien, en interrogeant les soirs de mes consultations depuis… 1989 (chuuut) ce qui fait l’amondement de mes patients, à travers la construction de leurs rêves (les rêves sont un moment d’amondement) – Bon alors voilà, mon transport à travers les printemps de la rhénanie, des Vosges, de la lorraine et puis de la Meuse, s’est terminé – des fleurs des fleurs des fleurs – en face des Buttes Chaumont puis par une promenade d’une heure et demie enfilant la rue Lafayette jusqu’aux Champs – où une africaine masquée revendiquait tragiquement mon banc pour après le soleil du soir y passer une nuit élyséenne (moi sans comprendre encore qu’elle dormirait juste jouxtant les imprécations d’Elsa Agnès incarnant son propre cri son propre texte, puisque ne mesurant pas encore à quel point le banc qu’elle revendiquait était tout proche de la petite salle du théâtre du rond point. Mais je serais surpris, une heure après, de resonger à l’africaine lorsqu’une des évocations d’un des trois personnages figurés par le texte semblerait, elle aussi, couchée à même le sol du dénuement extrême).

Sylvia Costa, Anne-Lise Heimburger, Elsa Agnès .

Ainsi paradoxe des théâtres, vérité romantique, Elsa n’est en cette pièce ni acteuse ni jouant, prenant ses mots à leurs lettres, oui, elle a écrit son texte, ce texte, elle, narrant trois enfances de trois filles, narrant les trois pères d’ycelles, narrant les corps rencontrés de l’homme puis l’anamour et puis des morts, des meurtres, un assassinat horrible avec l’exactitude de comme-il-en-est-des-meurtres (exactement comme a été agressé dans sa petite maison le délicieux Nounou d’Oeting près Forbach, celui que j’ai connu et qui ne vivait que pour ses orchidées, torturé pour de vrai dans le vrai du réel pour trois francs six sous par deux désespérants – et puis il est mort, Nounou, du retentissement de ça, quelques mois de détresse plus tard – scène décrite et écrite par Elsa Agnès comme si à son âge déjà elle l’avait vécue depuis le point de vue du désespérant bourreau ) et du chant et du chant qui se danse à réveiller les Champs Elysées – et puis du voyage puisque les trois vies racontées par Elsa traversent même à un moment le bruit des clochers d’une ville de l’Italie : la salle suspendue médusée après s’être demandé peut être, pendant les premières secondes, avant les premiers mots, comment elle allait bien faire pour pas qu’on s’ennuie une heure et demie mais emporté•es tous•tes hop ! En Inde hop Toronto hop retour au pavillon propret et au canapé des parents et à l’étau des ciels qui s’encadrent à l’arrière des voitures où, pauvres puis riches, les héroïnes d’Elsa contemplent le ciel en même temps que la passivité d’être transportées – détresse passive de trois enfants qui se laissent tatouer par la mocheté virulente et active de trois mondes refusés- rejetés, honnis, mais les infusant – et en majesté dans le texte, surtout le politique du Dit, tout le temps travaillé au corps d’une ouverture au même cri que Rimbaud – Rimbaud poète ouvert ou Rimbaud fermé trafiquant, Rimbaud amoureux du politique est-ce le personnage d’Elsa Agnès qui part en Inde ou Rimbaud effondré d’une fondrière libidinale est-il la femme-péagière qui contemplera voiture après voiture des mondes qui l’embarqueraient comme d’autres moi ? Ô toi mon autre moi est-ce que cette Commune mythique que Rimbaud rejoignit peut être – et en un mot notre dernier enthousiasme à tous, nous qu’enthousiasme le rêve d’aimer l’autre O du mein Andres ich

Ci-gît mon autre moi-même
Hier liegt mein ANDRES ich
(Obersteinbach)

est ce que la révolte d’un peuple parisien qui fit pitié même à Bismarck (dans ses mémoires qui sont en ligne et traduites, il décrit un soir à son secrétaire la misère physique de ces soldats qu’il a combattus et de leurs familles quand il se promène dans leur foule, après sa victoire), est ce que la Communauté vaut le coup d’aller trafiquer comme Rimbaud l’a fait après, comme les trois filles racontées par Elsa font un peu. Avec Elsa Agnès nous nous en sommes allé trafiquer dans des Éthiopies – non plus le luxe effarant du bateau ivre mais la misère des pulsions sexuelles invendables et la vente pourtant des corps et la maladie purulente jusqu’au seuil de la mort ?

Sylvia Costa, Anne Lise Heimburger.

Et comme la réponse de Char est venue dans la nuit du théâtre par les mots infiniment complexes d’Elsa, un torrent, un Nil de Mots, un Iénisseï, une Volga, un Yang tsé Kiang qui dirait que malgré le malheur de l’inconfort d’aimer d’amour il reste la candeur de risquer sa peau quand on sent que ça pue et tout d’un coup ça puait plus sur les champs Élysées quelqu’un parlait dans le luxe du théâtre du destin par exemple de la dame qui dort sur le banc derrière les murs du théâtre – et en chantant par explosions dansées Elsa Agnès ressaisit nos âmes bleuies et tous on était dans le rythme. Congo.

Congo. Péage. Obersteinbach. S’écrier poétiquement pour rejoindre les arbres des Champs Elysées et le banc des sommeils de ruine. Fleuves.

L’actrice, pour une fois, elle agit. Puisque c’est elle qui a écrit le texte. Je veux dire, cette actrice, elle joue – mais c’est elle. C’est elle et pourtant c’est joué, à preuve : tous les vertiges de la mise en abîme de la scénographie ne sont pas de trop pour que, chute de rideau de scène après chute de rideau de fond de scène, je me demande moi même à quel jeu je joue en me racontant que c’est agir qu’aller s’asseoir au théâtre dans l’ombre du public, au moment où se dévoile le fait que l’actrice, aujourd’hui, est mise en scène pour se dire.

Et le lendemain dans la rue du retour les trois dames plonplon d’façade parisienne me redevenaient d’amples hétaïres capables même de mettre aux nues les folies d’un vrai romantisme vrai de vrai : je les regarde d’un coup comme trois Elsa Agnès prêtes à déplonplontiser la façade plonplon.
Travaillez, donnez-vous de la peine, un trésor est caché dedans (en manteau la compositrice Ève Risser)

Regrettant juste que le texte d’Elsa ne soit pas publié pour pouvoir y revenir et en retenir un peu mieux tous les bancs de poissons, pardon de mots, d’images, de phrases et d’idées que j’y ai entrevu comme autant d’éclats de lumières politiques et de couleurs qui me redonnaient le moral.

Ce soir là vraiment, Paris : plus romantique que les Niebelungen à Obersteinbach (oui oui cachés dans les rochers au dessus, le souvenir des Niebelungen )

Juste pour dire les mille kilomètres à faire pour aller et revenir d’un René Char (il a écrit sur ces paysages des Vosges du Nord) à un Rimbaud , des fleurs, des fleurs, des fleurs tout le long du train-malle-poste qui au retour tentait de se rappeler des fleuves d’Elsa mis en scène par Anne Lise et Sylvia. Une rhénanie, ma doué, un Congo !

La palpation du monde par l’espèce humaine,

Foucault pose au début des années quatre vingt, au cours de ses séminaires du Collège de France, la question : «  est-il possible », d’indicer une faculté humaine du progrès – il parle d’un progrès vertueux et il décline d’ailleurs les visages successifs de la vertu, de la démocratie, de la parole juste, chez les penseurs grecs qui ont laissé des textes, puis il parle de l’évolution de ces penseurs célèbres jusqu’aux inflexions de ceux de la Renaissance et des Lumières puis jusqu’à l’avènement du désastre blanchotien, de l’emploi dé-moralisant d’un progrès truand.

Truand oui, car, quoi du futur si le passé se dévalorise face à un progrès eblouissant, quoi du précieux Instant si le torrent d’existence qu’il croise doit être sans trace de l’autre coté de ce gai gué – et bien évidemment que dire d’une évolution de l’humanité si après autant de millénaires on reste sans outils qui émettraient la moindre hypothèse nous assurant que l’on soit en route vers autre chose qu’un perfectionnement de l’Horreur et que l’Âge d’Or serait foutaise ?
La  «triple antenne » avec laquelle chaque nouveau-né va palper puis extraire du monde ambiant pendant une dizaine d’années éternelles la substance de ce qui, toute sa vie, lui « donnera le moral » ou pas (c’est à dire véritablement sa tension vers un Bien infiniment personnel) – cette triple antenne, selon la philosophe psychanalyste Colette Soler à la claire pensée, est sensible à trois manques repérés par le génie einsteinien de tout marmot – cette antenne triple évalue, dans le mur dressé devant elle par la Toute-Puissance parentale des premiers ans, trois manques, et Soler dit :
-manque-à-jouir.
-manque-à-savoir.
-manque-à-vivre.

On peut, si une telle classification faisait sens, la prendre comme grille de lecture de la constante modification de l’humanité…. constante ?
Evidemment s’il devait s’avérer qu’il n’y en a pas, de  progression, si, inlassablement, l’humain se retrouve depuis ses débuts devant des manques en suspension éternelle… s’il ne s’est agi que d’un va et vient toujours dans la même soupe…

Pour un écrivain , il y aurait bien un avantage puisqu’alors s’atteler à la tâche de décrire la Condition Humaine, mais dans l’hypothèse scabreuse d’un Eternel Retour de la même eau sous les mêmes ponts, ce serait le privilège vain mais glorieux, de faire une oeuvre à validité définitive. Grand train de l’écrivain. Statue et marbre. Habit d’immortel.

Bon, et puis on a le droit d’en douter et il me semble que l’observation plus fine des conséquences, déjà vérifiables, d’une mise en tension historique de chaque humain par sa propre dette attestera du contraire.
D’une vertigineuse quoique peut-être vaine propulsion de l’humanité, visant un objectif.
Lequel, vers quoi est lancée notre grappe humanosimiesque, suspendue à sa goutte d’eaux polluées et à sa motte de minerais précieux ? Je suis fasciné à l’idée qu’on puisse pressentir même le début d’un commencement de figuration de la direction qui aimante tout ce bastringue.


Ainsi, et en se glissant parmi sa génération, l’humain, en même temps qu’il prend une conscience aiguë de la place précise de chaque primates parlant, de chacun de ses contemporains par notre invraisemblable sens hiérarchique, ainsi chaque humain s’est forgé sa petite pente à lui. Vers quoi grimper, que fuir, que vouloir.
Évidemment, plus grand le nombre d’humains partageant des « pentes » voisines de son inclinaison, et plus ça teintera dans la Masse – au point qu’on peut espérer ou craindre et en tous cas quantifier un mouvement résultant, une révolution, et pas forcément une annihilation réciproque de tous ces émois. Ah, si Foucault avait su ça ! Clairement il était plus calé en philosophie grecque qu’en psychanalyse.

L’idée que le progrès tienne à une résultante de la palpation de trois manques n’est pas très clairement celle d’un progrès éthique aux divers sens pris par un mot si souple. L’humanité serait lancée dans l’cosmos juste pour… régler son compte au manque de jouissance ? c’est flou, et en quoi les modes successifs des réponses générationnelles au manque-à-jouir permettraient-ils de caractériser ne serait-ce qu’un peu la direction approximative de notre errance, de ce dont s’excuse si souvent Foucault lorsque dans son Cours, pour être clair, il se répète, savoir un piétinement fastidieux – c’est bien trouble aussi.

Victor Braun 1934
Victor’Brauner 1934.

D’abord il m’apparaît impossible de parler d’un progrès équivalent entre les trois modalités : si le  « manque-à-savoir » a pu (et encore faudrait-il être sûr des modalités qui feraient de ce manque supposé un des piliers de la structuration de l’inconscient) paraître faire évoluer l’humanité dans le sens d’un progrès, que penser du  « manque-à-jouir » et d’un progrès dans nos  «manque-à-vivre»?

Le jouir humain aurait -il progressé en cent mille ans, autant que, par exemple, la connaissance ? Les connaissances ne se seraient elles amplifiées que comme l’appendice le plus décent du manque-à-jouir ? La jouissance de l’homme contemporain serait-elle plus ample par le simple fait de l’accumulation d’un héritage collectif – en un mot l’humain•e qui a du bien jouit-il plus que l’innocent•e des débuts caverneux ? Jouit-on plus aujourd’hui du fait des musées, du capital, des héritages, de la mémoire des périodes passées ?

A l’expérience je trouve pourtant hyper pratique cette division en trois modalités de perception du monde parental par le futur adulte. Le procédé des trois chapitres c’est de toutes les manières toujours élégant. J’évite, paresseux, de me demander si, de la naissance à l’âge de six ans, on ne palperait pas d’autres « manques » parmi tout ce qui fait cette Dette transmise précieusement de génération en génération par le vivant. Foucault avait fort à faire de son côté et certainement pas trop envie de devenir l’exégète de Lacan, pendant les quelques années où il a continué son travail de recherches et de cours, après la mort de son collègue en sciences de l’être …

Mais la réponse à la question de Foucault quant au mécanisme d’appropriation, génération après génération, d’une tension vers les lendemains de l’humanité, il me semble bien la retrouver dans le travail de Colette Soler : seulement voilà : qu’en déduire ? Et la paresse me reprend…

Feue Christiane Beck, se tenant le genou , Saint Avold.
Christiane Beck et un manteau à Saint Avold.

Mais ai-je le droit de paresser ?


Les trente années que je viens de consacrer en partie à la psychothérapie, en m’aidant de la notation par les patients de leurs rêves, me remplit la mémoire d’un dossier extraordinaire quant à la façon dont les dettes familiales s’y déploient, quant à la réception, par chaque sujet, des trois manques dont parle Colette Soler.

Et c’est bien évidemment à cause de mon travail que je reçois celui de Foucault, celui de Lacan, celui de Colette Soler comme le désert la pluie.

La connaissance humaine n’aurait-elle progressé qu’en fonction du manque-à-jouir ? Ça reviendrait-il pas à dire que l’homme de bien, le philosophe, l’ami du savoir, ne serait que cellui qui a du bien ? Le vrai problème c’est qu’évidemment nous avons pratiquement tout oublié des années premières, celles pendant lesquelles se forgeaient en nous même la représentation des manques fondateurs de nos aînés – il est impossible de se contenter d’interroger nos mémoires propres.

L’avantage de ma paresse étant d’éviter peut-être de découvrir que j’aurais pallié un manque par l’autre, et que mon désir d’écrire ne serait là que pour masquer par une jouissance déviante ma crainte quant à celles qui seraient plus compréhensibles : prendre son pied plutôt que la plume et raconter des histoires distrayantes plutôt que partager des interrogations auxquelles certainement tous les lecteurs avisés de Foucault ont déjà répondu.
Et le manque-à-vivre aurait-il pas pu augmenter nos longévités plutôt que la masse démographique monstrueuse du monde pullulant de vivants pas forcement très viveurs… ? Vivre à sept milliards est-ce que c’est franchement plus que si on s’était quégnié à chacun une bonne petite truffe de deux cent ou deux mille petites années même en rabiotant sur les bissextiles ?

Les Lumières, le fantasme des Lumières dans l’Europe de despotes qui commettront les pires crimes qui soient en la jetant, prédatrice hors-concours, sur le monde entier… les lumières de l’enfant ? pareil, non, pour cet enfant éclairé et qui deviendra fauve même s’il se croit innocent, complice de l’horreur administrée par cette multiplication inconsidérée de la biomasse – sept milliards de destructeurs des forêts où prospère … où prospérait, plutôt, un monde d’une beauté si parfaite -pensez à la danse nuptiale des paradisiers !- qu’on ne voit pas quel progrès on puisse y apporter en matière de jouir et que les plumages insensés des espèces disparues sont si peu insensés et si pleins de sens qu’on peut se demander quelle drôle idée a eue le primate de se perfectionner le cerveau.

Feue la Professeure Christiane Beck.


Mais peut être que les dettes accumulées par les milliards de bébés en cours, là, maintenant, à ce moment où j’écris, vont continuer de se hisser jusqu’à un équivalent mental de cette sublimité du paradisier ou des papillons ? Qu’est ce qui nous fait chérir les fleurs sinon le projet d’en approcher intérieurement ?

L’espèce serait ainsi, génération après génération, en route, dans le cosmos, vers le parfait, vers un invraisemblable parfait. Dans une insondable imperfection qui ferait justement rêver.

Feue Nicole Bonaventure et Feue Christiane Beck, radicalement amies.

Structurés en tribus planétaires, un des tissus du manque à vivre que les petits humains découvrent à leurs tribaux géants est la pulsion qu’ils ressentiront plus tard parfois, vers les savoirs historiques, tissu scénographié par les mémoires collectives du groupe humain auquel, pensant parfois sincèrement y appartenir, les petits humains délègueront une fois adulte le fantasme de leur identité. Tribalement historisé, le passé se tient bien tranquillement devant nous, on peut le regarder – et le passé que les tribus nous proposent de regarder comme nôtre (même si, européen, je ne me demande jamais à quelle tribu j’appartiens, ma tribu n’a pas même de nom, quand tous mes interlocuteurs africains ont encore mémoire de ce qui fut avant les frontières coloniales, ces peuples dont ils savent toujours les langues, au point qu’ils m’ont renvoyé à une nouvelle compréhension, par exemple, des sobriquets étranges caractérisant encore aujourd’hui chaque village, chaque ville germanique… comme autant de tribus qui ne se savent peut-être pas telle par honte des génocides … Strasbourg, tribu des Meiselocker. Et cet air entendu des charentais des bords de la Boutonne quand on leur dit qu’ils viennent d’un Bel Ébat dans les palisses ! La tribu des buveurs de pineau ? ) Le passé des tribus se tient devant nous, carrément surélevé par les estrades de ces patrons couturiers pour naufragés identitaires … Alors que l’avenir est derrière, invisible, libre de toute accroche mais faussement psalmodié par les peu crédibles oracles qui voudraient s’en servir pour nous asseoir dans le jus des identités tribales qui, précisément, nous interdisent toute individualité propre ….

Cette trame historique raconte à l’enfant ( celui que nous fûmes ou bien que sont en ce moment où j’écris les enfants de cet instant présent), avant même qu’il lui soit possible d’écouter mais juste, bébé, d’entendre -raconte la trame historique des ancêtres imaginaires et tisse évidemment déjà pour l’enfant une histoire vocalisée des manques canoniques du groupe de ses pédagogues et allaitant•es. C’est toujours ça de pris, comme boussole.

Célèbre tribu d’André Nabarro.


André Nabarro (Arts Déco 1968)


Si je ne me reconnais dans aucune identité tribale c’est que je n’en viens pas si clairement… Au contraire de la tribu, les familles resserrées comme fut la mienne, ces biotopes parfois amoureux, impriment dans ce cas (évidemment exceptionnel comme toute préciosité) sur chaque enfant une tendresse qui n’a pas à se répartir comme elle doit le faire dans les familles moins limitées, quand l’activité parentale se répartit sur une horde de pions conçus en urgence absolue, en urgence maîtresse. Là les gamins sont conçus, immémorialement comme assurance-vie, aux temps de terreur – alors qu’au nid secret des petites fratries (sororités ?) ah, comme l’atmosphère semble y bénir l’amour de deux parents pleins de connivence réelle. Parmi de tels petit groupe, trois, cinq,  « petites familles », celles où peut encore prévaloir une intimité, le sentiment de perfection fabrique forcément moins le sentiment d’un manque, dans le cerveau du mouflet. Je me représente un peu comme ça les images bucoliques de l’excessif bonheur agricole d’un  «jadis » de contes de fées : ils seraient si bien, ces gens heureux de la petite famille fragile de ceux qui ne fondent pas de tribu, qu’ils se contentent de répéter des gestes immémoriaux, labourer et cueillir, transmettre aux enfants que tout va bien et que c’est vraiment pas la peine de bouger – peut-être que cet état aura été la norme dans les jadis les plus antédiluviens, peut-être est ce à cause de ça qu’ils n’inventèrent pas la psychanalyse, ne se ressentant d’aucun manque, on peut rire mais est ce que ce n’est pas là en quelque sorte ce qui a fait des millénaires de chasseurs-cueilleurs, y a-t-il plus beau temple que la Grotte de Vallon Pont d’Arc, avec ses instantanés ramenés d’un dehors qui fait pleurer quant à la magnificence et à la puissance qu’eut à leurs yeux un monde neigeux, une course de mammouths et d’aurochs, une femme au sexe inscrit dans les jambes d’animaux totémiques, sous et dans le corps d’une lionne, sur un stalagmite plus vertigineux que les colonnades du Parthénon par son inscription dans les volumes naturels de cette grotte adorée elle-même en tant que source du Sens par ses formes ?

Femme, Grotte de vallon Pont d’Arc.

Au delà de ces quelques situations – la tribu, la famille nucléaire – l’enfant qui prépare ses désirs ultérieurs d’adulte, est aussi devant le manque en soi – celui dans lequel il se trouve, lui, et qui est manque de ce qu’aurait dû lui apporter le grand, son géant ou sa géante parentale – il ne s’agit plus pour lui, là, d’enregistrer les manques structurant la société des adultes comme lui la perçoit – mais de se sentir tatoué, fouetté, endolori par les nombreux manques qui se peuvent révéler au fil de ses années de dépendance et d’immaturité, du manque de lait au manque de voix en passant par toutes les catastrophes et la liste est encyclopédique ! Alors pourrait surgir le désir de s’approprier le distributeur de ces objets manquants – dérober au père ou à la mère la mère ou le père, vouloir remonter à l’effacement de toute douleur par l’apparente plénitude de l’appropriation d’un•e des deux géant•es parentaux. Hitlérisme de l’âme en gestation vers ses prédations ultérieures futures, quand se dressera en place d’un manque de la Mère une pulsion de dévoration du monde. L’Hitler, c’est à dire l’homme sans empathie, celui qui jouit de posséder et s’exaspère de ceux qui à ses yeux font semblant de jouir d’aimer l’autre sans avoir à s’approprier de lui le moindre objet, marque son époque de façon si dominatrice qu’on l’oublie moins que la foule des justes ses contemporains et opposants. Denys de Syracuse le tyran fait vendre Platon pour punir son estime du Bien philosophal. L’industrie de la consommation pornographique des corps consomme plus d’énergie que toute autre sur l’internet. Et quand Rémi Bonaventure, horrifié par l’aventure nazie, croit apercevoir une éclaircie dans le Communisme, les procès staliniens le font rapidement déchanter et il planque ses livres communistes dans un petit enfer de sa bibliothèque.

Rémy Bonaventure.

Si disparaît le Rival culpabilisant dans cette configuration de la prime enfance, si meurt lepapa, ou Dieu, ou Mère, ou toute déclinaison envisageable de cette effigie première que fut la maman, vers quelle pente future se presse le minot sinon vers l’envie toujours d’effacer le géant inquiétant, l’autre de l’Autre,  Océane ou Ogre, Océan ou ogresse ?

Enfin il y aussi, mais au terme des années de gestation de l’inconscient du sujet, la découverte justement de l’autre – quelle est cette première personne que l’on envisage autrement qu’un•e géant•e géante ?

N’est ce pas souvent la grand-mère, un instituteur, une voisine ? Regardé•e avec stupéfaction comme identifiable, avec soudain la compréhension des plaisirs qui la ou le meuvent. Mamie buvant son café. La tasse. Le fauteuil derrière elle. Le tableau qu’elle regarde longuement. Le moment même où s’éteignent au fond les mécanismes de la fabrication de l’inconscient gigantesque tramé par les six premières et éternelles années au pays des géant•es. Le surgissement de l’autre marque-t-il le début de la fin d’une éternité enfantine ?


Cary Planchenault, Modèle de l’être-à-l’autre.

Et enfin alors seulement surgit ce sentiment de l’Un – vers quel progrès tout ça mènerait il l’ensemble humain, Parménide y travaillait déjà et certainement les peintres de la grotte Chauvet aussi… Mais non, en aucun cas précisément cette palpation du Réel par l’imaginaire d’un enfant, d’un million d’enfants, ne pourrait justement s’illusionner et penser un Manque de l’Un… fut il l’unique, l’insécable, le premier à la fois comme dans la prose du divin Empédocle.

Quand je dis « et enfin le surgissement de l’Un » c’est tragi-comique. Comme on présenterait une boule de cristal, une potion magique, un pendule d’hypnotiseur – pourquoi le Un arriverait-il enfin sinon pour avoir pris ses moires et ses ailes de papillons séduisantes dans les discours les plus séducteurs et donc captieux, du Parmenide à Spinoza pour ne pas parler de la chicane qui le rétrécissait, cet Un, en l’étant de l’instant avant que Levinas le réouvre à l’être à l’autre en sa dualité fondatrice – comique parce que les trois valences identifiées par Colette Soler dans son étude minutieuse des contradictions et évolutions révolutionnaires du propos lacanien, parce que ces trois valences ne simplifient pas l’invraisemblable différance entre les milliards de morpions qui opposent à la dette dont ils héritent, déjà infiniment multiple selon le hasard du lieu et du groupe humain où ils surgissent, leur infinie diversité. Quant à moi, en trente années d’écoute, certes flottante (mais quand même!) , il ne m’est jamais arrivé d’entendre deux personnes rêver de semblables rêves. Ce qui laisse bien comprendre que l’inconscient est plus caractéristique encore, et c’est une évidence, que mettons une empreinte digitale.

Sept milliards de postures différenciées vis à vis de centaines de milliers d’origines bien différentes, et là dessus cette question de l’évolution du rapport au Bien posée par un Foucault qui précise dans son séminaire de février 1983 combien pour l’analyse grecque antique du sujet, même une société parfaite et idéale ne laisserait pas l’humain libre de la nécessité de se doter d’un gendarme de la sexualité…

L’apocalypse du Bien dans le regard d’un maître bienveillant comme Spinoza, qui commence l’Ethique en proposant qu’on se débarrasse de la libido, c’est la scie qui grince au début des Lumières comme, au soir des séminaires de Foucault, la nouvelle pour lui inaudible qu’un virus viendrait cibler en premier ce qui réveillait précisément, son désir. L’invention d’Aides par son compagnon, après sa disparition, a sonné je m’en souviens le début d’une révolte contre l’impossible aveu dans lequel était alors (comme dans les sociétés militarisées d’aujourd’hui, comme dans les millénaires du monachisme égyptien préfigurant ceux du monachisme romain) l’homosexualité – que seul le secret permettait de transporter au sein de la société. Aussi le moment où Foucault interroge la nécessaire clef de voûte morale sexuelle à une société qui pourtant serait déjà  parfaite et répondrait à la topique utopique – aussi est-il vertigineux, pour nous qui avons la chance de l’observer depuis le sommet des quarante années qui nous en séparent – ce rappel par le philosophe de la préoccupation déjà platonicienne
du libidinal qu’avait étonnamment d’escamoter le genial sommet de l’Ethique de Spinoza, mais devant laquelle ne se détourne pas la psychanalyse pourtant si redevable a ce penseur.

Vivre, jouir et savoir plus amplement, plus amplement que la génération précédente.

Foules Manhataniennes

Irrépressiblement on se demande ce que veulent ces visages dans les rues – et dans les rues de New York, croient-ils pouvoir s’exonérer de ce qu’ils désirent secrètement, ambitionnent avec le poids que multiplie celui de la foule dans quoi ils se croient invisibles, même s’ils pensent ne rien décider du monde qu’ils traversent brièvement ? 

À part La Voix de Garcia LORCA

De moi, «la certitude que le moi est effrayant par sa mort «. Faisceau d’originalités, le moi, même celui de Garcia Lorca, nous laisse bouche bée, s’il disparaît. Aussi mon moi se réfugie-t-il dans l’autre. Je suis médecin généraliste depuis si longtemps que j’ai pratiquement oublié comment était la vie, avant, quand j’avais le temps d’aller plusieurs fois par semaines me glisser dans les eaux de Baden Baden, et que je connaissais les sentiers de montagne pour les emprunter la nuit. Google aujourd’hui nous localise tous au millimètre et nous sommes huit milliards, je suis un morceau de cette humilité apocalyptique.

La Meuse sans mots

Sans mots.

Derrière les murs des villes, le recel d’un soupçon de campagnes,

La suggestion d’un cheminement jusque les écarts sans défense.

Cette émotion et cette envie de s’éloigner un tout petit peu, née dans la grande ville — Metz — en regardant — bases de vitraux de la grande verrière de la cathédrale, figurations de dallages.

Les matières du carreau noir

Douze juillet 2011.

Les matières, ma matière du noir, du gris et de la pluie, de l’esseulement en face de l’absence de tout phare que serait un regard tout-puissant et aimant depuis une toute-puissance, un sens: mais non il ne reste que la matière noire, pas de Muse, pas de mythologies, pas de Théogonie, aucune légende dorée qui donnerait sens. Rien que la matière noire, si rassurante cependant, dans la mélancolie féconde, qui derrière la tristesse des enfants abandonnés conçoit, gauchie de tout sens, des sentiments dépendants, conçoit la colère, la fureur, et depuis la matière noire de ma mélancolie j’observe comme une sphère la création. Et suis rempli alors par le rouge bouillant des attentes, ensuite. Une attente qui pourrait paraître éternelle et ennuyeuse si ce n’était pas à chaque seconde, une attente renouvelée, aiguisée, qui fabrique le visage de l’Attendu.

Jean Starobinki

Mon prof d’anglais misanthrope, au lycée, je l’ai eu en 68 et en 70.; deux époques radicalement distinctes, pour le monde et pour moi. Il habitait rue de l’Université, en face du chêne du jardin botanique, tout près du palais universitaire que décorent tant de statues des penseurs teutonistiques, et je l’entends encore me dire, lui qui avait vécu la soumission au vainqueur allemand pendant les années d’annexion, entre 39−44, lui qui mieux que personne m’avait décrit la nuit de cristal dans le petit village de Rhénanie où on le reformatait germaniquement afin qu’il devienne un bon prof nazi.: «Ils reviendront vous verrez ils reviendront. Et quand ils reviendront n’oubliez pas.: parlez anglais. «…

Février Anthony Caro

Si le cerveau ne s’allumait plus, le matin, si aucune pensée ne venait plus folâtrer d’elle-même avec le Réel et lui donner mes couleurs, c’est çela que j’appellerais l’absurde alors que le monde, débarrassé de mes songeries, de mes ruminations superficielles, serait simplement le monde ensoi. Mais moi, ce que je ressens, c’est une sorte de doute…

Cycle ou non

La nature infernale de l’absence est palpable, c’est la nuit. Et le soleil a beau être dans un au-delà que son retour régulier certifie, l’image rassurante des cycles ne concerne pas le progrès linéaire du temps, que mesurent les cycles sans le caractériser.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén